Souleymane Faye, l’ex-leader vocal du mythique groupe sénégalais des années 80, Xalam, continue sa carrière solo au pays de la Téranga. Il chante toujours quand ça lui chante, au gré du temps, selon son inspiration, en toute liberté, sans logique commerciale et label pour impulser sa carrière. L’ébéniste de métier est devenu un parolier qui aime tremper sa plume dans la plaie pour dénoncer des vérités qui dérangent car, il ne peut se mentir à lui-même et aux autres. Une authenticité qui s’entend à travers son style musical unique, mêlant sonorités africaines, jazz, afrobeat… loin des tambours endiablés du mbalax… Rencontre avec un artiste hors norme.
A Dakar
Les cheveux soigneusement coiffés. Vêtu d’une veste grise foncée, assemblée à un nœud papillon, Souleymane Faye est bien apprêté à quelques heures de sa présentation sur scène, ce soir, à l’hôtel Terrou bi, à Dakar. Le chanteur sénégalais est serein comme à son habitude, discutant avec ses musiciens, autour d’un dîner, avant le début du show. Des discussions en wolof souvent parsemés de rires. Véritable ambiance à la sénégalaise ! Lorsqu’on le voit, difficile de croire que derrière son immense voix se cache un homme très simple, voire introvertie, auquel il est parfois difficile de soutirer des paroles. Alors que ses représentations font toujours parler d’elles, sans la vie de tous les jours, il est sans fard. Mais derrière son apparente simplicité se cache un parolier à la plume acerbe qui ne plait pas toujours. « Si mes chansons peuvent aider à réfléchir, tant mieux. Je n’arrêterai, de toute façon, jamais de chanter. Je chanterai jusqu’à mon dernier souffle », aime-t-il dire. Qui aurait cru que l’ébéniste de métier, né à Dakar en 1951, aîné de ses incalculables frères et sœurs, deviendrait un jour un chanteur connu de plusieurs générations.
Afrik.com : Vos années dans le mythique groupe Xalam des années 80 qui s’est fait un nom même à l’international sont bien loin derrière vous. Comment vivez-vous, depuis cette époque, votre carrière solo ?
Souleymane Faye : Je continue à faire des tournées partout au Sénégal, notamment dans les régions de Kaolack, Saint-Louis, et de Casamance. Mais notamment à l’étranger, en France, en Suisse, en Italie, où je participe aussi à des Festivals de musique. Je continue d’écrire ce que je vis et vois au quotidien. Je me produis également trois à quatre fois sur scène à Dakar pour pouvoir vivre de ma musique. L’industrie du disque est un milieu très difficile à l’ère du numérique. Mais je suis tout le temps sur scène pour vivre des fruits de mon travail.
Afrik.com : Comment avez-vous vécu les fous succès du mythique groupe Xalam qui fait encore parler de lui plusieurs décennies après pour sa musique innovatrice…
Souleymane Faye : Je vais vous étonner mais sincèrement je ne me suis pas rendu compte tout de suite que le groupe avait un tel succès (rires). A cette époque, nous vivions en France. Nous étions donc loin de tout ce qui pouvait se dire sur notre musique. Je me suis rendu compte de notre succès que des années bien plus tard.
Afrik.com : Racontez-nous comment cette aventure a commencé pour vous.
Souleymane Faye : J’ai connu Prosper Niang, un des membres du groupe, à travers son grand frère, Magaye Niang. C’est lui qui m’a vu chanter une fois au Novotel à Dakar. A cette occasion, j’évoluais au sein d’un orchestre à l’hôtel. Il voyait que je traduisais des chansons françaises et anglais en wolof et je chantais cela avec un réel bonheur. Il est tombé sur cela et une fois, il m’a demandé si je connaissais le Xalam. Je lui ai dit que oui et il m’a assuré qu’il aimerait bien que je les connaisse mieux. C’est lui Magaye qui a appelé Prosper qui est venu me trouver au Novotel, en 1985 je crois. Il faut dire que c’est un groupe que j’aimais beaucoup et que je ne connaissais pas. Par la suite, je les ai rejoint et j’ai réalisé deux albums avec eux. Je reconnais que le Xalam m’a beaucoup apporté. Je connaissais bien l’afrobeat à travers des artistes comme Osibissa, Féla Kuti, Huck Massakéla, Ifan Bondy de la Gambie… Cependant, je n’avais jamais eu l’occasion de jouer cette musique, et le Xalam m’a offert cette opportunité. En fait, ce groupe m’a permis d’exploser à la face du monde et de montrer le talent qui était caché en moi.
