Silikani : hymne à la musique africaine


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Avec Silikani, l’écrivain camerounais, Eugène Ebodé, termine la trilogie commencée en 2002 avec La Transmission, et poursuivie par La Divine Colère en 2004. Véritable hymne à la musique africaine, ce livre évoque les souvenirs d’adolescence de l’auteur à Douala, la capitale camerounaise. Invité du salon Livres d’Afrique qui aura lieu le samedi 28 octobre à Paris, Eugène Ebodé, qui a également publié cette année des œuvres comme Le Fouettateur et Grand-père Boni et les contes de la savane, revient pour Afrik sur ce roman autobiographique et son hommage aux grands noms de la musique africaine.

Vivant en France depuis une vingtaine d’années, le romancier et ancien international junior de football du Cameroun, livre à travers Silikani un voyage rétrospectif sur ses souvenirs d’adolescence au « pays des crevettes ». Dans ce dernier volet de la trilogie inaugurée en 2002 avec la publication de La Transmission et poursuivie par La Divine Colère en 2004, Eugène Ebodé revient sur les dilemmes amoureux et les appréhensions auxquels il devait faire face quelques mois avant son départ pour la France. Il rend aussi hommage à la musique africaine et à ses musiciens. D’où le titre Silikani qui n’est autre que le nom du tube du célèbre chanteur congolais, Rochereau Tabu Ley, l’un des pionniers et la star incontestée de la rumba congolaise.

Afrik : Peut-on affirmer que Silikani est un roman autobiographique ?

Eugène Ebodé :
C’est effectivement un roman autobiographique dans la mesure où j’y raconte tout ce qui a précédé mon départ pour la France il y a de cela une vingtaine d’années. Je rends ainsi hommage à tout ce qui m’a toujours enchanté dans ce pays, notamment sa musique, et aussi à toute une génération.

Afrik : Le roman résume donc les souvenirs d’un adolescent sur le point de quitter son pays natal pour faire ses études en France. On retrouve ainsi l’insouciance caractéristique de l’adolescence ; mais en même temps on voit que ce jeune homme a des préoccupations plus sérieuses. Il s’interroge beaucoup notamment sur le destin de son pays, et sur son avenir écologique. Il en arrive à la conclusion que seule la musique est susceptible de sauver ce continent dévasté par tant de maux…

Eugène Ebodé :
Le roman aborde différents aspects. D’abord, le devenir du continent africain, une question angoissante par delà celle du destin d’un adolescent. Le jeune Ebodé souhaite récolter avant son départ du « pays des Crevettes » (Cameroun, ndlr), ce qui lui parait important à offrir aux autres (les Français, ndlr), en l’occurrence la musique et toutes les histoires qui l’ont précédé, racontées par les anciens de son village. Il y a également l’aspect environnemental qui est très important. Il décrit ainsi une ville en proie au désordre économique et à la misère sanitaire. Une ville qui a cependant envie de sortir des ténèbres par le rire : le rire de l’espoir. Enfin, il y a l’aspect musical, le plus important. On remarque que, lorsque tout s’écroule, il reste toujours la musique. J’avais envie de rendre hommage aux musiciens africains, ces fabricants de rêves, ces additionneurs d’intensité et de vitalité. Il me paraissait important de les évoquer car on ne parle pas beaucoup d’eux dans les livres, ce qui me semble injuste. Ainsi, le portrait du grand Fela qui avait la volonté de créer une cité de la joie, du ré-enchantement d’un réel assombri par les pratiques douteuses des « politichiants », semblait emblématique. Le dernier aspect du roman est celui concernant la France.

Afrik : Justement, vous ne l’épargnez pas !

Eugène Ebodé :
Dans ce pays, beaucoup pensent que les écrivains africains ne peuvent parler que de l’Afrique alors qu nous pouvons aussi faire entendre notre voix sur ce qui se passe ici. La France est effectivement évoquée dans le roman par des Français vivant en Afrique depuis plusieurs années mais qui n’ont pas été pour autant coupé de leur pays. C’est la preuve que vivre ailleurs ne signifie pas être coupé de ses racines. Les racines ont un terreau qu’on ne coupe pas comme les branches d’un arbre.

