Violées, torturées et utilisées comme des esclaves sexuels durant la guerre civile, les femmes continuent d’être maltraitées en Sierra Leone. Malgré quelques progrès récents, ni les chefs locaux ni les autorités publiques ne semblent prendre la mesure des souffrances qui sont les leurs.
Freetown,
A 23 ans, la jeune Musu ne veut plus avoir d’autres enfants car elle a déjà du mal à nourrir ses trois bambins. Et pour avoir pris cette décision, elle est battue et violée régulièrement par son mari, un homme âgé de 45 ans. « Mon mari me battait et m’obligeait à avoir des relations sexuelles tous les jours », affirme Musu à IRIN depuis Freetown, la capitale sierra léonaise, où elle vit chez un parent éloigné après avoir quitté son mari.
« Il voulait d’autres enfants et n’arrêtait pas de me battre. J’en avais marre ». A en croire Musu, le chef local a ignoré ses plaintes à propos des sévices qu’elle subissait de l’homme qu’elle avait été contrainte d’épouser à 16 ans. Elle n’est pas allée à la police « parce que je n’avais pas d’argent et que les agents demandent toujours qu’on leur en donne », explique-t-elle.
Des séquelles de la guerre
Malgré la nouvelle législation visant à promouvoir le statut légal des femmes en Sierra Leone, l’impuissance face à la violence reste, pour de nombreuses femmes, une réalité quotidienne. Dans un rapport publié le 1 novembre, Amnesty International indique que la « brutalité inimaginable » dont ont été victimes les femmes pendant la guerre civile qui a ravagé le pays, de 1991 à 2002, explique les actes de violence dont elles font encore l’objet aujourd’hui.
En effet, durant la guerre, quelque 250 000 femmes et jeunes filles, soit environ un tiers de la population féminine, ont été violées, torturées et utilisées comme esclaves sexuels selon le rapport. « Le viol est le seul crime de guerre qui se poursuit aujourd’hui », indique ainsi Tania Bernath, spécialiste de la Sierra Leone à Amnesty International, à IRIN.
Plus de plaintes, mais toujours aussi peu de sanctions
Si, comme le reconnaissent plusieurs spécialistes de ce pays, de plus en plus de femmes victimes de viol ou de violences domestiques déposent des plaintes à la police, ces crimes sont fréquents et ne sont généralement pas sanctionnés. Cette impunité s’explique en partie par l’absence de moyens pour poursuivre les criminels, mais elle est surtout une pratique courante, selon certains défenseurs des droits humains.
Musu assure qu’elle avait fait part de sa situation mais qu’elle n’avait pas été écoutée. « Chaque fois que vous parlez au chef, il vous répond « l’homme a toujours raison » », confie-t-elle. « C’est la coutume ». C’est l’attitude qui prévaut, confirme Jamesina King, présidente de la Commission des droits de l’homme de Sierra Leone. « C’est une réaction typique ».
La commission des droits de l’homme s’est récemment rendue dans le nord du pays pour sensibiliser les communautés aux problèmes de la violence envers les femmes et plusieurs de ses membres ont constaté que bon nombre de personnes n’avaient pas entendu parler des droits des femmes ou étaient indifférents à leurs plaintes. Avant de partir pour Freetown, Musu s’était déjà enfuie à plusieurs reprises de chez ses parents, qui vivaient à proximité de son domicile conjugal – dans la ville de Kabala (nord), à environ 170 kilomètres de la capitale. A chaque fois, ses parents l’avaient réprimandée avant de la convaincre de rejoindre son mari.
La médiation favorise l’impunité
« C’est sans aucun doute un monde d’homme ; un monde de chef, déplore Mme Bernath, d’Amnesty International. Les chefs ont un pouvoir considérable et ceux qui tentent de promouvoir les droits des femmes sont rares ». Et même dans les cas où un chef doit se prononcer sur une affaire de violence domestique ou d’agression sexuelle, sa stratégie consiste généralement à jouer les bons offices pour résoudre un problème considéré comme un différend d’ordre familial. « Il y a encore cette idée selon laquelle ces problèmes doivent être réglés en famille », explique Mme Bernath.
« Dans les affaires de viol, la médiation favorise l’impunité et amène l’Etat à se décharger de son obligation de poursuivre les auteurs de violences commises envers les femmes », note le rapport d’Amnesty International. La Sierra Leone est signataire de plusieurs conventions internationales, dont la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
La loi sur l’égalité des genres votée en juillet était censée accorder aux femmes des droits qu’elles n’avaient pas eus jusqu’à présent ; mais en Sierra Leone, il faut beaucoup de temps pour que les lois soient appliquées et se traduisent dans les faits. La Sierra Leone figure parmi les nombreux pays du monde qui observent la campagne baptisée « Seize jours d’activisme contre la violence envers les femmes », du 25 novembre, date de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, au 10 décembre, date de la journée internationale des droits de l’homme.
Selon les défenseurs des droits humains, la Sierra Leone a néanmoins réalisé quelques progrès. Le simple fait que des communautés puissent aborder les violences faites aux femmes comme étant un problème sur lequel il convient de se pencher est un important pas en avant, juge Mme King, de la Commission des droits de l’homme.
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Consulter le rapport d’Amnesty International (en anglais) sur la violence faite aux femmes en Sierra Leone
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