Afrik.com : Comment expliquez-vous le succès de Xalam?
Souleymane Faye : Je pense tout simplement que Xalam était en avance sur son temps ! Beaucoup trop en avance d’ailleurs. Le groupe était le seul à cette époque à avoir réussi à mêler de la musique africaine traditionnelle à du jazz moderne. C’est une nouvelle musique qu’on avait réussi à créer à cette époque. Personne n’avait jamais entendu un tel son auparavant. C’était inédit donc les gens ont tout de suite accroché et reconnu la qualité de notre son.
Afrik.com : Etes-vous aujourd’hui nostalgique de ces années?
Souleymane Faye : J’ai passé de très beaux moments avec Xalam. Nous sommes restés amis. Mais je ne suis pas du tout nostalgique de ces années. C’était une autre époque, elle est révolue. Il faut savoir avancer dans la vie et toujours regarder loin devant soi. D’autant que j’ai été le dernier à rejoindre le groupe, en 86. Puis, suite au décès d’un des membres du groupe, tout s’est compliqué. J’ai ensuite décidé de rentrer au Sénégal, fin 87. D’autant que j’avais une famille et des enfants dont je devais m’occuper. Il était temps pour moi de lever l’ancre et de rentrer les retrouver.
Afrik.com : Un souvenir particulier que nous n’oublierez jamais durant cette époque ?
Souleymane Faye : (Il sourit) Le premier jour où j’ai pris l’avion pour me rendre en France ! C’était un moment merveilleux car je n’étais jamais monté dans l’avion et je rêvais de prendre l’avion depuis tant d’années pour changer d’air, découvrir de nouveaux horizons, un nouveau pays.
Afrik.com : Votre musique est loin des standards du mbalax qui domine la musique sénégalaise. Pourquoi ce choix ?
Souleymane Faye : C’est ma nature, je ne fais pas de musique commerciale. Aujourd’hui, le mbalax est devenu une musique que pour les Sénégalais qui ne peut pas dépasser les frontières du Sénégal. Il faut que l’on travaille ce point au Sénégal de telle sorte que le monde entier puisse chanter et danser notre musique. La musique sénégalaise est vaste contrairement aux idées reçues. Il y a les musiques diola, peul, serere. Mais malheureusement, les radios sénégalaises ne passent que des musiques en langue wolof, alors qu’il existe une multitude de musiques dans le pays.
Afrik.com : A travers vos textes, vous dénoncez sans relâche les maux de la société dans laquelle vous vivez. Qu’est-ce qui vous révolte autant ?
Souleymane Faye : La mentalité de l’Homme, les faux-semblants, c’est un ensemble de choses. Je n’aime pas l’hypocrisie. Mais en général, les gens n’aiment pas ceux qui disent la vérité. Mais je continuerai toujours à dire la vérité, c’est ainsi. Je suis un révolté et un non révolutionnaire.
Afrik.com : Que voulez-vous dire par là ?
Souleymane Faye : Je dénonce les choses mais sans fracasser des portes, ou m’acharner sur des gens en particulier. Je ne désigne personne directement, et ne dis pas de choses déplacées. Ce n’est pas mon but.
Afrik.com : Depuis que vous avez commencé à chanter, la religion occupe une place prépondérante dans vos textes. Elle vous inspire ?
Souleymane Faye : Oui elle m’inspire car je suis un profond croyant.
Afrik.com : Vous êtes actuellement en préparation de votre nouvel album « Na niu wax ak xaleyi » (Parlons avec les enfants). Pourquoi avoir choisi la jeunesse comme thème central dans cet opus ?
Souleymane Faye Les parents ne parlent plus à leurs enfants au Sénégal. Les jeunes sont donc un peu perdus, ils ne veulent plus aller à l’école, et ne veulent plus apprendre un métier, alors que la vie est de plus en plus difficile. Si les jeunes ne font rien et ne s’accrochent à rien pour avoir un meilleur avenir, ils peuvent plus facilement prendre un mauvais chemin. Ce n’est évidemment, pas facile pour les parents, aujourd’hui, d’éduquer leurs enfants, car ils travaillent dur pour essayer de faire vivre leur famille. Mais je pense qu’ils sont les premiers responsables de l’état de la jeunesse actuelle. C’est pour cela que je pense qu’il faut prendre et trouver le temps de discuter avec les plus jeunes, car ce sont les plus nombreux aujourd’hui. Et demain, ils seront les futurs adultes de la société. Il faut les accompagner, leur donner de meilleures perspectives d’avenir pour qu’ils s’en sortent et empruntent le bon chemin.
