L’exportation massive de poulets congelés de l’Europe vers l’Afrique cause de sérieux problèmes. En premier lieu, d’ordre sanitaire : une polémique agite le continent sur la qualité de la viande délivrée. Sur un autre plan, l’économie aviaire des pays africains qui exportent le plus est très sérieusement minée. Des associations ripostent.
Le poulet africain est en voie de disparition. Depuis l’intégration de certains pays africains dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les exportations de poulets congelés de l’Europe vers l’Afrique n’ont cessé de grimper. Parfois à un rythme effréné. Ces « poulets exports » représenteraient un véritable danger sanitaire de part leur conditionnement. Des associations ont amorcé une lutte sur le continent pour empêcher la « poubellisation de l’Afrique ». Mais derrière cette guerre sanitaire se cache une guerre commerciale, et plus précisément une lutte contre la mondialisation : les importateurs de poulets « prêts à l’emploi » lèsent fortement l’écoulement de la production locale, plus chère, entraînant ainsi une désertification importante du secteur.
Taux d’importation en hausse de 300%
Particulièrement touchés par le phénomène : les pays d’Afrique de l’Ouest et Centrale. La question a d’ailleurs fait l’objet, du 15 au 17 avril 2004 à Yaoundé (Cameroun), d’un Séminaire d’échange et réflexion sur les effets pervers de l’importation massive de poulets congelés en Afrique. Douze Etats africains [[<*>Cameroun, Gabon, Tchad, Congo RDC, Ghana, Niger, Côte d’Ivoire, Togo, Burkina Faso, Mali, Bénin, Sénégal]] ont participé à la rencontre qui mettait à jour les problèmes liés à l’importation importante des morceaux de volaille que les Européens ne mangent pas.
Une importation importante et même parfois massive. « En 1996, le Cameroun importait 978 tonnes de poulets congelés. En 2003, 22 154 tonnes, soit un taux d’accroissement de 300% », explique sur son site l’association belge SOS Faim. Des excès dus au non respect des quotas d’importation. « Moyennant finance, certains importateurs parviennent à faire rentrer deux à deux fois et demi plus de viande que ce qui leur est permis », commente Jacob Kotcho Bongkwaha, secrétaire permanent à l’Association citoyenne de Défense des intérêts collectifs du Cameroun (Acdic).
Polémique sur la qualité du poulet européen
L’affaire se complique lorsqu’à l’importation excessive s’ajoute, selon certains, la qualité douteuse de la viande. Une polémique qui gagne tout le continent et dépasse même les frontières africaines : celle que l’Europe exporterait sciemment des produits de mauvaise qualité vers l’Afrique. « Il faut modérer les propos. Les Européens mangent en majorité le bréchet (blanc de poulet, ndlr) et les excédents sont effectivement renvoyés, à bas prix, en Afrique. Mais rien ne permet d’indiquer qu’ils soient impropres à la consommation en arrivant là-bas », précise Julie Ganssens, membre de SOS faim.
Tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. « La viande exportée par l’Europe n’est pas toujours bonne car les ‘poulets exports’ ne suivent pas la même réglementation en matière de production que les autres. Normalement, un poulet doit être élevé 45 jours révolus pour que les traces d’antibiotiques qui lui ont été injectés soient complètement effacées de son organisme, souligne Jacob Kotcho Bongkwaha. Or, les ‘poulets exports’, qui sont en plus dopés pour qu’ils grossissent, ne sont élevés en moyenne une dizaine de jours en moins. Alors, lorsqu’ils sont abattus, ils contiennent encore des résidus de ces produits administrés. »
L’Afrique et l’Europe responsables ?
Ajouté à cela, « quand la viande ne vient pas directement d’Europe dans les pays africains, elle transite par le Sénégal ou encore la Côte d’Ivoire. Et là, des problème de conditionnement se posent, notamment en ce qui concerne le respect de la chaîne du froid », ajoute Doh Antony Kehbila, rédacteur en chef de la version anglaise du journal camerounais La voix du paysan (The Farmer-s voice). La viande arrive donc dans le pays destinataire dans un état sanitaire qui laisse à désirer. Un état qui empire une fois sur les étals des marchands. « Le matin, un marchand va acheter ses cartons de viande. Il la laisse ensuite exposée toute la journée au bon vouloir des clients. Si le soir venu il n’a pas pu tout vendre, il la recongèle. Et ainsi de suite jusqu’à épuisement des stocks », poursuit le journaliste.
