Succession de Pierre Nkurunziza : la Cour constitutionnelle a-t-elle violé la Constitution ?


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L'ancien Président du Burundi, Pierre Nkurunziza
L'ancien Président du Burundi, Pierre Nkurunziza

La Cour constitutionnelle burundaise a tranché, ce jour, le débat autour de la succession de Pierre Nkurunziza, en écourtant le délai d’attente du Président élu, le général Evariste Ndayishimiye. Dans une décision rendue ce vendredi, la haute institution a, en effet, ordonné que le nouveau Président entre en fonction, avant la date initiale prévue par la Constitution du pays, c’est-à-dire, le 20 août 2020. En prenant une telle décision, l’institution garante de la Constitution n’a-t-elle pas violé la loi fondamentale ?

La Constitution burundaise promulguée en 2018 par Pierre Nkurunziza a prévu que le mandat présidentiel prenne fin le 20 août afin que le nouveau Président prenne les rênes du pays à partir de cette date. C’est sur cette base qu’ont été organisées les élections générales du 20 mai 2020 au terme desquelles le candidat du CNDD-FDD et dauphin du Président Pierre Nkurunziza, le général Evariste Ndayishimiye, a été élu avec 68,7% des suffrages exprimés. Si la Constitution prévoit, en cas de vacance du pouvoir, un intérim de trois mois à assurer par le président de l’Assemblée nationale et débouchant sur l’organisation d’une nouvelle élection présidentielle, elle n’a pas prévu le cas où le Président sortant décède entre l’élection de son successeur et l’investiture de ce dernier. Or, c’est le cas de figure qui s’est présenté avec le décès de Pierre Nkurunziza, le lundi 8 juin 2020, alors même que ce dernier était censé passer le témoin à son dauphin, le 20 août prochain.

L’opposition et le camp présidentiel n’arrivent donc pas à s’entendre sur la succession du Président défunt. L’opposition soutient que conformément à l’article 121 de la Constitution, le président de l’Assemblée nationale doit assurer l’intérim et procéder à l’organisation de nouvelles élections. Ce point de vue est farouchement défendu par Aimé Magera, un des porte-paroles de Agathon Rwasa, principal challenger d’Evariste Ndayishimiye : « La Constitution est claire, elle est là ! La Constitution dit que le président de l’Assemblée nationale assure l’intérim. C’est clair ! Et la mission du président de l’Assemblée nationale, donc en tant que président de la République en intérim, c’est d’organiser des élections. Il n’y a pas vraiment à spéculer, à aller à gauche, à droite… Il a entre un mois et trois mois pour organiser de nouvelles élections. Il faut respecter ce que la Constitution dit. C’est clair ! Donc nous attendons que Pascal Nyabenda prête serment. Il est Président pour nous et pour conduire cette transition, organiser des élections. Évariste n’est pas président. Il n’a pas prêté serment. Donc nous demandons que soit respectée la Constitution. C’est clair », soutient-il.

Du côté du parti au pouvoir, on voit les choses d’un tout autre œil. On va jusqu’à remettre en cause des dispositions légales qu’on a soi-même élaborées et imposées manu militari au pays. On se souvient des conditions dans lesquelles la réforme constitutionnelle de 2018 est intervenue. Mais aujourd’hui, curieusement, les défenseurs de la nouvelle Constitution de 2018 lui trouvent subitement des failles. En témoignent ces propos de Sylvestre Ndibantuganya, un des soutiens du régime : « Avant, je m’interrogeais sur cette période de transition consacrée par la Constitution, aujourd’hui, qui est très longue. Un chef d’État dont la validation a été faite par la Cour constitutionnelle et qui attend plus de deux mois et demi pour pouvoir entrer effectivement en fonction, personnellement je trouve que cela c’est trop. Aujourd’hui, il n’y a pas à se poser la question en ce qui concerne l’organisation des élections, puisqu’il y avait déjà un chef de l’État qui avait été élu et de la validation avait été consacrée par la Cour constitutionnelle. Je sais qu’il y a la sécurité, qu’il y a la sérénité… Je pense donc que nous allons passer cette épreuve sans beaucoup de problèmes ».

Après la saisine, hier jeudi de la Cour constitutionnelle par le Conseil des ministres, elle a rapidement tranché le débat, ce vendredi, en déclarant inutile l’intérim du président de l’Assemblée. En effet, pour l’institution, « l’objet de l’intérim disparaît par le fait juridique de l’existence d’un nouveau Président élu ». Par conséquent, la Cour a appelé à l’investiture rapide du nouveau Président. Cette interprétation de la loi qui rejoint celle du parti au pouvoir suscite des interrogations. Tout porte à croire que, comme d’habitude, la Cour constitutionnelle s’est alignée sur la position du parti au pouvoir dont les ténors n’attendent que l’installation rapide du nouveau Président burundais.
On ne saurait, en définitive affirmer que la Cour constitutionnelle, à travers sa décision, a violé la Constitution. Il s’agit d’un vide laissé par la loi et qui ouvre par conséquent la voie à toutes les interprétations dont celle du plus fort finit par s’imposer.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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