Actuellement en France pour faire la promotion de son premier album, Zion Prophet, Takana Zion revient sur son processus de création, ses rencontres artistiques, et son parcours musical qui va du rap au reggae, en passant par le blues.
Takana Zion s’était fait remarquer en 2006 en première partie de Tiken Jah Fakoly à l’Elysée Montmartre, à Paris. Il revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec son premier album, « Zion Prophet », réalisé et produit avec Manjul dans son studio « Humble Ark » à Bamako, entre décembre 2006 et janvier 2007. Takana Zion est d’ailleurs l’invité de Manjul dans son album « Jahtiguiya », sorti en avril (sur le titre « I am a Freeman »*).
Parfois surnommé « le Sizzla de l’Afrique », il avait débuté dans le milieu du rap guinéen et du dancehall avant de s’orienter vers le reggae. À peine âgé de 21 ans, il est déjà considéré par certains comme un véritable prodige du reggae en Afrique.
Dans ses textes, Takana Zion témoigne de la volonté de se libérer, de s’élever et de progresser, recherchant à exprimer ses émotions dans différentes langues (soussou, malinke, anglais et français).
Ses inspirations musicales sont variées, allant du Nyabinghi au roots Reggae, en passant par le rock steady, le dancehall, le dub et même le blues. On retrouve également la patte de Manjul sur cet album, puisqu’on peut y entendre, entre autres, la flûte en bambou et le balafon. À noter aussi que sur les 19 morceaux, six sont du dub.
Néanmoins, l’artiste qui a le plus inspiré Takana Zion reste Peter Tosh, à cause notamment de son message politique. Épris d’égalité et de justice, tout comme son mentor, Takana Zion évoque son pays natal – qu’il a préféré quitter en raison de la situation sociopolitique et économique – dans la chanson « Conakry », sur un pur son roots : « Conakry, j’ai vraiment envie de te revoir… Tu m’as vu naître et grandir… Je ne pourrai jamais t’oublier ». Il parle également des jeunes qui ont été tués en Guinée lors des grèves et des manifestations dans « E oulé fu », morceau plus ragga.
Porteur d’un message qui se veut universel, Takana Zion a fait le choix de chanter en quatre langues afin que dans le monde entier les personnes qui écoutent sa musique se sentent concernées, les mêmes problèmes se passant aujourd’hui dans tous les pays.
Africultures : Avant tout que signifie votre surnom, « Takana » ?
Takana Zion :Ce sont les gens qui m’ont appelé comme ça. Cela veut dire « Détruis la ville » en soussou. Cela vient de « Ta », la ville, et « Kana », qui signifie détruire. En fonction de l’intonation, cela peut être un ordre « Détruis la ville ! », ou un constat « La ville est détruite ». Si la ville est détruite, alors un nouveau temps apparaîtra, et donc un nouvel espoir.
Africultures : Vous avez déjà deux albums de prêts pour Tiken Jah Fakoly, pourquoi ne sont-ils pas sortis ?
Takana Zion : Le problème avec moi c’est que je suis un homme très indépendant, très libre, ce n’est pas facile de me contrôler. J’aime la musique et je ne peux pas me bloquer. Je ne peux pas rester à rien faire, je veux travailler. Quand il y a le feu qui brûle en toi, tu ne peux pas t’asseoir et attendre. Je suis un homme vivant. Je suis parti de chez Tiken, mais nous sommes restés en très bons termes, les portes sont ouvertes. On va voir comment on peut faire pour sortir ces albums.
C’est finalement avec Manjul que vous avez réalisé votre premier enregistrement.
Africultures : Comment l’avez-vous rencontré ?
Takana Zion :C’était au Mali, alors que je vivais dans la communauté rasta de Lassa, sur les hauteurs de Bamako, lors d’une fête de Nyabinghi pour commémorer la naissance de Bob Marley. J’avais beaucoup entendu parler de lui à travers Tiken Jah Fakoly et d’autres frères, parce qu’il avait sorti une compilation reggae. On me disait qu’il y avait un rastaman là-bas qui s’appelait Manjul. Son nom m’était resté en mémoire. Ensuite, j’ai quitté la communauté et je suis allé habiter un moment chez Tiken. Pendant que j’étais chez lui, j’allais souvent au studio de Manjul, parce qu’il y a toujours des musiciens qui travaillent là-bas. Musicalement je lui dois beaucoup. On a enregistré un duo ensemble pour son album « Jahtiguiya » (I am a freeman). Nous avons bien sympathisé. Il m’a également hébergé durant un temps et nous avons enregistré cet album entre décembre 2006 et janvier 2007.
Africultures : D’où vous vient l’inspiration ?