Exportateurs et importateurs pourraient donc être tous deux responsables de l’arrivée de volailles malsaines sur les marchés. En témoigne une enquête menée par trois agents : un du centre Pasteur de Yaoundé, un autre du Service d’appui aux initiatives locales de développement (SAILD) et enfin un de l’Acdic. L’équipe a procédé à « des prélèvements sur 34 marchés et 166 points de vente », explique Jacob Kotcho Bongkwaha. Les premiers chiffres parlent d’eux mêmes : « Le Centre a conclu que 83,5% des découpes de viandes analysés sont impropres à la consommation. Notamment, 23% d’entre elles étaient porteuses de salmonelles », poursuit le secrétaire permanent, qui précise qu’une étude est en cours dans deux hôpitaux de Yaoundé pour juger des effets sur la santé de la population. La situation reste difficile à améliorer par manque de moyens sanitaires et humains pour assurer le contrôle des produits. Bien que d’aucuns estiment que certains personnels habilités ferment les yeux sur une volaille de mauvaise qualité, faisant fi des conséquences.
Secteur avicole sinistré
Parce que les populations ne connaissent pas les dangers auxquels elles sont exposées, elles achètent ces « poulets exports ». Et pour cause. Ces derniers sont bien moins chers que ceux produits localement. « Le coût d’un poulet importé avoisine les 950 FCFA contre entre 2 000 et 2 200 FCFA pour un poulet ‘made in Cameroon’ », estime Doh Antony Kehbila. Pour le plus petites bourses, le calcul est vite fait. Et les conséquences pour le marché avicole national sont cinglantes.
Le secteur serait complètement sinistré dans quelques pays. Au Sénégal, selon les chiffres de SOS Faim, « depuis l’application du Tarif extérieur commun (mesure de l’Union économique et monétaire ouest-africaine qui a divisé les droits de douane sur les importations de poulet par 3, chutant d’environ 60% à 20%, ndlr) et l’explosion des importations qui s’en est suivie, l’activité avicole au Sénégal a été réduite de 30% ». Au Cameroun, « Entre 2000 et 2003, la production nationale est passée de 21 000 tonnes (couvrant 60 % des besoins) à 13 000 tonnes, soit une baisse de près de 50 %. A l’inverse, les importations sont passées de 13 500 tonnes à 22 150 tonnes », toujours selon les données de l’association. Des études menées par l’Acdic expliquent que les pertes pour l’Etat camerounais s’élèvent à quelque 10,5 milliards de FCFA et que 110 000 employés ont perdu leur emploi.
Réouverture de poulaillers
Des associations se sont levées contre l’arrivage de viande qu’elles estiment de mauvaise qualité et contre l’ « envahissement des marchés africains » avec des produits étrangers. Mais dans le discours de quelques défenseurs des droits des producteurs avicoles transparaît surtout l’envie de redorer le blason du poulet africain, pour doper l’économie nationale et faire barrage à la mondialisation. Du coup, certaines campagnes de sensibilisation vont même jusqu’à diaboliser le poulet européen malsain, ramenant le consommateur à acheter local.
La méthode semble fonctionner. Au Cameroun, les autorités commencent à s’intéresser au problème. Les importateurs reconnaissent qu’il y a un problème dans le fonctionnement de leur métier et se sont organisés en syndicat pour faire connaître leur profession et défendre leurs intérêts, qu’ils estiment sabotés par la campagne. Selon l’Acdic, c’est un signe d’ouverture au dialogue important qui pourraient mener à un plus grand respect des normes et une vigilance accrue quant à la commercialisation de la viande. Autre signe encourageant, les consommateurs commencent à refuser le poulet congelé pour celui produit sur place, dopant la demande. Des poulaillers, jadis fermés car jugés trop peu rentables, ont même rouvert.