Stomy Bugsy, l’acteur


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D’abord connu pour ses talents de rappeur, Stomy Bugsy s’illustre désormais sur les écrans de cinéma. Depuis le début des années 2000, il apparaît régulièrement dans des longs métrages français. Et il travaille d’arrache pied pour se tailler une place, en tant qu’acteur, dans le monde du septième art. Rôle titre dans le dernier film de Guy Deslaurier, Aliker (2008), il était invité la semaine dernière au quatrième festival Cinamazonia, en Guyane. Quels sont ses modèles, ses ambitions, ses envies d’acteur ? Stomy Bugsy se livre sans détour.

C’est en 1996, dans Ma 6-T va crack-er de Jean-François Richet que Gilles Duarte, alias Stomy Bugsy, a fait ses premiers pas au cinéma. Il y incarnait le rôle d’un jeune banlieusard. Un personnage proche du rappeur de Sarcelles (région parisienne) originaire du Cap-Vert, membre du sulfureux groupe Ministère Amer, qu’il était dans la vie. Mais peu à peu, au fil de la quinzaine de longs métrages auxquels il a participé dans le courant des années 2000, il a endossé des rôles de composition. Policier droit dans ses bottes dans Gomez et Tavares (2003) et Gomes vs Tavarez (2007), star du football superficielle et vénale dans 3 Zéros (2002), il incarne André Aliker, un journaliste engagé dans la lutte du prolétariat martiniquais contre les abus des békés (blancs descendants d’esclavagistes), le personnage principal du dernier film de Guy Deslaurier (Aliker, 2008). Le métier d’acteur est pour lui, aujourd’hui, une priorité, mais son âme de chanteur révolté reste intacte.

Afrik.com : Quels sont les films et les acteurs qui vous ont donné envie de faire du cinéma ?

Stomy Bugsy :
Le premier film qui m’a vraiment marqué, c’est Black Caesar de Fred Williamson, un film de la Blaxploitation. Une classe extraordinaire ! Chez les acteurs, c’est Harvey Keitel dans Bad lieutenant et Al Pacino dans Looking for Richard qui m’ont le plus impressionné. Mais je ne peux pas vous donner le nom de tous les acteurs que j’aime, il y en a trop !

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le jeu de Harvey Keitel ?

Stomy Bugsy :
Ce que j’aime chez Harvey Keitel, c’est le lâcher prise, cette distance, ce don de soi dont il fait preuve, cette capacité qu’il a de s’offrir au spectateur, de laisser quelque chose d’impalpable, une vérité actuelle.

Afrik.com : Comment vous est venue cette passion pour la comédie ?

Stomy Bugsy :
Pour moi, jouer, c’est tout sauf jouer. C’est vivre la scène, c’est sublimer la vérité, c’est être plus vrai au cinéma que dans la vie. Le réalisateur de Ma cité va craquer, le premier film dans lequel j’ai joué, était venu me voir. Il m’avait proposé une petite scène, et ça s’est transformé en une impro de trois minutes. Avant, quand j’étais au primaire, on jouait de petites scènes de théâtre. Les profs ne comprenaient pas comment je pouvais être aussi dissipé dans leurs cours, alors qu’au théâtre j’étais si assidu et concentré. Même dans mes premières chansons, dans mes premiers clips, j’avais une façon de chanter, de dire les mots qui était très jouée, très investie.

Afrik.com : Dans Aliker, le film de Guy Deslaurier, vous incarnez le premier rôle, celui d’un journaliste engagé. Vous a-t-il été difficile d’interpréter ce personnage ?

Stomy Bugsy :
Il n’y avait rien de dur. Mais c’était une lourde responsabilité car, même si tout le monde ne connaît pas parfaitement son histoire, c’est une icône en Martinique. A la lecture du scénario, j’ai vu que c’était un personnage assez fort, une locomotive. Guy Deslaurier m’a donné des lettres qu’il avait écrites à son petit frère. J’ai pu travailler à partir d’elles, de ses photos, de son acte de décès qui décrivait combien d’eau était rentré dans ses poumons et plein d’autres choses atroces… Le plus dur, dans l’interprétation de ce personnage, c’était de ne pas en faire une caricature, d’y mettre ses doutes, ses failles aussi.

Afrik.com : Comment expliquez-vous que le film ait eu tant de difficultés à être projeté dans les salles en France ?

Stomy Bugsy :
J’explique ça par le fait que la France n’a pas encore réglé ses problèmes avec les DOM-TOM. La République a encore beaucoup de problèmes à régler avec ses anciennes colonies. Au lieu d’essayer de nettoyer, elle cache tout sous le tapis. J’ai une amie qui disait que « le mensonge a des jambes trop petites pour les grandes jambes de la vérité, elle finira toujours par la rattraper ». Le film a un côté politique qui montre que gouverneur, sénateurs, ministres étaient tous complices… Et en France, ils veulent garder le cinéma pour eux parce qu’ils savent que par ce biais on peut éduquer les masses, faire connaître des vérités à des millions de personnes. Maintenant, il y a une guerre des images, tout se passe là. Ils le savent. C’est pour ça qu’on voit de moins en moins de films noirs américains dans les salles. Les films qui peuvent éveiller les jeunes sortent directement en DVD. Le dernier film de Spike Lee, par exemple, (Miracle à Sant’Anna, 2008), sur les noirs venus libérer l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, a été censuré en France. C’est un discours que je n’aime pas avoir parce que ça fait noir râleur, mais c’est vrai. Nous, on n’a pas de problèmes avec eux, c’est plutôt eux qui ont un problème avec nous.

Afrik.com : Vous prenez des cours, en ce moment, pour améliorer votre jeu. Comment cela se passe-t-il ?

Stomy Bugsy :
Je suis dans une école qui s’appelle Method acting center, à Paris. On travaille la méthode de Stanislavski, importée aux Etats-Unis par des Russes et des Allemands de l’Est après la Seconde Guerre mondiale. C’est la méthode utilisée par l’Actor studio, qui a donné les meilleurs acteurs du monde. Certains pensent qu’elle est trop intellectuelle, mais non, elle est très simple, très animale ! Tout se construit de l’intérieur. Il faut savoir qui est ton personnage, ce qu’il ressent. Tu nourris ton personnage de plein de choses que le spectateur ne sait pas mais qui donnent une densité au personnage. Parfois, même sans parler, c’est fort, parce que tu as fait un travail en amont. J’aime aussi faire des répétitions pour régler plein de choses dans mon jeu, pour être meilleur. Je trouve qu’on en n’en fait pas assez en France.

Afrik.com : Quels sont les rêves de Stomy Bugsy, l’acteur ?

Stomy Bugsy :
Tout simplement travailler avec de bons réalisateurs, avoir de bons scenarios, et un jour passer à la réalisation.

Afrik.com : Avez-vous fait une croix sur votre carrière musicale?

Stomy Bugsy :
Non. Je chante un petit peu encore, avec la MC Malcriado, mon groupe. On mélange de la musique traditionnelle du Cap Vert avec du Hip Hop. On vient de terminer notre deuxième album, Fitch di kriolo.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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