Les organisateurs de la conférence nationale de réconciliation somalienne ont qualifié la rencontre de réussite, alors même que plusieurs analystes exprimaient des doutes quant à son issue, affirmant que plusieurs des principales parties prenantes à la crise actuelle avaient été écartées du processus de paix.
« La conférence prendra fin aujourd’hui [30 août]. Elle a été une réussite », s’est félicité Abdulkadir Walayo, conseiller médias du Comité national pour la réconciliation et la bonne gouvernance (NGRC), qui a organisé la conférence.
Cette conférence est une grande première, car en 16 ans, c’est la première fois que des clans somaliens « se réunissent officiellement pour se réconcilier et se pardonner mutuellement », a fait remarquer M. Walayo.
Abdi Haji Gobdon, le porte-parole du gouvernement, s’est fait l’écho de cette remarque, affirmant que le Gouvernement fédéral de transition (GFT) considérait cette phase de la conférence comme « une réussite totale ». Selon lui, le gouvernement ira de l’avant dans le processus de réconciliation et prévoit d’envoyer des délégués dans les régions et les districts pour informer les communautés de l’issue de la conférence.
«Malheureusement, ni l’opposition armée ni l’opposition non-armée n’a été invitée »
La conférence a été reportée trois fois, en raison des menaces de violence et même lorsqu’elle a débuté, le 15 juillet, elle a été boycottée par certains acteurs clés du conflit somalien.
Selon plusieurs analystes, pourtant, la conférence n’a pas tenu ses succès et n’a pas rempli son objectif principal de réconciliation. « La réconciliation est la priorité la plus urgente pour la Somalie, mais le GFT l’a définie en des termes délibérément restrictifs, uniquement liés aux clans. La conférence a été très peu fructueuse puisque aucune des questions clés, essentielles au rétablissement de la sécurité et d’une paix plus globale, n’a été débattue », a estimé Salim Lone, éditorialiste et commentateur politique qui exerce à Nairobi, au Kenya.
Timothy Othieno, spécialiste de la Corne de l’Afrique à l’Institut pour le dialogue mondial de Johannesbourg, a qualifié la conférence « d’échec complet » en raison de la façon dont les participants ont été choisis et des tactiques arbitraires du GFT. « Le GFT a déterminé qui allait y participer et qui n’y serait pas. Vous ne pouvez pas imposer des conditions aux participants si vous essayez de réconcilier un pays ».
« Vous ne pouvez pas imposer des conditions aux participants si vous essayez de réconcilier un pays »
Le clan Hawiye, le groupe dominant à Mogadiscio, et l’Union des tribunaux islamiques (UIC) ont été évincés du processus, a-t-il expliqué. « Evidemment, cela a sonné la fin de la « conférence » avant même qu’elle ne commence », a poursuivi M. Othieno. Le GFT a oublié qu’il était un gouvernement provisoire, créé pour « faciliter le processus qui légitimerait quiconque serait choisi par le peuple – par le biais d’élections crédibles », a-t-il ajouté.
Une source de la société civile à Mogadiscio, qui a dit ne pas avoir été conviée à la conférence, s’est plainte de cette « occasion ratée ». La rencontre aurait dû inclure toutes les parties, et se dérouler dans un lieu neutre, selon la source.
« Malheureusement, ni l’opposition armée ni l’opposition non-armée n’a été invitée », a déploré la source. Et Mogadiscio n’était pas un lieu de rencontre neutre, a-t-elle ajouté.
« Du début à la fin, [la conférence] n’a pas porté sur les intérêts du peuple somalien ; au contraire, il s’agissait plutôt de légitimer l’occupation », a ajouté le cheikh Shérif Cheikh Ahmed, de l’UIC. L’Ethiopie a envoyé ses soldats à Mogadiscio à la fin de l’année 2006 pour aider le GFT à vaincre les forces de l’UIC et ses troupes sont encore stationnées dans la ville.
A en croire M. Cheikh Ahmed, les participants à la conférence ne représentaient qu’eux-mêmes. « Pour toute conséquence, la conférence n’a fait qu’aggraver le sort des populations de Mogadiscio », a-t-il estimé, observant que des milliers de personnes continuaient à quitter la ville en raison de l’insécurité qui y règne.
La marche à suivre
Tous s’accordent à dire que le seul espoir de paix repose désormais sur une conférence omni-inclusive. « Il nous faut désormais organiser une conférence placée sous la direction des Nations Unies ou de l’UA [Union africaine] dans un lieu de rencontre neutre, où toutes les parties et toutes les personnes se sentiront en sécurité », a indiqué M. Lone.
Cette conférence ne devrait pas rassembler des milliers de personnes, selon M. Othieno. « Tout ce dont on a besoin, c’est de la participation des parties prenantes et acteurs principaux en Somalie, qui se réuniraient autour d’une table et règleraient leur différends en restant axés sur leurs intérêts et leurs objectifs communs », a-t-il résumé.
« Si la conclusion de ce Congrès est un événement clé de plus dans la quête de paix et de réconciliation en Somalie, il ne marque pas pour autant la fin du processus de réconciliation », a de fait déclaré François Fall, le représentant spécial des Nations Unies en Somalie, au nom du Comité consultatif international.
Le ciel bleu de Mogadiscio contraste avec l’agitation qui règne dans la ville où des milliers de personnes continuent de fuir les combats
M. Fall a exhorté le GFT à poursuivre ses efforts en vue de communiquer avec tous les groupes d’opposition à la fois en Somalie et à l’étranger, et d’assurer une mise en application efficace de la Charte fédérale de transition. Le meilleur moyen de lutter contre le terrorisme en Somalie, selon lui, « est de maintenir un dialogue ouvert et de rechercher une réconciliation authentique entre toutes les parties ».
Selon M. Cheikh Ahmed, la communauté internationale doit aider le peuple somalien en endossant le rôle de facilitateur « mais doit respecter les souhaits du peuple. Nous pouvons parler de tout, tant qu’il n’y a pas d’occupation ni d’ingérence ».
D’après plusieurs analystes, le GFT et la communauté internationale doivent tous deux changer d’approche s’ils souhaitent parvenir à une solution, quelle qu’elle soit.
« Le GFT doit adopter une approche moins conflictuelle pour traiter avec l’opposition et se montrer plus humbles si les intérêts des Somaliens lui tiennent à cœur. Les intentions et les intérêts personnels doivent être mis de côté pour le bien de la Somalie dans son ensemble », a souligné M. Othieno.
Selon M. Lone, la communauté internationale, particulièrement « les Etats-Unis, les Nations Unies, l’UA et l’IGAD [Autorité intergouvernementale sur le développement], devrait reconnaître qu’elle doit ouvrir et maintenir le dialogue avec tous ceux qui bénéficient d’un certain niveau de soutien populaire. Toutes les préoccupations qu’elle pourrait entretenir vis-à-vis de ces groupes doivent faire l’objet de débats et de négociations franches ».
Pour sa part, le GFT a déclaré que la conférence ne marquait pas la fin du processus de réconciliation. « Le gouvernement continuera à tenter de parvenir à une réconciliation nationale avec l’opposition », a déclaré M. Gobdon. Selon lui, des contacts ont été établis avec l’opposition politique et « une fois qu’ils auront accepté qu’une réunion soit organisée, nous trouverons un lieu de rencontre convenable ».
Photo: Abdimalik Yusuf/IRIN