Mégalopole d’un million et demi d’habitants, la capitale malgache oscille entre la plus riche opulence et la plus sombre pauvreté. Contrastes violents d’une société à plusieurs vitesses.
De notre envoyé spécial à Madagascar
Une petite fille, six ans tout au plus, marche avec son frère de trois ans son cadet. Sales, pieds nus, déguenillés, leurs cheveux hirsutes n’ont jamais connu le peigne. Ils arpentent, sans relâche, les rues du centre ville à la recherche de la pièce. Celle que les touristes occidentaux veulent bien leur donner. Une voiture passe. Un énorme 4X4 aux chromes rutilants. Au volant, un jeune en chemisette blanche arbore avec naturel le dernier cellulaire Motorola. Ils sont malgaches et habitent la même ville : Tananarive.
Image banale d’une capitale baignée de contrastes à la fois saisissants et bizarrement harmonieux. Tout semble dans l’ordre des choses. Deux mondes se côtoient sans se voir, participant ensemble à une vie urbaine apparemment calme et paisible.
Egouts à ciel ouvert et hôtel cinq étoiles
Là où le va-nu-pieds est moins un signe d’indigence que d’humilité, ils sont nombreux à arpenter les trottoirs de la ville sans soulier. Ici, une femme avec son enfant, un chapeau de paille sur la tête, un panier de provisions à la main, là un homme aux muscles saillants par l’effort, luisant de sueur, son jean’s coupé aux genoux usé jusqu’à la corde, cinq cageots de citrons juchés sur la tête.
Dans la ville basse, un marché. Populaire. De part et d’autre d’un égout à ciel ouvert. Ne compter pas y trouver quelques touristes. Loin des échoppes à souvenirs, on nage ici dans l’utilitaire. Une économie de subsistance. Sur quelques morceaux de tissu tendu ou bien à même le sol, on y vend, qui des bananes, qui des carottes, qui du manioc, qui tout ce qui peut servir à la vie courante. Il n’y a rien là d’artisanal que les quantités proposées. Faibles. Si bien que l’on pourrait compter chaque légume de l’étalage. Les marchands, accroupis à côté de leurs produits ont les traits burinés par le soleil.
Pas de misérabilisme pour autant. Il y a une vie ici bas. Une énergie. La clameur d’un quotidien. Ils sont là, hommes et femmes à marchander, rire, discuter, aller et venir. L’été tire à sa fin, il s’agit pour eux d’un jour normal de leur existence ordinaire. Et puis il y a le Hilton : cinq étoiles. Le Colbert : quatre étoiles. Et les autres. L’opulence. Une opulence qui n’est pas réservée aux seuls touristes occidentaux. Nombreux sont les malgaches qui en jouissent également.
Téléphone portable et gros pick-up
Les routes vallonnées de Tananarive, avec leurs nids de poules pareils à des cratères lunaires, justifient bien l’usage des 4X4. La densité de tels véhicules est impressionnante. Non pas un parc de voitures tout-terrain vieillissant, en fin de course, plutôt un défilé de modèles récents, taxés à 100% à l’importation. Immenses roues crantées, haute assise et énormes pare-buffle, les monstres cylindriques sont monnaie courante. A côté des 4L et des deux chevaux taxis hors d’âge qui sillonnent la ville.
Et puis, lié à l’émergence d’une nouvelle société de communication, le téléphone portable fait désormais partie du décor et de la panoplie de l’urbain malgache. Ils sont plus de 100 000 à l’utiliser sur l’île. Un boom de la téléphonie mobile qui dépasse allègrement les quelque 60000 lignes fixes actuelles.
Quel que soit le lieu, ils sonnent. Et l’on décroche. Performance sociale et acoustique, vous serez surpris de voir la discrétion des gens à répondre au téléphone sans que personne d’autre que leur interlocuteur ne les entendent.
Mais bien des gens n’ont même pas les moyens d’utiliser les cabines publiques, ou d’avoir même un téléphone fixe chez eux ou bien d’avoir tout simplement de l’électricité. A la fois rurale et moderne, Tananarive, emprisonnée à l’intérieur de l’Ile, offre de multiples visages. La promiscuité des extrêmes pourrait être explosive, il n’en est rien. Il règne au contraire un étrange équilibre. Et la vie suit son court. Riche et pauvre, paisible et animée.