La route tue surtout les pauvres. C’est l’un des constats du rapport de l’Organisation mondiale de la santé à paraître mercredi, dans le cadre de la Journée mondiale de la santé, dédiée à la sécurité routière. En Afrique sub-saharienne, les victimes meurent à cause des comportements à risques et du manque de moyens. Pour faire reculer le fléau, associations et chefs d’Etats s’engagent à prendre les choses en main.
A bas les chauffards. La Journée mondiale de la santé 2004 est placée sous le signe de la sécurité routière. Si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a choisi ce thème, c’est qu’il est plus que jamais un « problème de santé publique majeur ». Un fléau qui touche en priorité, et plus durement, « les pays à faibles revenus ou intermédiaires », selon le Rapport mondial sur la prévention des traumatismes dus aux accidents de la circulation de l’OMS à paraître ce mercredi. Des pays qui n’ont pas les moyens d’avoir un réseau routier aux normes ou qui ne peuvent pas prendre en charge à temps les blessés par manque de moyens. Alors que les associations doivent mettre les bouchées doubles pour faire reculer le phénomène, les chefs d’Etats s’engagent à participer à l’effort de guerre.
En Afrique, le taux d’accidents mortels se situait, en 2002, entre « 19,1 et 28,3 » pour 100 000 Africains, selon le rapport de l’OMS. Un taux qui oscillait pour l’Europe occidentale, le Canada et l’Australie, à cette même période, entre 11 et 12 pour 100 000 personnes. Les prévisions de l’Organisation ne laissent guère espoir pour une amélioration de la situation sur le continent africain. Le taux de mortalité devrait passer, en Afrique sub-saharienne, de 12,3 pour 100 000 personnes (chiffre pour 2000) à 14,9 pour un même échantillon (prévision pour 2020). Des accidents qui seront causés la plupart du temps par les conducteurs commerciaux.
Les deux roues très exposés
Les causes du problème sont nombreuses. L’abus de spiritueux est l’un des principaux facteurs d’accidents, mais l’excès de vitesse en zone urbaine est également très meurtrier. « Les minibus tendent à rouler à une vitesse raisonnable en ville. Mais une fois en zone rurale, ils changent de comportement et accélèrent. Ajouté à cela le mauvais état des routes, la vétusté et la surcharge des moyens de transport et le non respect des règles de sécurité et les accidents ne peuvent être que très meurtriers », estime Nicole Muhlrad, directeur de recherche en France à l’Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets).
Les premières victimes des accidents de la route sont les « usagers de la route vulnérables ». Entrent dans cette catégorie les piétons, les cyclistes et les motocyclistes et les passagers de transports publics tels que minibus, autocars et autres taxis. Le profil des personnes tuées varie en fonction des pays. « En Côte d’Ivoire, dans les années 80, le nombre de tués sur la route étaient à 75% des piétons. Ce chiffre doit être sensiblement le même aujourd’hui. Au Burkina Faso, par exemple, beaucoup de deux roues circulent, ce qui explique qu’ils soient sévèrement touchés lors d’un accident. Proportionnellement, dans les pays où il y a peu de véhicules deux roues le nombre de victimes est moins important », commente le directeur de recherche à l’Inrets, qui a beaucoup travaillé en Afrique.
Pas de statistiques disponibles
Les jeunes et les enfants sont exposés à un sur-risque d’accident. Lorsque leurs mères les emmènent au marché, elles ne peuvent pas toujours garder un œil sur leur progéniture, qui peut alors se faire happer par un véhicule. Leurs jeux en bord de route s’avèrent parfois fatals. D’aucuns estiment que leur scolarisation leur permettrait d’échapper à cette menace. L’éducation constituant un rempart à l’inconscience du danger qui menace les plus jeunes.
Avoir des chiffres sur la mortalité routière en Afrique est quasiment mission impossible. Très peu de pays possèdent des bases de données concernants les accidents de la routes. Et ceux qui en ont ne peuvent pas toujours mettre à jour leurs chiffres par manque de moyens. « C’est pourquoi quelques statistiques datent de plusieurs années. Certains pays essaient de s’en sortir tant bien que mal, mais les résultats relevés sont souvent partiels. Comme au Bénin, où ils ne recensent essentiellement que les tués sur le coup parce qu’ils n’ont pas les fonds nécessaires pour vérifier qui est mort pendant le transport à l’hôpital ou qui est décédé des suites de ses blessures », souligne Nicole Muhlrad.
