Le procès d’Ali Mohammad Ali Abdelramane, plus connu sous le nom d’Ali Kushayb, a pris un tournant décisif le 11 décembre 2024 à La Haye, avec la présentation du réquisitoire par le procureur de la Cour pénale internationale (CPI). Cet ancien leader des Janjawid, une milice paramilitaire tristement célèbre, est accusé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, notamment pour les atrocités commises en 2003 et 2004 dans la région du Darfour, au Soudan.
Ce procès marque un moment historique, car il s’agit du premier jugement visant un responsable soudanais à la CPI, bien que trois autres membres du régime de l’ex-président Omar el-Béchir soient également inculpés mais toujours en fuite.
Les accusations de la CPI contre Ali Kushayb
Lors de son réquisitoire, le procureur Karim Khan a demandé aux juges de déclarer Ali Kushayb coupable des 31 chefs d’accusation qui pèsent contre lui. Ces accusations incluent des meurtres, des viols, des tortures et des attaques délibérées contre des civils, commis lors de la guerre civile du Darfour. Le procureur a insisté sur le rôle de l’accusé en tant que membre éminent et leader des Janjawid, une milice qui, selon lui, n’a pas seulement combattu des rebelles, mais a délibérément ciblé des populations civiles, en violation du droit international humanitaire. Kushayb, qui se défend en affirmant qu’il n’était qu’un simple pharmacien et non un chef de milice, a été décrit par le procureur comme étant bien plus qu’un simple exécutant.
Il aurait activement participé aux violences, notamment en recevant des armes et des munitions du gouvernement soudanais pour mener des attaques contre les civils. Le procureur a souligné que le gouvernement soudanais soutenait les Janjawid non pas pour lutter contre les rebelles, mais pour terroriser la population civile, afin d’endiguer le soutien à la rébellion. Le 13 décembre, Ali Kushayb devra répondre aux accusations devant la cour, mais son rôle de chef de la milice a déjà été largement documenté par les autorités internationales. Son implication dans les violences du Darfour, et son influence dans la gestion des exactions commises par les Janjawid, reste au cœur des débats.
Le Darfour : un contexte de violence et d’impunité
Le conflit du Darfour, qui a éclaté en 2003, est l’une des crises humanitaires les plus graves des dernières décennies. Il a opposé les forces gouvernementales soudanaises et leurs alliés, les Janjawid, à des groupes rebelles principalement issus de communautés non arabes qui se rebellaient contre le gouvernement de Khartoum, accusé de négligence et de marginalisation. Les Janjawid ont joué un grand rôle dans la répression de cette rébellion, agissant avec une violence extrême et systématique contre les civils des régions rebelles.
La guerre a fait des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés. Les milices Janjawid, composées de combattants arabes, ont été accusées de mener des attaques contre des villages entiers, tuant des civils, violant des femmes et des enfants, pillant des biens, et détruisant des habitations. Ces crimes ont été qualifiés de génocides par certaines organisations humanitaires, bien que le terme soit toujours débattu.
Les populations non arabes du Darfour marginalisées
La réponse du gouvernement de l’époque, dirigé par Omar el-Béchir, a consisté à soutenir et armer les Janjawid, non seulement pour combattre les rebelles, mais aussi pour appliquer une stratégie de terreur systématique contre les populations civiles, qui étaient accusées de soutenir les insurgés. Cette tactique a été largement dénoncée par la communauté internationale, mais elle a continué jusqu’à l’instauration de la CPI, qui a lancé des enquêtes sur les crimes commis au Darfour.
Le conflit au Darfour trouve ses racines dans des tensions ethniques, économiques et politiques complexes. Depuis l’indépendance du Soudan en 1956, le pays a été marqué par des inégalités structurelles, notamment entre les régions périphériques et le centre, où se trouvent Khartoum et d’autres zones arabes. Les populations non arabes du Darfour, principalement des communautés africaines, se sont senties marginalisées par un gouvernement central dominé par des élites arabes, ce qui a conduit à une rébellion en 2003.
Meurtres de masse aux viols collectifs
Les rebelles du Darfour ont formé plusieurs groupes, dont le Mouvement de libération du Soudan (SLM) et l’Armée de libération du Soudan (SLA), pour revendiquer des droits égaux et la fin de la marginalisation de leurs peuples. En réponse, le gouvernement de Khartoum, dirigé par Omar el-Béchir, a réagi de manière violente, recrutant et armant les Janjawid pour combattre les rebelles, mais aussi pour intimider et éliminer les populations civiles accusées de soutenir la rébellion.
Les atrocités commises par les Janjawid ont été multiples et variées, allant des meurtres de masse aux viols collectifs, des destructions de villages à des attaques ciblées contre des camps de réfugiés. En parallèle, les groupes rebelles ont également été responsables de certaines exactions, bien que dans une moindre mesure. Ils ont notamment commis des attaques contre des civils et des militaires, ce qui a contribué à l’escalade de la violence.