« Souviens-toi du Joola » : le témoignage d’un rescapé français


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Patrice Auvray

Toute rentrée scolaire veut aussi dire rentrée littéraire. Afrik.com a lu pour vous le livre témoignage Souviens-toi du Joola, écrit par Patrice Auvray, l’un des 64 rescapés du naufrage du ferry, survenu le 26 septembre 2002 au large de la Gambie. Ce naufrage avait causé la mort de près de 2 000 victimes, dont 11 Français. Entretien.

Le président sénégalais Macky Sall a décidé fin août 2012 de ne pas rouvrir l’instruction judiciaire sur le naufrage du ferry Joola, close en 2003 sans qu’aucune condamnation n’ait été prononcée par le parquet. A l’approche du dixième anniversaire de la catastrophe, le 26 septembre 2002, le naufrage du ferry qui assurait la liaison entre la Casamance et Dakar, hante encore les esprits. Au total, près de 2 000 personnes ont péri. Patrice Auvray, l’un des 64 rescapés de la catastrophe, a écrit le livre témoignage Souviens-toi du Joola, paru le 20 août. Rencontre avec cet homme qui entend justifier sa survie par sa prose.

Afrik.com : Dix ans après ce naufrage, quel souvenir gardez-vous du Joola ?

Patrice Auvray : C’est un événement qui a laissé des marques qui ne s’effacent pas en dix ans. Les familles des victimes vivent toujours dans le souvenir de leurs proches naufragés. Cet évènement a marqué la population. Il faut dire que la situation semblait désespérée. Le moment le plus stressant était celui qui était successif au renversement du bateau, on pensait qu’on était tous condamnés à mort. Au vu de la vitesse à laquelle se retournait le bateau, il semblait impossible de s’en sortir. Les couloirs étant bondés. Les canots de survie ne pouvaient pas être évacués. Il faut savoir que nous, les rescapés de ce naufrage, nous n’avons pas été assistés comme nous aurions dû l’être.

Afrik.com : Commet avez-vous réussi à vous sauver ?

Patrice Auvray : J’ai réussi à sortir par la fenêtre, avec mon amie Corinne, on a nagé à peu près une heure, avant qu’elle ne se noie. J’ai réussi à monter sur l’épave retournée du bateau, et j’ai attendu jusqu’au lendemain l’arrivée des secours qui nous ont récupérés et nous ont ramenés vers un chalutier.

Afrik.com : Vous en voulez-vous d’être en vie ?

Patrice Auvray : Si vous parlez du sentiment de culpabilité, effectivement, oui. On se demande pourquoi nous on a survécu et d’autres non, on peut se sentir, comme je l’ai été, dirigé vers un témoignage. C’était important pour moi d’écrire quelque chose qui justifie ma survie. Ce n’est pas un rachat, c’est une manière de montrer qu’on n’a pas survécu pour rien. Une façon de justifier ma survie.

Afrik.com : Quel témoignage porte ce livre ?

Patrice Auvray : De la matinée, à l’embarquement, jusqu’après le naufrage, c’est un récit très intime qui cherche à être le plus précis, pour que le lecteur puisse vivre par procuration cette catastrophe, et en tirer les leçons qui s’imposent. C’est-à-dire, on sait dans l’histoire du naufrage, qu’il n’y a pas eu d’assistance des secours, puis par la suite, tout à été mal fait au niveau des familles des victimes. finalement, il y a des leçons à tirer de la part des responsables, pour une prise en compte du coté tragique de l’événement. Le naufrage du ferry Joola reste le premier naufrage civil sur le plan des victimes avec près de 2 000 décès. C’est un événement extrêmement grave. Le problème est qu’on en n’a pas tiré les manquements en matière de sécurité. Ce n’est pas qu’une question de responsabilité en matière de justice, c’est aussi relatif au comportement de chacun. Aucune des structures de contrôle de réparation n’a fonctionné ; les organismes de secours ne sont pas intervenus.

Afrik.com : S’il y avait trois points à retenir de cet ouvrage ?

Patrice Auvray : D’abord, ce qui m’a marqué ce sont les cris des survivants à l’intérieur de l’épave, très nombreux, on s’est posés la question de savoir s’ils seraient secourus. Nous étions désespérés pour eux, ils sont tous morts avant l’arrivée du plongeur qui s’est porté volontaire, Hai-dar Lel Ali. Puis, La conjonction de causes qui en provoquent une énorme catastrophe. Enfin, l’absence de secours m’a sidéré, un mépris absolument incroyable pour les victimes.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous ressenti ce besoin d’écrire ?

Patrice Auvray : Nous, rescapés, nous nous trouvions sur l’épave du bateau. On était si peu nombreux. J’ai ressenti le besoin d’effectuer un devoir de mémoire, j’en ai parlé aux autres, pour raconter mon histoire, mais le mieux que je pouvais faire, c’était de la raconter moi-même.

Afrik.com : Avez vous des reproches à faire aux autorités sénégalaises ?

Patrice Auvray : Le Président Macky Sall ne veut pas rouvrir le dossier de justice or ce dossier mérite d’être rouvert. Cette justice n’est pas totalement indépendante. L’année dernière, les magistrats sénégalais ont manifesté, ils devraient eux même prendre en main ce dossier en s’affranchissant de l’Etat. C’est Abdoulaye Wade qui a classé l’affaire. Macky Sall, lui, soit il connait mal ce dossier, soit comme Wade, il veut cacher les tenants et aboutissants du naufrage. C’est à la justice de déterminer les responsabilités de chacun, et déterminer pourquoi un bateau qui transporte un tel monde n’était pas en état, n’était pas assuré. Et pourquoi il n’y a pas eu de secours. Le gouvernement sénégalais a fait taire la justice autant dans les questions que dans les réponses. Nous, en tant que témoin, on n’a pas été sollicités, il n’y a jamais eu d’enquête ! C’est à la responsabilité de l’Etat sénégalais de ne plus couvrir ce silence. Tout le monde a besoin de savoir les causes de cette catastrophe, pour qu’un tel évènement tragique ne se reproduise plus. Ni le gouvernent ni la population n’a compris les leçons qui s’imposaient

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