Afrik : Vous faites souvent référence aux musiciens africains dans ce roman, notamment les musiciens congolais à qui vous semblez vouer un amour inconditionnel. Que représente cette musique pour vous ?

Eugène Ebodé :
La musique est très importante dans la vie des Africains en générale. Elle nous fait danser et nous fait ainsi sortir de notre condition misérable. La musique africaine vient d’ailleurs des quartiers populaires du continent où elle est perçue comme un don du ciel. Avec cette musique, c’est la terre qui te parle et qui te demande de ne pas être malheureux et de sortir de la vallée des larmes pour monter sur les ponts de l’enthousiasme.

Afrik : D’où vous vient cet amour pour cette musique, en particulier la rumba congolaise ?

Eugène Ebodé :
J’ai grandi en écoutant de la rumba congolaise. J’adore les musiciens de cette époque car il y avait véritablement du sens dans les paroles de leurs chansons. Ma mère écoutait beaucoup cette musique, plus particulièrement « Silikani », la célèbre chanson de Rochereau Tabu Ley.

Afrik : D’où le titre de votre roman ?

Eugène Ebodé :
C’est un titre emblématique qui évoque une jeune femme qui veut prendre son temps avant de se marier, elle désire d’abord continuer ses études. Cette jeune femme veut dire : « je veux encore apprendre, être encore disponible pour apprendre et non pour être prise ». J’avais besoin de faire entendre le sens des paroles de cette chanson dans le roman à travers le personnage de Silikani. Donc si j’ai un mot à dire, c’est : « soyons réceptifs aux messages contenus dans les chansons de ces musiciens.

Afrik : Ce roman est le dernier volet d’une trilogie autobiographique avec le jeune Ebodé comme personnage principal. Avez-vous l’intention de continuer de faire vivre ce personnage dans vos prochains romans ?

Eugène Ebodé :
Non, c’est fini. Sauf s’il y a un mouvement populaire des Africains, ce qui m’étonnerait beaucoup. Les Africains ne lisent pas, et ne connaissent pas les auteurs africains, ils préfèrent laisser les autres le faire à leur place.

Afrik : N’êtes-vous pas un peu dur avec vos compatriotes ? Ne pensez-vous pas que c’est une question d’éducation et du prix des livres ?

Eugène Ebodé :
Il faut arrêter de se voiler la face. En règle générale, les Africains préfèrent rouler dans des voitures de marque, et je peux vous assurer que les personnes qui conduisent ces types de voitures, qui préfèrent cumuler les biens matériels, sont tout à fait éduquées et ont financièrement les moyens de s’acheter quelques livres.

Afrik : J’ai cru comprendre que vous êtes invité au salon Livres d’Afrique. L’initiative vient justement de jeunes Africains et africanophiles. N’est-ce pas un bon début pour ce qui est de sensibiliser les Africains à la lecture ?

Eugène Ebodé :
Comme vous l’avez dit, l’initiative vient de jeunes Africains vivant en France. Ils ont senti qu’il y avait un vide à ce niveau-là et ils ont voulu y remédier en tentant de le combler. Et pour cette raison je leur tire mon chapeau, je dis « milles bravos ».

Afrik : Quel sera votre rôle à ce Salon ? Etes-vous membres du jury ?

Eugène Ebodé :
Je suis simplement invité, je devrais intervenir lors d’une conférence. L’année passée lors de la première édition, j’étais également présent. Je trouve ce type d’initiatives intéressantes et je salue le travail de ces jeunes.

Afrik : Avez-vous un livre en préparation actuellement ?

Eugène Ebodé :
J’ai déjà publié depuis ce printemps cinq livres et je voudrais que ces derniers soient d’abord écoulés avant d’en écrire un autre. J’ai pas mal écrit cette année : d’abord Silikani, ensuite Le poème-épicé, Le Fouettateur et Grand-père Boni et les contes de la savane, enfin un conte pour enfants écrit en collaboration avec d’autres auteurs et dont les recettes ont permis à des enfants de partir en vacances.

 Silikani, un roman paru aux éditions Gallimard, Collection « Continents noirs », 2006.

 La seconde édition de Livres d’Afrique se tient à l’UNESCO, à Paris, le samedi 28 octobre 2006.

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