Sommet avec l’Afrique : la France en roue libre


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Sommet Afrique-France (09 oct 21)
Sommet Afrique-France

Vendredi 8 octobre, ce qui était redouté et annoncé est arrivé : le président Emmanuel Macron a été « bousculé », comme le commente la presse, par les questions des jeunes invité.e.s à Montpellier par l’Elysée pour débattre de la relation franco-africaine. Puis, il a fait quelques annonces présentées comme le prélude à la « refondation » de cette relation, mais qui évitent soigneusement les aspects structurants de la Françafrique : 

  • le franc CFA n’a été abordé que sous l’angle de réformes pilotées depuis Paris, Emmanuel Macron osant même dire « On doit réussir à bâtir une vraie monnaie régionale » ;
  • à l’interpellation sur le militarisme français, il s’est à nouveau caché derrière la « demande » des chefs d’État africains (dont cette fameuse « jeunesse africaine » voudrait pourtant se débarrasser !), sans évoquer la coopération militaire qui bénéficie à leurs appareils répressifs ;
  • l’aide au développement est présentée sous le terme « d’investissement solidaire » et il est évoqué de rebaptiser l’agence française de développement (AFD) mais en continuant d’en faire l’opérateur pivot de l’influence économique et politique française ;
  • la question sur le scandale des politiques anti-migratoires a été balayée, au nom de la « complexité » du sujet ;
  • la demande d’un pardon pour les crimes coloniaux et néocoloniaux est écartée au nom d’une politique de « reconnaissance ». Rappelons qu’Emmanuel Macron a pris soin en mai dernier d’éluder les modalités concrètes du soutien français aux génocidaires Rwandaise et n’a jamais eu un mot concernant la guerre secrète que la France a mené au Cameroun de 1955 à 1970. Deux exemples parmi tant d’autres ;
  • la création d’un « Fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique » est annoncée, en contradiction totale avec le soutien effectif à des dictatures comme le Tchad, le Cameroun ou le Congo-Brazzaville. Il sera doté de 10 millions d’euros par an, une bagatelle au regard du milliard de coût annuel lié aux opérations militaires extérieures françaises.

Pour Pauline Tétillon, co-présidente de Survie, « ce sommet atteint pleinement les objectifs que l’Elysée lui avaient fixés : la relégitimation de la politique africaine de la France. Les autorités françaises s’appuient pour cela sur quelques jeunes Africain.e.s qu’elles s’arrogent le droit de qualifier de « pépites », comme si les autres n’étaient que de vulgaires cailloux. Quant aux deux militants sans-papiers arrêtés à Montpellier et enfermés en Centre de rétention administrative alors qu’ils venaient depuis Paris faire entendre leur voix, ils ne seraient que des grains de sable pris dans cette machine à broyer ? »

La même semaine, la publication de l’ouvrage collectif L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique (Le Seuil), auquel des membres de Survie ont largement contribué, permet de resituer cette prétendue « rupture » dans l’histoire longue des relations franco-africaines : des décennies d’adaptation au contexte, forcément changeant selon les époques, pour maintenir une relation de domination au profit d’élites françaises et africaines. Après les précédentes annonces de « rupture » (avec Nicolas Sarkozy, puis François Hollande), celle de ces jours-ci innove peut-être dans la forme, mais l’écran de fumée aura tôt fait de se dissiper.

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