Suspension du protocole de pêche Maroc-UE : le dessous des cartes


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Le 15 décembre dernier le parlement européen a rejeté la prorogation du protocole de pêche avec le Maroc (36 millions d’euros annuels en compensation des prises européennes en eaux marocaines). La décision européenne a été motivée, a précisé le rapporteur finlandais Carl Haglund, par trois raisons : D’abord, économique car le Maroc semble mieux profiter financièrement que l’Union européenne (UE) ; ensuite, écologique au regard de la surexploitation des espèces ; et enfin social, puisque jusqu’à présent, la population locale du Sahara semble peu profiter des retombées financières de l’accord. S’agit-il des vraies raisons ?

Des prétextes plutôt que des arguments

Si l’on peut comprendre que l’UE, étranglée par une crise d’endettement, racle les fonds de tiroir, lorgner sur l’enveloppe de 36 millions est loin de résoudre tous ses problèmes. D’autant plus que si elle doit répondre à la demande de réparation formulée par l’Espagne, principale lésée dans cette histoire, elle devrait débourser 30 millions d’euros pour la dédommager des deux mois d’inactivité de ses pêcheurs. Alors que le Maroc perçoit à peine un peu plus pour une exploitation durant 12 mois. S’il y a vraiment une partie qui doit se plaindre d’un rapport couts-bénéfices désavantageux c’est bien le Maroc. En versant 36 millions d’euros en contrepartie de la capture de 700000 tonnes, l’UE s’assure le poisson à un coût de revient moyen (toutes variétés confondues) de 0.5 cents d’euros, une aubaine pour le consommateur européen qui paye en moyenne son poisson moins cher que son homologue marocain.

Quand les députés européens ayant voté contre l’accord parlaient de surexploitation des ressources halieutiques, ils oublient qu’ils étaient déjà devancés par tous les gouvernements marocains et ce depuis 1995 quand ils refusaient de prolonger le protocole avec l’UE afin de dénoncer la surexploitation par les pêcheurs européens de ces stocks halieutiques. Mais sous la pression des européens le Maroc finissait toujours par céder.

Concernant la population locale sahraouie qui ne semble pas bien profiter financièrement de l’accord, faut-il rappeler ici que l’Allemagne qui avait exprimé des réserves auparavant, à cause de ce point, les avait levées après de premières informations données par le Maroc selon lesquelles plus de 700 millions de dirhams ont été affectés à des extensions et des rénovations des ports de Boujdour et Dakhla. Et puis il a été convenu que le Maroc produise justement un rapport d’ici fin février pour mettre en évidence les retombées de l’accord sur la population locale. Pourquoi donc les députés ont précipité la suspension de l’accord deux mois avant la remise du rapport ?

Un vote politisé

Si les raisons économiques, écologiques et sociales susvisées ont joué un certain rôle dans le vote de certains députés européens (les verts, les socialistes), la principale raison est politique. En effet, il faut savoir que quand l’accord est arrivé à son terme en février dernier, le Maroc n’était pas demandeur de sa prorogation. Si le Maroc acceptait à chaque fois de proroger un accord désavantageux à la base, ce n’est certainement pas pour le gain financier, mais parce qu’en ratifiant l’accord, les européens reconnaissaient implicitement la pleine souveraineté marocaine sur l’ensemble de ses territoires, notamment les provinces sahariennes. Le deal est clair : poisson contre la reconnaissance implicite du Sahara marocain. Le renouvellement de l’accord de pêche a été toujours une épreuve de force entre les deux protagonistes dans le sens où pour le Maroc c’était un test de sa souveraineté nationale. Ainsi, plusieurs parlementaires européens instrumentalisaient systématiquement la carte du Sahara pour faire pression sur le Maroc. Quand les parlementaires scandinaves (Danemark, Suède..) évoquent le sort des populations sahariennes ce n’est pas par charité, mais parce que leurs pays ne profitent pas de l’accord de pêche. D’ailleurs, ces mêmes pays, oublient tout d’un coup le sort des populations sahraouies, quand elles tentent de négocier unilatéralement l’accès aux zones de pêche marocaines via des sociétés privées.

Par ailleurs, les lobbies soutenant le Polisario ont intensifié leurs campagnes de pressions suite à l’obtention par le Maroc de son statut de membre non permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Une panique s’est emparée du Polisario et de ceux qui le soutiennent, car ils voyaient dans le nouveau statut du Maroc une opportunité pour celui-ci d’imposer sa solution d’autonomie avancée des provinces sahariennes sous souveraineté marocaine. Cela explique pourquoi ils ont intensifié leur lobbying auprès des parlementaires européens pour suspendre un accord qui s’achèvera dans deux mois. Le but était d’envoyer un message politique au gouvernement marocain : en dépit de la disparition du soutien du régime de Kadhafi, d’autres forces continueront à soutenir le Polisario. Cela explique la virulence de la réponse marocaine juste après l’annonce de refus par le parlement européen (réévaluation de son partenariat avec l’UE) car ce qui est en jeu n’est pas le volet économique, mais bel et bien politique, à savoir son intégrité territoriale.

Le plus désolant dans cette affaire est de constater la politisation de décisions économiques européennes et qui ne se limite pas uniquement à l’accord de pêche. Rappelons ici par exemple que le nouveau texte portant sur la libéralisation réciproque du secteur agricole signé en 2009, devant régir cet Accord est en souffrance au parlement européen depuis décembre 2010. Les préférences qui risquent d’être accordées aux produits agricoles marocains inquiètent plusieurs producteurs européens notamment les espagnols, les portugais et les français. Le rejet de la prorogation de l’accord de pêche est un moyen de faire pression, via la question du Sahara, sur le Maroc pour obtenir des concessions ou du moins l’étalement de la libéralisation des produits agricoles sur plusieurs années.

Auparavant, l’UE utilisait la carte de la démocratie et des droits de l’homme pour faire pression lors des négociations. Désormais, avec la dynamique réformatrice que connait le Maroc, impulsée par les révoltes arabes, ces deux exigences sont devenues des demandes internes, ce qui explique que les députés européens, ayant voté contre la prorogation de l’accord, aient fait ressortir la carte du Sahara.

Hicham El Moussaoui, analyste sur www.UnMondeLibre.org

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