Le gouvernement guinéen embrouille les Guinéens en leur faisant croire que des raisons budgétaires lui imposent un arrêt des subventions sur les produits pétroliers. Il n’en est rien puisqu’il s’agit juste d’un arrêt du prix imposé par l’Etat. Cela dans le but de se tailler la part du lion avec des taxes substantielles. Alors que ce même Etat continue à maintenir des monopoles dans le secteur, les prix faussement libérés grimpent, faute de concurrence réelle !
Dans son article, KRAMO Germain, décrit avec des chiffres actualisés à l’appui la réalité du problème qui étouffe les Guinéens : une forte augmentation du prix du carburant à la pompe. Il fait ensuite une série de recommandations.
Le Gouvernement guinéen vient de décider de supprimer la subvention du carburant en faisant passer les prix de l’essence, du pétrole et du gas-oil de 8 000 à 10 000 francs guinéens le litre. Il soutient que cette décision est destinée à alléger les finances publiques (les subventions et transferts ayant augmenté de 292,48% entre 2010 et 2018). Qu’en est-il réellement ?
Le gouvernement gagne de l’argent avec la subvention du carburant
Par définition, la subvention suppose le versement d’une compensation pour que les entreprises offrant un produit donné le vendent en-dessous du prix de revient réel. Ce que le gouvernement guinéen appelle subvention n’est rien d’autre qu’un contrôle de prix qui lui permet de gagner de l’argent.
En effet, le gouvernement guinéen gagne des recettes via l’imposition de taxes telles que les Droits de Douane, la TVA, la RTL (Redevance pour Traitement des Liquidations) et la TSPP (Taxe Sur les Produits Pétroliers) sur le prix du carburant. Par exemple, selon le rapport sur l’exécution du budget annuel de 2017 de la Guinée, la TSPP a rapporté 707,3 milliards de francs guinéens au gouvernement.
Quand le prix du pétrole baisse sur le marché international, le gouvernement laisse inchangé le prix à la pompe. Ainsi, les entreprises vendant le carburant améliorent leurs marges bénéficiaires. Lorsque l’Etat est actionnaire dans l’entreprise importatrice de pétrole, comme c’est le cas avec la Société Guinéenne des Pétroles (SGP), il capte une partie de cette marge bénéficiaire. En revanche, lorsque le prix international augmente, et comme le gouvernement tient à ses recettes fiscales, il est inéluctable que le prix s’envole au-delà du plafond fixé par le contrôle des prix, comme c’est le cas actuellement. En d’autres termes, ce que le gouvernement guinéen appelle suppression de subvention n’est autre chose que l’abandon du contrôle de prix pour sauvegarder ses recettes fiscales.
Suppression de la subvention du carburant : l’arbre qui cache la forêt
L’une des raisons ayant motivé la suppression de la subvention est la détérioration des déséquilibres budgétaires de la Guinée au cours de l’année 2017. Le projet de loi de finances de 2018 indique qu’à fin décembre 2017 le déficit budgétaire primaire était de 1,03% et il est estimé à 1,86% en 2018. Les déséquilibres sont la conséquence de la gabegie et de la mauvaise gestion. Les subventions et autres transferts de l’Etat ont servi à combler les importants déficits des entreprises publiques. A titre d’illustration il faut noter qu’en 2016, la société d’Etat Electricité De Guinée (EDG) qui a bénéficié d’une subvention d’exploitation de 473, 2 milliards de francs guinéens alors qu’elle a enregistré un résultat net négatif de 1 130,7 milliards de francs guinéens.
De plus, il est bon de souligner que la masse salariale contribue à accentuer le déficit car les différents recensements biométriques des fonctionnaires de ces dernières années ont permis de déceler des milliers de fonctionnaires fictifs en Guinée. Rappelons également que selon le rapport Mo Ibrahim de 2017, la Guinée figure parmi les pays africains où il y a le plus de détournements de fonds publics. En effet, avec un score de 10,4 au niveau du détournement de fonds public, la Guinée est classée 39ème sur 54 pays. De plus, « selon le rapport 2011 de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption, repris par celui de 2017, le volume des pots-de-vin pour la Guinée avoisine en moyenne 600 milliards de francs guinéens chaque année.
Des réformes structurelles s’imposent
Tout d’abord, le gouvernement doit mettre fin au contrôle du prix du carburant. Il est indispensable d’instaurer la libre concurrence pour chasser les rentes en brisant le monopole détenu par la Société Guinéenne des Pétroles (SGP) sur toutes les opérations d’importation et de stockage, et de livraison en gros de tous les produits pétroliers. L’ouverture de la filière à la concurrence permettra à terme de faire baisser les prix et d’améliorer la qualité des produits.
Ensuite, la fiscalité sur le carburant doit être réformée en revisitant les sept régimes fiscaux des produits pétroliers. Il est ici question d’alléger la fiscalité sur le carburant et de suppimer l’exonération des sociétés publiques telles que Société des Eaux de Guinée (SEG) et Électricité de Guinée (EDG). Dès lors, une privatisation de ces entreprises publiques dans les règles de l’art est indispensable pour réduire les déséquilibres financiers et améliorer leurs performances. De façon générale, il s’agit de rendre meilleure la gouvernance dans le secteur public guinéen en luttant efficacement contre les détournements de fonds publics et la corruption. Le but étant que leur incurie ne soit plus systématiquement réparée aux frais des contribuables.
Enfin, pour atténuer les effets de la suppression de la subvention sur les populations les plus pauvres, il est essentiel de mettre en place des mesures d’accompagnement. Il s’agira de prévoir des aides ciblées au profit des personnes les plus vulnérables pour qu’elles puissent supporter l’application de la vérité des prix.
Somme toute, s’il est vrai que les réformes sont indispensables, elles doivent être faites de façon graduelle pour atténuer leurs potentiels effets négatifs sur une population qui est habituée, depuis des décennies, aux subventions. Une meilleure sensibilisation des populations permettra d’éviter que toute action menée pour supprimer ou réduire les subventions se heurte à une forte résistance.
Par KRAMO Germain, analyste économiste ivoirien