Lors d’une conférence-débat organisée par Kreole Attitude et B World Connection, Juliette Smeralda (J.S), sociologue martiniquaise, a exposé sur le thème : Le cheveu naturel : histoire d’une aliénation la sociologue a expliqué que le passage aux cheveux défrisés, au temps de l’esclavage, symbolisait la volonté d’identification au modèle « blanc caucasien ».
Aliénation : Selon J.S : « éloignement de soi-même » (source B World Connection)
En majorité locksé ou alors arborant une tignasse naturelle ainsi pouvait on décrire le public venu nombreux à l’espace Régional du Raizet, écouter la conférencière.
Afin d’exposer ses recherches sur le cheveu naturel, Juliette Sméralda a choisi de faire une remontée dans le temps. Ainsi, elle nous a expliqué qu’avant la période esclavagiste, la peau et les cheveux des noirs étaient très entretenus. En effet, le noir, le plus scintillant était considéré comme étant le plus beau. Quant à la coiffure, elle est est porteuse de symboles forts : âge, clan, statut social, occupations. D’ailleurs, le peigne africain était considéré comme un objet sacré.
Avec une telle valorisation comment expliquer le passage au cheveu défrisé ?
Juliette Sméralda développe l’argumentation suivante : le contact entre blancs et noirs s’est toujours déroulé dans un rapport de domination. Ainsi, alors que les cheveux caucasiens étaient et sont encore, considérés comme : discrets, élégants, beaux et doux, les cheveux crépus sont : indisciplinés, archaïques. D’où une stigmatisation raciale du cheveu du noir. D’ailleurs, la personne même du noir était pointée du doigt puisque son visage prognathe ne correspondait pas avec l’échelle de valeurs des occidentaux blancs : cheveux lisses, peau blanche, visage orthogonal : «Religieux, voyageurs, chroniqueurs, savants et scientifiques de tout acabit ont importé leurs préjugés en Europe et soumis le cheveu crépu, les traits morphologiques et la couleur des extra-occidentaux à des appréciations très subjectives, voire très défavorables. Celles-ci se sont pérennisées et sont au moins en partie responsables du statut de stigmates dont héritent les caractères morphologiques de certains groupes humains» (extrait de Peau noire, cheveu crépu : histoire d’une aliénation).
Ainsi, le noir sorti de la cale du bateau négrier, sale et mal coiffé est à même de lire l’effroi dans l’œil du blanc. Ce dernier va même jusqu’à le toucher pour voir si sa couleur n’est pas une couche de crasse et ses cheveux des crottes de moutons. Les choses ne s’arrangent guère puisque sur la plantation, il ne peut prendre soin de lui. D’ailleurs, un mouchoir de tête donné par le maitre permettait aux femmes de cacher leurs cheveux. Quant aux esclaves domestiques, ils recevaient de leurs maîtres, peignes et brosses usagés. Mais ces accessoires n’étaient pas adaptés à leurs cheveux. D’où là encore, une nouvelle stigmatisation.
Il s’en suit alors un processus de « dénaturation ». Afin d’être mieux intégrés, mieux acceptés, les femmes, mais aussi les hommes, se sont lancés dans toute une série de transformations : «par la pratique du défrisage, il s’agit de soustraire les cheveux à la tyrannie du regard qui pénalise socialement. Crépu étant synonyme de disgrâce, d’imperfection, de ruralité, de manque de raffinement, etc., ce cheveu-là doit disparaître derrière un lissage» (extrait de Peau noir, cheveu crépu : histoire d’une aliénation). Pour la sociologue, ces défrisages à outrance ont des conséquences non seulement sur le cheveu mais aussi sur l’individu lui-même.
D’ailleurs, force est de constater que rare sont les petites filles à jouer avec des poupées noires aux cheveux typés crépus. Elles jouent beaucoup plus avec des poupées blanches, à longs cheveux auxquelles elles cherchent à s’identifier.
On constate aujourd’hui que, bien que la société revendique son multiculturalisme, il « faut » encore se défriser les cheveux pour accéder à un emploi, avoir une certaine teinte pour être bien placé dans la société coloniale. Juliette Sméralda ne pointe pas le doigt sur un simple problème capillaire, mais sur tout un problème de société.
Ce problème d’acceptation du cheveu crépu a été bien relayé par le public.
Sony, coiffeuse du salon « Chivé Natirèl » a fait remarquer que l’on constate néanmoins un changement d’attitude ces dernières années. En effet, de plus en plus de femmes ont tendance à revenir au naturel. Interrogée sur ce retour, Juliette Sméralda confie : « On comprend qu’il faut porter son cheveu, il ne faut pas que la société soit arbitraire et dise aux porteurs de cheveux crépus : ce n’est pas beau, c’est sale. Ce sont des corps naturels qui ont le droit de s’afficher, de vivre en harmonie avec son environnement. On a un besoin urgent de régler ce problème sans aller à la confrontation ». Sony se montre plus pragmatique : « il y a encore beaucoup de chemin à faire et voir s’il s’agit d’un phénomène de mode… »
Un retour au naturel ? Peut-être simplement au niveau capillaire, car il y a encore une pléthore de personnes qui sous nos latitudes, n’acceptent pas de parler, et encore moins l’enseignement de la langue créole et ne supportent pas le son du ka…
Quoiqu’on dise, les questions identitaires restent encore posées et interpellent.