Il y a un mois, l’élection présidentielle paraissait gagnée d’avance pour Ali Bongo Ondimba. Fils du défunt Omar Bongo qui a régné sur le Gabon pendant 41 ans, adoubé par le PDG (le Parti démocratique gabonais, au pouvoir, dont le riche et puissant appareil a été mis à son service), et ministre de la Défense, il avait les meilleures cartes en main. Mais depuis, les obstacles n’ont cessé de se dresser devant lui sur la route du palais du Bord de mer.
En dépit d’un impressionnant matraquage médiatique, et bien que les murs du pays soient couverts d’affiches à son effigie, les résultats du scrutin de dimanche sont encore, à quelques heures seulement de leur proclamation, très incertains. Au PDG comme à la présidence, l’on estime qu’Ali Bongo passera, grâce aux votes des provinces qui lui seraient dans leur majorité plus favorables que Libreville, mais pas avec la large avance prévue. Quant aux deux autres favoris, l’opposant historique Pierre Mamboundou et l’ancien ministre de l’Intérieur et ami du fils Bongo, André Mba Obame, ils ont proclamé leur victoire dès le soir du scrutin, forçant le candidat du PDG à leur emboîter le pas et à annoncer la sienne. Depuis la clôture du scrutin, les trois hommes se livrent une guerre des chiffres, par communiqués, SMS et déclarations interposés alors que la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cénap) n’a pas délivré le moindre résultat officiel. Mais ils ont reçu, comme tous les candidats, copie des procès verbaux de l’ensemble des 3000 bureaux de vote déployés dans le pays au cours de ce scrutin et s’appuient en partie sur ces documents pour défendre leurs positions.
L’Union africaine (UA) a relevé des « irrégularités » et des « faiblesses » lors du scrutin, mais a considéré qu’il s’était déroulé « conformément aux dispositions légales ». Les conditions de vote ne sont guère contestées par les candidats, mais il en est tout autrement de la collecte et du comptage des voix. Les rumeurs de tripatouillage électoral comme les craintes de débordements enflent d’heure en heure. Pierre Mamboundou et André Mba Obame estiment qu’une victoire d’Ali Bongo ne pourrait s’expliquer que par des bourrages d’urnes et la corruption de présidents de bureaux de vote. André Mba Obame, surnommé AMO par ses partisans, accuse le candidat du PDG d’avoir « violé la loi » et pense qu’ « un coup d’Etat électoral est en marche ». Dans une interview accordée hier à l’Express.fr, il affirmait qu’« il arrive même que l’on demande à nos délégués de signer un nouveau PV au siège de la Cénap! ». MM. Mba Obame et Mamboundou ont engagé les Gabonais à manifester leur mécontentement en cas de « hold-up électoral ». Des troubles seraient à craindre si ces deux candidats perdaient. Mais au cas où l’un d’eux serait élu, il est fort à parier qu’ils pourraient s’entendre en se partageant habilement les portefeuilles ministériels.
Président par tous les moyens nécessaires ?
Toutefois, Ali Bongo n’entend pas se laisser facilement écarter. Et d’aucuns le disent prêt à prendre le pouvoir par tous les moyens, y compris la force. Le déploiement massif de forces armées dans la capitale, officiellement pour prévenir tout débordement, n’est pas sans soulever quelque inquiétude. En cas de défaite, se servira-t-il des militaires pour assouvir ses ambitions ? Démissionné par la présidente de la République par intérim Rose Francine Rogombé, le 15 août dernier, il n’est plus ministre de la Défense. Mais son influence sur la Grande muette demeure. Cependant, une partie des officiers et de la troupe est favorable aux candidats Mamboundou et Mba Obame. Au sein même de l’armée, des fractures pourraient apparaître au grand jour, comme ce fut le cas au PDG lorsqu’Ali Bongo fût désigné candidat officiel.
De toute évidence, Ali Bongo Ondimba ne fait pas l’unanimité au Gabon. S’il venait, dans les heures qui viennent, à être président du pays, il aurait grand peine à éteindre la colère de ses opposants et obtenir l’assentiment des Gabonais. L’homme n’est pas connu pour être un orateur convainquant, son image de viveur ne plaide pas pour lui ; et surtout, son incapacité à faire taire les dissensions nées au sein de son propre parti et à asseoir son autorité sur les barons montre qu’il n’est pas fédérateur. André Mba Obame, ancien compagnon de route d’Ali Bongo et ministre d’Omar dans plusieurs gouvernements, a marqué par son assurance et son énergie. Membre de l’ethnie fang majoritaire, comme l’était le premier président du pays, Léon Mba, il symboliserait une forme d’alternance après une longue domination batéké. Cependant, ses promesses de changement laissent sceptiques ceux qui se rappellent combien il a profité du système ces vingt dernières années. Quant à Pierre Mamboundou, son long parcours d’opposant à Omar Bongo paraît répondre aux profondes aspirations de rupture des Gabonais. Mais son manque d’expérience dans l’exercice du pouvoir en inquiète plus d’un ; et ses plus farouches adversaires n’hésitent pas à dire qu’il a profité lui aussi des largesses d’Omar Bongo qui, en « bon chef de village », n’oubliait jamais de faire des cadeaux à ses ennemis. Quoiqu’il en soit, tous les candidats en lice ont promis qu’ils partageraient mieux les richesses du pays et en feraient, enfin, profiter la population. Là se trouve la tâche majeure à laquelle devra s’atteler le nouveau président de la République du Gabon.