Venue au secours du gouvernement de transition somalien, l’armée éthiopienne entame le rapatriement de ses soldats après avoir chassé l’essentiel des hommes en arme des Tribunaux islamiques. La situation reste toutefois très instable. L’Union africaine a pris la relève des troupes ethiopiennes.
Mission accomplie pour l’Ethiopie. Il aura fallu un mois aux 12000 soldats d’Addis-Abeba pour arracher, avec l’assistance active des Etats-Unis, la majeure partie de la Somalie de l’emprise des Tribunaux islamiques. Le 28 décembre 2006, Mogadiscio, capitale d’un territoire sans Etat, est reprise par les forces loyalistes somaliennes, cornaquées par l’armée éthiopienne. Depuis juin 2006, elle était entre les mains de ceux que certains médias occidentaux surnomment les « talibans blacks ». « L’objectif de notre déploiement était de venir à bout de l’insécurité et de détruire les milices islamistes qui menaçaient l’existence du gouvernement et la sécurité régionale » explique le général éthiopien Suem Hagoss. « A partir d’aujourd’hui, nous allons retirer nos forces de Mogadiscio », a-t-il annoncé lors d’une cérémonie dans la capitale somalienne, au cours de laquelle des chefs de guerre somaliens ont déposé leurs armes. Suite à l’accord conclu le 12 janvier entre le président somalien Abdullahi Yusuf Ahmed et les principaux chefs de guerre qui acceptent de renflouer le contingent de l’armée nationale avec leurs miliciens. Pour le moment, le rapatriement éthiopien s’opère en douceur. Environ 200 soldats ont quitté Mogadiscio. « L’héroïque armée éthiopienne a soutenu le gouvernement de transition (somalien, ndlr) afin de ramener le pays à la normale après 16 ans de violence » reconnaît le vice-Premier ministre somalien Hussein Mohammed Aïdid.
Un challenge pour l’UA
Jugée « héroïque » par certains, qualifiée d’ingérence par beaucoup, l’intervention éthiopienne laisse un goût amer. Notamment pour les habitants de Mogadiscio reconnaissants, pour beaucoup, aux islamistes d’avoir rétabli la sécurité, une esquisse d’Etat et l’ordre religieux pendant leur règne de sept mois. Les troupes éthiopiennes sont donc vues d’un mauvais œil et le moment est venu de se retirer sous peine de voir l’ingérence se transformer en occupation. « L’armée éthiopienne restera jusqu’à l’arrivée d’une force africaine de maintien de la paix » précise le Premier ministre somalien Mohammed Ali Ghedi qui redoute une vindicte islamiste. L’Union africaine (UA) prend donc la relève de l’armée éthiopienne. Elle envisage de déployer 8000 casques verts sur le sol somalien. Le Conseil de paix et de sécurité de l’UA envisage de renforcer son dispositif par des forces maritimes et aériennes. La commission de l’UA compte mobiliser le soutien logistique et le financement de la part de ses membres. Pour le moment, peu d’entre eux se sont prononcés, tous demeurent frileux et réticents à l’idée de s’engager dans le bourbier somalien. Seul l’Ouganda a promis un ou deux mille soldats. Le Malawi s’est également engagé à fournir des hommes, les autres hésitent.
Le souvenir de la débâcle des troupes américaine, bien équipées, face aux milices locales en 1990 est bien ancré dans les mémoires. Somalie rime avec chaos. L’UA pourra-t-elle les convaincre et les rallier ? A-t-elle la capacité de mettre en place rapidement une force de maintien de la paix digne de ce nom ? De son côté, les Nations Unies, en particulier les américains, se réjouissent de la tournure des événements. La reprise en main de la Somalie par les troupes gouvernementales, la défaite des Tribunaux islamiques, affiliés à al-Qaïda, et la tentative d’une gestion intra-africaine d’après- conflit constitue, sur le papier, une sortie de crise idyllique. Les puissances occidentales gardent un œil sur les importants gisements de pétrole de la région.
Les islamistes restent menaçants
Toutefois, la situation reste tendue et instable. La menace des Tribunaux islamique continue de planer sur le pays. Bien que le numéro 2 des Tribunaux se soit rendu aux autorités kenyanes après une éreintante traque, le gouvernement estime que 3000 islamistes armés se trouveraient encore à Mogadiscio. Une menace amplifiée par la vidéo mise en ligne mardi sur Internet dans laquelle le numéro deux d’Al-qaïda Ayman Al Zawahiri « annonce la bonne nouvelle à Bush ». « Il a embourbé ses esclaves éthiopiens dans une catastrophe réelle en Somalie. Les moudjahidin vont leur briser l’échine », prédit-il. Dans la logique d’al-Qaïda et des Tribunaux islamiques, c’est clair : une bataille perdue mais la guerre continue. La riposte est inscrite dans l’agenda de l’organisation terroriste islamiste.
A l’instar de l’Afghanistan ou de l’Irak, la Somalie a pris des allures de champ de bataille où s’affrontent âprement, mais indirectement, les Etats-Unis et al-Qaïda. Soutenus à bout de bras par Washington, le gouvernement de transition somalien peine à asseoir sa souveraineté sur l’anarchie qui règne dans le pays. Seul, le gouvernement demeure incapable de contenir la menace islamiste, et les rivalités entre chefs de guerre. Epaulé par son voisin éthiopien pour chasser mordicus les tribunaux, sera-t-il en mesure d’assumer le lourd chantier de reconstruction d’une Somalie écroulée ? La mise en place de force de paix panafricaine semble constituer la condition sine qua non d’une longue marche vers l’apaisement et le retour à l’ordre. Une nouvelle page de l’épineux dossier somalien est en train de se tourner, clôturant peut-être un sombre chapitre de crime, de guerre civile, de famine, de chaos. L’UA se devra d’être à la hauteur.