Afrik.com : Quels sont vos souvenirs d’enfance, à l’époque coloniale, bien loin ce celle que les jeunes connaissent aujourd’hui.
Souleymane Faye : (Il rit). Je suis né en 1951 à Dakar ou j’ai toujours vécu au moins jusqu’à mes 25 ans, et d’où je suis parti pour la première fois pour aller en France rejoindre le groupe Xalam. A cette époque, les gens faisaient beaucoup la fête. Ma maman était commerçante, mon père était fonctionnaire. Nous vivions au sein d’une grande famille avec des personnes que l’on hébergeait, sans compter les nombreux enfants de nos proches que mes parents ont élevé. Mes parents ne voulaient pas que je fasse de la musique. A cette époque, on avait une mauvaise image des artistes dont le comportement était souvent décrié par la société. Mes parents craignaient alors que je finisse comme eux. Mais je faisais de la musique en cachette, à leur insu.
Afrik.com : D’où vous est venu votre passion pour la musique ?
_ Souleymane Faye : Tout a commencé avec un groupe d’amis qui faisaient de la musique. A force de passer du temps avec eux, je me suis à mon tour mis dans le bain. J’ai malgré tout poursuivi ma scolarité et j’ai obtenu mon certificat d’étude (équivalent du brevet des collèges). Déjà étant jeune garçon, je chantonnais souvent, mais je ne pensais pas à cette époque que je finirai par chanter toute ma vie. Je chanterai toute ma vie, jusqu’à mon dernier souffle.
Afrik.com : Et qui aurait cru que l’ébéniste de métier deviendrait chanteur ? Deux mondes totalement différents…
Souleymane Faye : C’est un métier que j’ai appris sérieusement! J’ai mis 15 ans à l’apprendre pour me perfectionner. J’en suis particulièrement fier d’autant qu’il m’a été transmis par mon oncle. Travailler le bois est une passion pour moi. Je sais mieux le faire que chanter. C’est quelque chose que je ne pourrai jamais oublier de faire, même si cela fait des décennies que je ne fais plus de menuiserie. D’ailleurs, j’ai pour projet d’ouvrir une grande école de menuiserie professionnelle pour que les jeunes intéressés par ce métier l’apprennent dans de bonnes conditions. La formation est très importante. Dans la vie, tout s’apprend sinon vos fondations s’écroulent tôt ou tard et vous ne faîtes pas long chemin. A mes heures perdues, il m’arrive aussi de confectionner des plans pour la construction de maison. Vous savez, l’ébéniste est aussi architecte car tout son travail se fait à partir d’un plan précis. J’ai aussi pour projet d’ouvrir un magasin ou je proposerai des lits, des meubles… J’aime chanter, mais je ne pourrai jamais abandonner mon métier d’ébéniste que j’adore aussi.
Afrik.com : Vous êtes un des rares Sénégalais à être un vrai Dakarois ou vous êtes né et avez presque toujours vécu. Pourquoi avez-vous décidé de vous installer à Saint-Louis ?
Souleymane Faye : Je préfère Saint-Louis à Dakar car c’est beaucoup plus calme, on est entouré par la nature, la mer… On peut y prendre le temps de réfléchir, de méditer. Je vis à Saint-Louis mais je travaille par contre à Dakar. Mais la vie est trop chère à Dakar. On achète des choses dont on n’a même pas besoin et il y a beaucoup trop de bruits, de pollution. Raison pour laquelle j’ai opté pour Saint-Louis et son climat apaisant.
Afrik.com : Est-ce ce climat apaisant qui vous inspire pour écrire des titres mythiques comme la chanson d’amour « Jeleeti » ?
Souleymane Faye : (Il rit avant de répondre). Il y a, je pense, des chansons tellement vraies qu’elles perdurent dans le temps et touchent toutes les générations. « Jeleeti », ou je parle d’un amour fort que je ne retrouverai nulle part ailleurs dans le monde, est quelque chose que j’ai vécu personnellement. Ce sont ces genres de chansons qui, même plusieurs années après, restent toujours véridiques car elles ne mentent pas. Et on se rend même compte que plus on avance dans le temps, plus elles sont d’actualité.
Afrik.com : Votre bien-aimée dont vous parlez dans cette chanson d’amour vous l’avez perdu à tout jamais ou elle est toujours tendrement à vos côtés ?
Souleymane Faye : Elle est toujours à mes côtés. Notre amour est fort! (rires).
Le clip vidéo de « Jeleeti »
Le site de Souleymane Faye