Takana Zion : C’est Jah qui guide mes pas. Peter Tosh m’a aussi beaucoup inspiré à cause de sa dimension spirituelle et de la richesse de sa composition musicale. Son rapport avec les mots aussi… il a décodé beaucoup de mots. C’est comme ça qu’avec lui « Opressor » est devenu « Downpressor » par exemple, parce que l’oppresseur, c’est celui qui te jette vers le bas. Mais quand on a envie de chanter, c’est comme pour une femme sur le point d ‘accoucher : il faut que ça sorte. Il y a un bon morceau qui vient, la divine inspiration, et tu as besoin de sortir ça de toi. Et c’est ce que j’ai apprécié chez Manjul, son studio m’était toujours ouvert. C’est là que notre fraternité s’est encore plus renforcée. Manjul et moi sommes habités par le même esprit Rastafari. C’est un homme qui travaille dans la discipline ; il y a beaucoup de respect entre nous. On l’entend d’ailleurs sur le morceau « Sweet words », ainsi que sur d’autres morceaux.
Africultures : Comment s’est déroulé l’enregistrement ?
Takana Zion : En décembre dernier, certains musiciens qui tournent avec Manjul étaient à Bamako pour un festival de reggae. Comme on avait fini de poser toutes les voix et que toutes les musiques étaient composées, on en a profité pour enregistrer. L’album était prêt mi-janvier. Ensuite, j’ai dû aller au Burkina pour un concert, puis au Ghana pour poursuivre des cours d’anglais.
Africultures : Ce sont ces mêmes musiciens qui joueront sur scène avec vous lors de votre prochaine tournée en France ?
Takana Zion : Oui, ce sont les musiciens de Manjul, parce que de toute façon cette tournée sera une tournée avec Manjul.
Africultures : Vous-même, jouez-vous d’un instrument ?
Takana Zion : Je ne suis pas un grand musicien, mais je suis en train d’apprendre, parce que c’est nécessaire. Quand tu chantes, il faut pouvoir jouer d’un instrument. Ça enrichit ta composition musicale et ça ouvre l’esprit. J’essaie de jouer du piano, un peu de guitare basse, et du djembé.
Africultures : L’une de vos chansons s’intitule « Pas soif de gloire ». Est-ce le message que vous voulez faire passer ?
Takana Zion : Bien sûr ! Je ne chante pas pour la gloire, je délivre juste un message de paix et d’amour. Tout ce que je veux c’est que le maximum de personnes puissent écouter mes textes. Cette chanson, je l’ai composée au Burkina Faso. Quand j’ai pris un peu d’indépendance par rapport à Tiken, j’ai décidé de partir au Ghana, et pour aller au Ghana il faut passer par le Burkina, j’ai donc profité de l’occasion. Je me suis arrêté là-bas pour rencontrer des gens. Un cousin m’a proposé d’aller poser dans son studio, et c’est là que j’ai rencontré Maka, le guitariste de Pierpoljak. Il est jamaïcain. Il m’a donné un riddim, et quand les gens ont entendu, ils ont dit, « mais Takana ça, c’est bien, il faut que tu sortes un album ici au Burkina », et ça a allumé le feu en moi. J’ai enchaîné un deuxième morceau, et finalement je suis resté quelque temps au Burkina où j’ai composé la plupart des titres de « Zion Prophet ». Par contre, j’avais composé depuis plus longtemps certains titres comme « Ematoba » que j’avais écrit avant même de quitter la Guinée. Au Burkina, j’avais décidé de tout recommencer à zéro, faire un nouvel album, créer des nouveaux sons, quelque chose de plus fort, de plus mûr que ce que j’avais fait jusque-là. Mais le fait d’avoir déjà réalisé deux albums avec Tiken avait été une bonne expérience.
Africultures : Votre route croise celles de nombreux artistes reggae. Vous êtes récemment montés sur scène avec Pierpoljak à l’occasion de la Fête de la musique.
Takana Zion : C’était à Bois-Colombes, au parc des Bruyères. Cela s’est fait par hasard, mais c’était super d’être sur scène avec Pierpoljak. Je vais d’ailleurs bientôt les retrouver à Evreux, ainsi que Faya Dub.
Le groupe « Jamaica all stars » était également présent à la Fête de la musique, ce qui m’a permis de chanter avec les frères jamaïcains. Il y avait beaucoup de monde. J’aime être sur scène, devant le public. Comme je n’ai pas de concerts prévus avant la rentrée, je vais essayer, pendant mon séjour en France, de participer à des Sound Systems. J’ai besoin du contact avec les gens.
Africultures : On vous surnomme parfois « Le Sizzla de l’Afrique ». L’avez-vous déjà rencontré ?
Takana Zion : Non, mais il sera à Paris pour un concert le 2 juillet à l’Elysée Montmartre. J’espère que ce sera l’occasion. Je l’ai seulement connu en 2003, alors qu’il était sur le terrain depuis les années 90. J’ai beaucoup de respect pour sa musique et sa personnalité. Je crois en lui aujourd’hui. C’est vraiment un « big man ».
Africultures : Alors que plus jeune vous vous intéressiez plutôt au rap, pourquoi avoir choisi pour ce premier album de vous exprimer sur des rythmes différents ?
Takana Zion : Je ne veux pas être cantonné à un seul style. C’est pour cela que je me permets d’aborder différentes musiques, que ce soit du blues, du reggae, du nyabinghi. Je souhaite montrer aux gens la bonne direction, celle de l’unité et de la connaissance de soi.
Le clip de « Depui a siingé », extrait du nouvel album
Par Christine Avignon, pour Africultures