Lu ce titre dans le Washington Post de samedi : « Devons-nous privatiser le maintien de la paix ? ». Suit une démonstration se voulant sérieuse, où l’auteur explique d’abord que la mission des Nations-Unies au Sierra Leone, la MINUSIL, « patauge ». Passe encore que l’analyse, sans être tout à fait fausse, soit à contretemps de la situation du terrain : nous autres journalistes ne sommes pas, hélas, à l’abri d’une erreur quand il s’agit d’exposer une réalité confuse, surtout en anticipant d’une douzaine d’heures comme c’est le cas dans la presse écrite. Et puis les journalistes ne sont pas seuls, deux fois hélas, à se tromper sur le Sierra Leone. Pas de quoi en faire un éditorial.
Mais l’audacieux rédacteur du Post a une idée à révéler au monde. Il propose, dans la suite de son article, de confier à des mercenaires les missions onusiennes de maintien de la paix en Afrique. Il cite même une société, basée en Afrique du Sud, qui serait toute indiquée pour le job. Ferait-elle mieux que la Minusil ? Sûrement pas, écrit le journaliste ; mais ses services coûteraient beaucoup moins cher que ceux rendus par les Casques bleus ! L’inefficacité à moindre coût : voilà un puissant argument…
Première question : l’idée de privatiser le maintien de la paix n’annonce-t-elle pas l’idée de privatiser l’Onu ? Aussi absurde que cela paraisse, c’est l’une des incarnations du rêve libéral : la régulation sans instance publique, le droit sans Etat. Les Africains connaissent cet air : c’est celui qu’on les force déjà à entendre, sous le couvert de « l’ajustement structurel » ou de la « bonne gouvernance ».
Deuxième question : le Washington Post aurait-il osé proposer une telle solution lorsque les forces onusiennes étaient engagées en Bosnie ? Aurait-il suggéré l’usage de mercenaires au gouvernement britannique au plus fort des troubles en Irlande du Nord ? Pourtant, dans ces deux cas et dans bien d’autres qui n’avaient pas pour cadre l’Afrique, les forces de maintien de la paix ont échoué pendant de longues années à pacifier les zones où elles étaient déployées.
Troisième question : la MINUSIL coûte-t-elle vraiment trop cher ? Prétendre cela est, en vérité, tout simplement scandaleux. La MINUSIL est la plus mal dotée de toutes les missions envoyées par l’Onu dans des pays troublés. C’est parce qu’elle ne disposait pas d’armements adaptés que cinq cent de ses Casques bleus ont été pris en otage, par ceux-là même qu’ils avaient pour mandat de désarmer. Depuis dix jours, Kofi Annan se plaint sans relâche du manque de financement de la MINUSIL : s’il a lu le Washington Post daté du 13 mai, il a dû s’étrangler de rage.
C’est à peu près la réaction qu’a eue la rédaction d’afrik.com. Ne perdons pas de vue qu’il ne s’agit là que des élucubrations d’un journal – fût-il éminent… et américain, donc puissant. Mais il y avait bien, trois fois hélas, de quoi faire un éditorial.