A l’Est du Tchad, ils sont quelque 230 000 réfugiés soudanais ayant fui les violences du Darfour depuis 2004, regroupés dans douze camps le long de la frontière soudano-tchadienne. Si la situation humanitaire en ce qui concerne l’eau, l’approvisionnement en nourriture et la santé est stable, un défi se profile : celui du sida. L’Unicef est la seule organisation à se pencher sur le problème. Reportage au camp de réfugiés de Gaga, près d’Abéché.
Notre envoyée spéciale au Tchad
« Le sida un problème sérieux. C’est bien de donner à manger aux gens mais il faut aussi s’occuper de leur avenir ! » Le ton est donné. Nanyalta Madingué, coordinatrice des programmes VIH/sida de l’Unicef dans l’ensemble des camps de réfugiés soudanais au Tchad, parle du sujet avec détermination. Et de la détermination il en faut, lorsqu’on sait que l’Unicef est la seule organisation internationale à prendre le problème à bras-le-corps dans les 12 camps de réfugiés soudanais qui s’égrènent le long de la frontière et accueillent depuis 2004 quelque 230 000 personnes. Celui de Gaga est réputé être le plus sûr car c’est le plus à l’intérieur du pays et le plus proche de la ville d’Abéché.
On y trouve un centre d’écoute et de documentation sur le VIH/sida flambant neuf, ouvert en décembre dernier. Nanyalta n’est pas peu fière. Elle montre deux tentes : « Avant tout se passait là, dans la chaleur, la poussière… les tentes se déchiraient, c’était difficile ! Aujourd’hui, dans les douze camps de réfugiés, on a un bâtiment comme celui-là, depuis le premier trimestre de cette année. On y passe des petits films en arabe tchadien notamment. On fait de la prévention, de la sensibilisation chez les adolescents et on insiste sur le port du préservatif. On en n’est pas encore à la phase de dépistage, malheureusement, mais il faut bien commencer par quelque chose ! »
Pratiques à risques
Le projet-pilote de l’Unicef a été lancé en 2005. « On s’est rendu compte de l’importance du VIH dans les camps dès 2004, après des rapports sur les MST (maladies sexuellement transmissibles, ndlr) et la syphillis, qui sont des portes d’entrée du VIH. Les activités ont commencé en 2005 dans tous les camps. Elles varient selon les ONG sur place et leur expertise en matière de sida, mais notre objectif en 2007 est de recruter des coordinateurs VIH pour tous les camps. » Les réfugiés soudanais sont particulièrement exposés au risque de contamination du VIH. Outre les nombreux cas recensés de MST et de syphillis parmi eux, ils pratiquent la circoncision, l’excision et les tatouages sans précaution d’hygiène. Les réfugiés sont également en contact avec les populations locales. Et l’insécurité qui prévaut à l’extérieur des camps, du fait de différentes milices, soudanaises ou tchadiennes, est aussi un danger : les cas de viols de femmes réfugiées qui partent en brousse ramasser du bois sont récurrents. « Il faut mettre en garde ces gens, les sensibiliser, avant qu’ils ne retournent au Darfour », précise Nanyalta.
Le taux officiel de séro-prévalence est de 1,4% dans l’Est du pays mais ce chiffre est faussé par le manque de dépistage. « Dans les camps, il n’y a pas de chiffre sur le taux d’infection mais il y a des cas suspects de morts », explique Nanyalta. Et il n’y a aucune information sur la présence de la maladie au Darfour. « On a voulu coordonner nos actions avec le Darfour mais les gens là-bas ne parlent pas du tout du sida. » Au sein d’une population largement analphabète, le sexe est tabou, le sida aussi. « Quand on est arrivés, il y a eu de grosses réticences et même des manifestations ! Les réfugiés nous reprochaient de vouloir apprendre aux filles à devenir prostituées car on fait des démonstrations avec un pénis en bois ! Les gens du Darfour sont en grande partie analphabètes et n’avaient jamais entendu parler de la maladie. Mais petit à petit, nous avons réussi à nous faire accepter. On s’appuie beaucoup sur les leaders des communautés et sur les pairs éducateurs qui transmettent les messages à la population . »
Faire passer le message
Vingt pairs éducateurs (dix filles et dix garçons), qui se sont tous portés volontaires, ont été formés au camp de Gaga. Ils organisent régulièrement des causeries, jamais mixtes, sur le sujet du sida. Safia, 22 ans, indique qu’elle n’a encore jamais vu de malade mais qu’elle explique « les modes de transmission, que les gens ne connaissent pas toujours. Il y a la transmission sexuelle bien sûr mais aussi par le sang, les objets souillés et la mère séropositive. Je parle de fidélité, d’abstinence et du préservatif ! Toutes les filles volontaires comme moi reçoivent un kit de sensibilisation qui contient des préservatifs. Les gens viennent nous en demander de plus en plus, même si c’est encore tabou : ils font ça discrètement ! » Oumar, 36 ans, chef de l’équipe des femmes, est arrivé à Gaga il y a un peu plus d’un an. Il est polygame, vit avec ses deux femmes. « On vient du Soudan et dans notre région, on n’avait jamais entendu parler du sida. Mais ici, au camp, on a appris que c’est très dangereux et qu’il faut utiliser les préservatifs avec nos femmes. Les hommes comprennent le message. » Toute la difficulté est, justement, de toucher les hommes. Car entre 60 et 80% de la population des camps de réfugiés est constituée de femmes et d’enfants. Les hommes sont pour la plupart engagés dans la rébellion soudanaise ou dans des milices. Ils viennent visiter leurs famille la nuit, de façon irrégulière.
« Pour agir, il faut des moyens, notamment pour mettre en place des centres de dépistage », plaide Nanyalta. Sans compter que le grand défi de l’année 2007 est d’arriver à faire face à l’afflux de déplacés internes tchadiens qui, eux-aussi, fuient leurs villages attaqués par les miliciens soudanais et tchadiens. « Dans notre plan d’action 2007, nous prévoyons de nous occuper des déplacés car leurs leaders nous disent que le sida les préoccupent. L’Est est devenu une zone de concentration de populations, les déplacés sont obligés de vivre dans une grande promiscuité avec les populations locales, cela augmente les risques. » Pour sensibiliser les populations hôtes, un centre pour jeunes vient d’ailleurs d’ouvrir ses portes à Abéché. « Le programme national de lutte contre le sida est centralisé à N’Djaména, la capitale. Il n’est pas élargi au reste du pays », regrette Nanyalta. « La région de Goz Beida, à l’extrême-Est, qui accueille la plupart des déplacés près des camps de réfugiés, est complètement abandonnée. Il n’y a pas une structure, pas une association de lutte contre le sida. Ça fait mal de voir ça. »