Les radios de Mogadiscio ont répliqué avec une ironie amère à l’ultimatum lancé par des insurgés islamistes interdisant la diffusion sur les ondes de toute forme de musique : désormais, les chansons et les jingles laissent place à des enregistrements de coups de feu, un bruit auquel les oreilles des habitants de la capitale meurtrie sont malheureusement trop habituées.
Les radios ont également remplacé les mélodies désormais interdites de diffusion par des coassements de grenouilles ou le chant du coq. Les stations les plus courageuses envisagent même de diffuser des sons de braiments d’ânes.
« Nous n’avons pas le droit de diffuser de la musique et nous devons combler les créneaux, c’est comme cela que nous est venue cette idée. Il y a des bruits que l’on entend plus souvent que d’autres dans cette ville, et je pense qu’ils sont tout à fait appropriés », a déclaré un animateur de radio sous couvert de l’anonymat.
La majorité des quelque 16 stations de radio que compte la capitale somalienne ont adopté cette tactique.
L’interdiction qui est entrée en vigueur le 13 avril a été imposée par les groupes islamistes Hizbul Islam et Al-Shabab, qui depuis des années défient les troupes gouvernementales à Mogadiscio et aux alentours de la capitale, entraînant le déplacement de centaines de milliers de civils.
« Notre seul moyen de faire une pause et d’échapper aux bombardements, aux coups de feu et à l’insécurité générale était d’écouter de la musique somalienne à la maison », a confié Abdulkadir Abdirahman, un habitant de Mogadiscio. « Cela n’est plus possible maintenant. Je vais écouter [ces émissions] et bien rire ».
Selon M. Abdirahman, bon nombre d’habitants de la capitale aimaient écouter la musique somalienne diffusée sur les ondes des radios locales.
« Ce matin, lorsque j’ai allumé la radio, la première chose que j’ai entendue était le bruit de tirs. Je n’étais pas sûr de comprendre ce qui se passait lorsqu’un animateur a expliqué ce qu’il faisait. Cela m’a beaucoup amusé », a dit M. Abdirahman. « Ces nouveaux airs plaisent en fait à certains de mes amis ! »
Un journaliste qui travaille pour l’une des stations a déclaré que la direction de la radio ne savait comment réagir face au décret.
« L’ensemble de nos programmes, hormis les émissions religieuses, ont toujours débuté par un jingle en somali. Aujourd’hui, ils débutent par le chant du coq », a-t-il dit. « Qui sait demain débuteront-ils peut-être par un bruit de grenouilles ou d’ânes », a-t-il poursuivi.
La plupart des stations de radio se sont pliées à l’injonction. « La station Radio Mogadishu, qui appartient au gouvernement, continue de diffuser de la musique et des jingles », a-t-il ajouté.
Il ignore combien de temps cela va durer. « Ils vont peut-être décider d’interdire également la diffusion de ces sons. C’est à la fois fou et stupide, mais il s’agit du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui », a-t-il estimé.
Le péché le plus grave ?
Ali Sheikh Yassin, vice-président d’Elman, une organisation de défense des droits humains basée à Mogadiscio, a dit à IRIN que l’interdiction de diffuser de la musique sur les ondes était une tentative visant à refuser l’accès des habitants à l’information.
« Nous sommes arrivés à un point où la musique est devenue un péché envers l’Islam. Toutefois, le péché le plus grave d’entre tous, tuer des êtres humains, est commis toutes les heures de chaque jour. Quel acte va plus à l’encontre de l’Islam que celui qui consiste à tuer des innocents ? », a dit M. Yassin.
« [Le 13 avril], 20 personnes ont été tuées et plus de 70 autres blessées », a-t-il souligné.
Les stations de radio ont trouvé « une méthode très amusante et originale de contourner cette [interdiction], mais je crains que les [insurgés] n’émettent des décrets plus stricts », a-t-il conclu.