Cruel manque de moyens médicaux
Décédé de la suite de ses blessures parce qu’elles étaient trop graves. Ou par manque de temps et de moyens. Peu de pays peuvent financer des services d’ambulance de zone urbaine ou même dépêcher à temps des équipes d’urgence. Ce sont souvent des véhicules commerciaux qui transportent les blessés dans les centres hospitaliers. Mais une fois sur place, certains hôpitaux ne sont pas équipés pour recevoir les grands blessés de la route. Au Kenya, par exemple, le personnel manque « d’oxygène, de plâtre de Paris, de sang, de pansements, d’antiseptiques, d’anesthésiques locaux et généraux, et de tensiomètres », énumère le rapport de l’OMS. Des difficultés que rencontreraient en majorité les hôpitaux publics, fréquentés par les plus pauvres. Sur le continent en général, il faut souvent attendre des heures avant d’être pris en charge. Parfois, c’est un simple médecin généraliste, non formé à la traumatologie, qui va s’adapter à l’urgence du moment…
Lorsqu’une victime décède ou reste invalide, c’est toute une famille qui pleure, mais qui se prépare aussi à de lourds problèmes économiques. « Les répercussions s’étendent à l’infini : dislocation des familles, coût élevé des services de conseil aux parents endeuillés, absence de revenu lorsque le chef de famille disparaît, milliers de rands (monnaie sud-africaines, ndlr) dépensés pour soigner les personnes blessées ou paralysées », a déclaré Moira Winslow, présidente de l’association sud-africaine Drive Alive (Conduire vivant), qui met notamment au point « des interventions destinées à protéger les usagers de la route vulnérables ». Un coût énorme aussi au point de vue continental. Les accidents coûtaient au continent, en 1997, 3,7 milliards de dollars par an, selon les chiffres de l’OMS.
Tous ouvriers de la sécurité
Seul frein à l’hécatombe humaine et économique : la prévention. L’Organisation mondiale de la santé va d’ailleurs lancer, mercredi, une vaste campagne au Kenya, qui détient, selon Angola Press, le triste record du nombre de tués et blessés sur le continent. « Plus de 3 000 Kenyans, âgés pour la plupart de 15 à 44 ans, sont tués chaque année sur nos routes », annonce en préface du rapport de l’Organisation le Président du Kenya Mwai Kibaki. A l’échelle continentale, le travail des associations sera de longue haleine. Convaincre la nécessité de rénover les axes routiers défectueux, même si pour certains pays il existe d’autres priorités. Former les personnes, et plus particulièrement les transporteurs commerciaux, aux premiers secours, comme au Ghana, pour réduire le nombre de décès sur la route de l’hôpital. S’inspirer des modèles étrangers pour progresser.
Des efforts qu’ils ne pourront pas mener seuls. Les bailleurs de fonds jouent un rôle essentiel, mais ils tendent à devenir frileux en raison de l’opacité dans l’utilisation des fonds précédemment alloués. Rapportant les propos du directeur régional de l`OMS pour l`Afrique, le Dr Ebrahim Samba, Angola Press écrit qu’il « a regretté le fait que beaucoup de pays en développement soient placés sur la « liste noire » de la communauté des donateurs pour cause de défaut de mise en oeuvre de projets déjà agrées et de manque de transparence et de responsabilité ».
Gagner ce combat c’est aussi « une question de volonté politique », comme souligne le Dr Lee Jong-Wook, directeur général de l’OMS. Le message semble avoir été entendu. Certains chefs d’Etat se sont déjà engagés à réagir. A l’image du Président éthiopien, Girma Wolde Giorgis, qui a déclaré vouloir profiter de la Journée mondiale de la santé « pour promouvoir le port de la ceinture de sécurité et réprimer les excès de vitesse et l’alcool au volant ». Mwai Kibaki entend « rendre obligatoire l’installation de limitateurs de vitesse dans les véhicules du service public ». Pourvu que ces volontés se traduisent dans les faits pour permette au continent d’être très en deçà des sombres prévisions de l’OMS.
Lire aussi:
Consulter le rapport de l’OMS