Le Kenya tente de faire face à une crise financière dont les effets indirects ont conduit à la perte de quelque 10 000 emplois, à un recul de l’industrie touristique et à une baisse des transferts d’argent issus de la diaspora. Le développement des infrastructures est une des réponses du Kenya à la crise. Tout en comblant son déficit infrastructurel, les autorités kényanes trouvent un palliatif au chômage des jeunes. Entretien avec le vice-président Stephen Kalonzo Musyoka qui participe, à Genève, au sommet de l’organisation internationale du travail (OIT) sur la crise de l’emploi.
De Genève
Le vice-président kényan, Dr. Stephen Kalonzo Musyoka, a participé ce mardi, dans le cadre du mini-sommet de l’Organisation internationale du travail sur la crise mondiale de l’emploi, à un panel consacré à la gestion des agendas nationaux relatifs à l’emploi en temps de crise.
Quels sont les effets de la crise financière sur le Kenya, notamment en matière d’emploi ?
Stephen Kalonzo Musyoka : Nous devons rendre hommage à notre secteur bancaire car nos institutions financières sont restées assez stables durant cette crise. Ceci étant dit, selon nos estimations, la crise financière est à l’origine de la perte d’environ 10 000 emplois, la plupart dans le secteur formel. L’un des problèmes majeurs auquel sont confrontés les pays africains est l’échec des plans d’ajustements structurels. Ils (les bailleurs de fonds internationaux, ndlr) ont insisté sur la nécessité de réduire les dépenses publiques et on nous a demandé de tout privatiser. Nous l’avons fait. Résultat : nous avons exclu des gens du marché du travail. En dépit des efforts fait en matière de construction, de production industrielle, l’économie kényane repose majoritairement sur le secteur agricole. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre en place, cette année, un programme de développement des infrastructures (intensif en emploi) pour faire face à la crise. La crise est également à l’origine d’un ralentissement des transferts d’argent de la diaspora kényane. Les Etats-Unis, à eux seuls, accueillent un quart de million de nos concitoyens que l’on retrouve également au Moyen-Orient, notamment aux Philippines d’où ils envoient beaucoup d’argent. Nous espérons que la situation se stabilisera. Le secteur touristique pâtit aussi de cette crise. Nous espérons, encore une fois, d’ici octobre que la situation s’améliorera.
La coopération entre Etats, selon l’Organisation internationale du travail, s’avèrera déterminante pour lutter contre la crise. Comment envisagez-vous la question au sein du Marché Commun de l’Afrique de l’Est de l’Afrique Australe (Comesa), dont vous êtes membre ?
Stephen Kalonzo Musyoka : Nos pays sont en train d’évaluer la situation, notamment en termes d’impact sur le commerce, parce que c’est de cela qu’il s’agit au sein du Comesa. Le Kenya y est très actif et est l’un des principaux bénéficiaires des accords qui ont été signés. La La Banque centrale américaine a parlé de « tsunami du crédit », nous devons aujourd’hui éviter un tsunami de l’emploi. Nous pouvons utiliser les accords régionaux pour y parvenir. Cependant, les effets sur le marché du travail ne seront pas immédiats. Aussi bien les Etats membres du Comesa et de la SADC (la Communauté de développement d’Afrique australe), les pays d’Afrique de l’Est dans leur ensemble, ont les yeux rivés sur l’Union africaine. Le prochain sommet se tiendra à la fin de ce mois en Libye. J’espère que l’Afrique s’y exprimera d’une seule voix sur cette question. Nous essayons, ici (à Genève), de préparer le terrain et de tirer la sonnette d’alarme. Nous disons aux employeurs, aux gouvernements et aux travailleurs qu’ils faut que nous unissions nos forces pour sortir de cette crise. Des actions concrètes doivent être menées. Nous devons bien évidemment repenser les fondamentaux du marché. Comme le président Lula du Brésil l’a dit, pouvons-nous nous permettre de continuer dans cette voie ?
Le Kenya déjà pris des mesures pour faire face à la crise de l’emploi, et surtout au chômage des jeunes. De quoi s’agit-il ?
Stephen Kalonzo Musyoka : Les jeunes doivent retrousser leurs manches, saisir toutes les opportunités que leur offre le secteur formel et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour les y aider. Nous espérons grâce à ce programme créer plus de 300 000 emplois pour les jeunes. Ils construiront des routes, seront employés dans le secteur agricole, feront du reboisement parce que le Kenya perd ses forêts. La moyenne mondiale de la couverture forestière est de 10%, celle du Kenya est de 2%. Nous incitons activement les jeunes à travailler. En fixant ces emplois dans leurs régions d’origine, nous contenons aussi l’exode rural qui est à l’origine du développement préoccupant des bidonvilles.
Bien avant la crise, le chômage constituait déjà un problème dans les pays africains. Cette crise de l’emploi, parce qu’elle fait de sa résolution une question globale, sera-t-elle l’occasion pour les pays africains de mesurer toute l’ampleur du problème ?
Stephen Kalonzo Musyoka : Nous devons encourager l’OIT à occuper la place déterminante qui est la sienne au regard de cette problématique, à poursuivre ardemment le travail de sensibilisation qu’elle mène déjà. Dans cette optique, le Pacte mondial pour l’emploi proposé par le secrétaire général Juan Somavia sera déterminant. Il est tant que l’OIT puisse s’exprimer son point de vue devant ceux qui sont responsables de cette crise. Partout dans le monde, c’est le moment de dire que si on ne donne pas du travail à nos concitoyens, nous risquons de nous retrouver dans une situation délicate. Nous risquons de passer des émeutes de la faim aux émeutes de l’emploi. Si les gens sont affamés et qu’ils n’ont pas la possibilité de travailler, d’avoir un travail décent, je ne sais pas quel pays pourra parler de démocratie ?
Pour les experts du Bureau international du travail, la protection sociale, la promotion du travail décent et la diversification sont les clés pour résister en Afrique à cette crise de l’emploi. Quelle est la situation du Kenya quant à ces différents aspects du travail promus par l’OIT ?
Stephen Kalonzo Musyoka : Avant de parler de parler de travail décent, je pense qu’il faut d’abord parler de travail. Dans la plupart de nos pays, il n’y en a pas du tout. Nous sommes totalement en accord avec les recommandations de l’OIT et son fort engagement en faveur du travail décent. Au Kenya, nous avons de très puissants syndicats de travailleurs qui sont en dialogue permanent avec les employeurs. Sous l’impulsion du gouvernement, le dialogue tripartite travailleurs, employeurs et gouvernement) nous permet de progresser. Nous nous attelons à concrétiser ce concept de travail décent au Kenya. Néanmois, je tiens à ajouter que depuis des années la Banque mondiale et le Fond monétaire international appellent à la réduction des dépenses publiques. Nous avons formé des instituteurs à qui nous sommes incapables d’offrir un emploi, alors que notre système éducatif en a besoin. Pourquoi ? Parce qu’il faut réduire les dépenses publiques. Nous devons, certes, diversifier notre économie mais nous donnons, pour l’heure, la priorité aux infrastructures qui permettent de fournir du travail aux jeunes Kényans.