Plus de 6 millions de téléspectateurs français étaient devant leur poste de télévision mardi soir pour regarder Harkis, le film d’Alain Tasma, diffusé par la chaîne publique France 2. Harkis est arrivé en tête des audiences, un beau succès pour Smaïn qui y interprète l’un des rôles principaux. Afrik.com s’est entretenu avec le célèbre comédien français d’origine algérienne au sujet de ce film qui marque un tournant dans sa carrière.
Harkis, diffusé mardi dernier sur France 2, a révélé une autre facette du talent de Smaïn. Catalogué comique, il a montré qu’il pouvait émouvoir en interprétant le rôle de Saïd Benamar, un harki, l’un de ces hommes qui se sont engagés aux côtés du colonisateur français pendant la guerre d’Algérie. Le film commence en 1972, l’année où Saïd se retrouve parqué avec toute sa famille dans un camp du sud de la France. La jeune Léïla, sa fille, bousculera tous les interdits pour sortir sa famille de cette situation humiliante. Smaïn, 48 ans, avait été révélé au grand public en 1983 par le Théatre de Bouvard, une émission humoristique télévisée. En 1986, il lançait son premier one man show, A star is beur, et connaissait son premier succès. Ils enchaînait ensuite les spectacles et était récompensé d’un Molière, en 1996, pour Comme ça se prononce. Il a travaillé aussi pour le cinéma, mais toujours dans un registre comique. En choisissant d’interpréter le rôle de Saïd Benamar, un homme dur et amer, il prend un nouveau tournant. Il s’est confié à Afrik.com
Afrik.com : Pourquoi avez-vous voulu jouer dans Harkis ?
Smaïn : D’abord, il y a le sujet, qui est très fort. Depuis l’arrivée des Harkis en France après 1962 il a été passé sous silence. Ensuite, il y a l’envie de tourner avec Alain Tasma, un très bon réalisateur. Et puis je voulais que ma carrière prenne un nouveau tournant, me montrer sous un autre jour.
Afrik.com : Pourquoi vouliez-vous changer de registre ?
Smaïn : A cause de mon âge ! Je ne peux plus être le comique bondissant des années 80. Et puis, aujourd’hui, j’ai la maturité, l’expérience suffisantes pour montrer des choses plus dures.
Afrik.com : Comment Images et Compagnies, la production, vous a-t-elle approché ?
Smaïn : C’est moi qui l’ai approchée. Je savais qu’il y avait un film qui se préparait sur les harkis. J’ai rencontré Alain Tasma qui m’a expliqué le projet. J’ai fait une audition comme n’importe quel comédien. La semaine d’après il m’a dit oui.
Afrik.com : Vous a-t-il été difficile d’interpréter Saïd Bénabar, un père harki dur et taciturne, un homme humilié ?
Smaïn : Oui, très difficile. Mais je ne veux pas dévoiler le travail que j’ai dû accomplir. Lorsqu’on mange du bon pain, on se fiche de savoir si le boulanger a souffert pour le préparer.
Afrik.com : Avant de jouer dans le film, aviez-vous déjà été sensibilisé à l’histoire des harkis ?
Smaïn : Depuis très longtemps, je suis sensibilisé à la guerre d’Algérie. J’avais 4 ans quand les Accords d’Evian ont été signés, lorsque la guerre s’est terminée. Je suis une victime de tout ça. Je suis né à Constantine. Je suis orphelin de père et de mère. Pour moi, comme pour tous les enfants de colonisés, le poids du colonialisme a été lourd à porter. C’est une souffrance. J’ai cherché à comprendre en grandissant. Aujourd’hui, pour parler de cette histoire, il y a le film Indigènes, il y a Harki, c’est magnifique ! Mais tout ça n’est qu’une virgule dans ma vie, je dois continuer d’avancer.
Afrik.com : Bien souvent, les harkis sont considérés comme des traîtres en Algérie et des parias en France. Quel regard portez-vous sur eux ?
Smaïn : Chaque harki a une histoire différente. Il faudrait les prendre au cas par cas, comme les sans-papiers. Certains sont devenus harkis par traîtrise, d’autres par obligation, d’autres par conviction… Moi, dans ce film, j’ai joué sans parti pris, c’est la douleur de l’homme que j’ai voulu mettre en avant. Le film parle de l’histoire d’un père et de comment la France s’est défaussée de ses responsabilités. Elle a mis ces gens qui l’avait soutenue dans des camps. Il fallait le faire savoir !
Afrik.com : Avez-vous l’ambition de jouer d’autres rôles graves ?
Smaïn : J’ai surtout l’ambition de jouer de bons scénarios. Le talent, c’est important ! Et vous savez, dans ce métier, les rencontres, c’est essentiel. Le film Harki n’aurait pas été un succès s’il n’y avait pas eu une équipe de talent, si des gens comme Alain Tasma, le réalisateur, et Dalila Kerchouche, la scénariste, ne s’étaient pas rencontrés. En attendant, la vie continue. En ce moment je suis en tournée sur les routes de France. Je joue Smaïn part en campagne, un condensé de mes spectacles depuis 20 ans.
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