Sous couvert d’aide humanitaire, les Émirats arabes unis alimentent activement le conflit au Soudan


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Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dagalo
Abdel Fattah al-Burhan et Mohamed Hamdan Dagalo

En finançant et en fournissant des armes à une milice soudanaise, les Émirats arabes unis font partie des principaux responsables dans l’escalade du conflit qui se joue actuellement au Soudan. Le bilan humain s’élève à 9000 morts et 4 millions de déplacés internes. Un drame trop souvent passé sous silence.

« Partout au Soudan, les civils sont confrontés chaque jour à une horreur inimaginable » : dans un rapport publié en août dernier, Amnesty international a tiré la sonnette d’alarme. Depuis avril 2023, le pays africain est, en effet, en proie à une lutte intestine qui se voit opposer deux généraux, Abdel Fattah al-Burhane d’une part et Mohamed Hamdan Dagalo d’autre part.

Ce dernier, qui est à la tête d’une force paramilitaire, a activement participé à des massacres, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité lors de la guerre du Darfour, dans le courant des années 2000. Or, plusieurs enquêtes menées par des ONG et des journalistes, dont Amnesty International et le New York Times, ont démontré que Mohamed Hamdan Dagalo est directement soutenu — aussi bien économiquement que militairement — par les Émirats arabes unis (EAU), qui veulent à tout prix accroître leur influence dans la Corne de l’Afrique et au Soudan en particulier.

Un conflit interne aux nombreuses ramifications internationales

Depuis le 15 avril 2023, une lutte interne terrible oppose les Forces d’appui rapide (FSR) et les forces armées soudanaises pour le contrôle du territoire, respectivement menées par Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », et le général Abdel Fattah al-Burhane.

Les deux hommes, qui étaient tous les deux à la tête du Conseil militaire de transition mis en place à la suite de la révolution qui a chassé Omar el-Béchir du pouvoir en 2019, ont été incapables de se mettre d’accord pendant cette phase transitoire. Le point d’achoppement principal réside dans l’intégration du groupe paramilitaire FSR dans l’armée régulière.

Un conflit de personnes et une confrontation entre deux mouvements militaires qui a fait basculer le payer dans une guerre civile, largement alimentée par les ingérences étrangères.

« Abdel Fattah al-Burhane est soutenu par l’Égypte et par les États-Unis », explique Jabeur Fathally, professeur de droit à l’Université d’Ottawa. De l’autre côté, « Hemedti et les miliciens des FSR sont soutenus par les Émirats arabes unis, la plus grande partie de l’or soudanais étant destiné au marché émirien ».

Le partenariat fructueux entre Hemedti et les Émirats arabes unis

Le rapprochement entre Hemedti et les Émirats arabes unis est loin d’être nouveau, au contraire. Le général s’est associé aux EAU dès 2018 : celui-ci a envoyé plusieurs milliers d’hommes combattre au Yémen aux côtés des soldats émiratis et saoudiens, au plus fort de la guerre contre la rébellion houthie. Une opération particulièrement lucrative pour le Soudanais, originaire du Darfour. Sa fortune s’est d’ailleurs aussi accrue sensiblement en exploitant des mines d’or soudanaises et en vendant le précieux métal à ses alliés arabes.

Comme le résume Andreas King, professeur au King’s College London, « Hemedti est devenu le principal bénéficiaire d’un commerce opaque de l’or. […] Dubaï, l’une des principales plaques tournantes du commerce de l’or dans le monde, a fourni les moyens nécessaires pour échanger le métal contre de l’argent liquide ». Ce sont justement ces fonds, acquis en faisant commerce avec les Émirats, qui permettent aujourd’hui de payer les milices du FSR.

Les Émirats arabes unis ont évidemment aussi à y gagner dans cette affaire. La fédération arabe est l’un des investisseurs principaux parmi les pays du Golfe dans la Corne de l’Afrique, une région dans laquelle les EAU veulent s’imposer comme un acteur influent, notamment grâce au contrôle des ports et du transport maritime.

Le Soudan est le deuxième producteur d’or en Afrique

Sur ce point, le Soudan représente un intérêt stratégique majeur : deuxième producteur d’or en Afrique, le pays abrite également des réserves importantes d’uranium, de cobalt et d’argent, et dispose de 200 millions d’hectares de terres fertiles. En décembre 2022, les Émirats arabes unis ont d’ailleurs signé un accord de 6 milliards de dollars pour développer un port au nord de Port-Soudan, sur le littoral de la mer Rouge.

Mais l’implication des Émirats arabes unis au Soudan a pris une tournure autrement plus préoccupante depuis le début du conflit actuel. Selon une douzaine d’anciens et actuels responsables américains, européens et africains, dont les témoignages ont été recueillis par le New York Times, « les Émirats arabes unis mènent une opération secrète complexe pour soutenir l’une des parties en conflit au Soudan, en fournissant des armes puissantes et des drones, en soignant les combattants blessés et en transportant par avion les cas les plus graves vers l’un de leurs hôpitaux militaires ».

Des livraisons d’armes sous couvert de mission humanitaire

Selon les journalistes du quotidien américain, les EAU ont ainsi fourni des missiles antichars Kornet ainsi que des milliers d’armes, qui seraient livrées par avion dans une petite ville du Tchad, Amdjarass. « Depuis Amdjarass, les armes sont acheminées à 241 km à l’est, jusqu’à Zurug, la principale base des FSR, au cœur du fief du général Hamdan au Darfour-Nord », expliquent les reporters du NYT.

Néanmoins, de source officielle, les Émirats sont certes impliqués dans la région, mais « uniquement pour des actions humanitaires ». La fédération arabe a ainsi publié de nombreux communiqués de presse cet été, où elle détaille l’aide qu’elle offre aux civils soudanais : ouverture d’un hôpital, distribution alimentaire… Par ailleurs, les EAU font partie de la Quadrilatérale, un groupe diplomatique qui compte également les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Arabie Saoudite, et dont la mission est de négocier la fin du conflit.

Un double jeu particulièrement malsain, qui agace la scène internationale et les ONG. « Soutenir des activités militaires sous de prétendus auspices humanitaires met gravement en danger le personnel humanitaire légitime. Il s’agit également d’une violation des statuts et des principes du mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge », s’est emporté Jeremy Konyndyk, président de l’ONG Refugees International, dans un communiqué publié fin septembre dernier.

Une hypocrisie d’autant plus difficile à admettre que le bilan humain du conflit est d’ores et déjà catastrophique, un peu moins de six mois après le début des hostilités : 9000 civils ont perdu la vie et quatre millions de personnes ont été déplacées. Environ 2000 Soudanais afflueraient tous les jours vers le Tchad, selon les ONG présentes dans la région. « Les Émirats arabes unis se sont alliés aux auteurs du génocide de 2003 au Darfour et les arment aujourd’hui activement, en violation d’un embargo contraignant des Nations unies sur les armes, alors qu’ils se livrent à nouveau à des atrocités de masse dans la région », a affirmé le président de Refugees International. Il en appelle donc à l’ouverture d’une enquête internationale, menée par les Nations unies, sur les violations de l’embargo sur les armes au Darfour par les Émirats arabes unis.

Par Jean Benoît

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