En Sierra Leone, la chute du cours du diamant, l’amenuisement des réserves, les conditions de travail toujours déplorables et la déréglementation incitent les travailleurs de l’industrie du diamant à se lancer dans l’agriculture, ont déclaré des jeunes à IRIN.
« L’avenir de Kono n’est pas dans les diamants », a estimé Tamba Kakarnbanja, conseiller jeunesse dans la région de Kono. « Il est dans l’agriculture ».
Les diamants ont contribué à alimenter la guerre civile, qui a duré 11 ans, fait au moins 75 000 morts et quelque 10 000 blessés, et provoqué le déplacement de près de la moitié des 4,5 millions d’habitants que compte la Sierra Leone, selon les Nations Unies. A Kono, des dizaines de milliers d’habitants ont été forcés de fuir leurs villages pour échapper aux rebelles qui cherchaient à faire main basse sur ce territoire riche en diamants.
Aujourd’hui, la récession mondiale a fait dégringoler le cours du diamant en Afrique : le prix du diamant brut a chuté de pas moins de 20 pour cent, selon les diamantaires locaux. Et à en croire certains observateurs de l’industrie, les prix risquent de chuter d’encore 60 pour cent.
Les mineurs artisanaux et les grandes sociétés d’exploitation des mines de diamants dégagent de moins en moins de bénéfices, et ces dernières ont considérablement réduit leurs effectifs dans l’ensemble de la région.
« Les gens disent que plus on fait couler le sang, plus on a de diamants. Maintenant, on fait moins couler le sang, alors on a moins de diamants », a expliqué un diamantaire, simplement connu sous le nom de « Little », à Koidu, chef-lieu de Kono.
« On compte sur la chance pour vivre »
Mohammed Diallo, 45 ans, est originaire du village de Kumdoma, à Sandoh, une chefferie du nord de Kono ; il est chercheur de diamants depuis presque toujours. « J’en ai assez de ce travail », a-t-il confié. « Ce n’est pas constant. Cela fait trois mois qu’on creuse dans ce gisement et jusqu’ici, on n’a rien trouvé. L’année prochaine, je me mets à l’agriculture. C’est plus stable. On récolte ce qu’on a semé. Là, on ne compte que sur la chance pour vivre ».
« On exploite très peu les mines, maintenant. Les gens trouvent encore des diamants le long des rivières, mais ils sont plus petits qu’avant », a expliqué Little à IRIN. « Nous avons de plus en plus de difficultés à vivre. On est tous fauchés, maintenant. La plupart des groupes trouvent un diamant tous les six mois… s’ils ont de la chance ».
L’année dernière, Mohammed Diallo a gagné à peine 60 dollars sur les six mois de la saison. Certains volent des diamants et les vendent illégalement ou les font passer en contrebande de l’autre côté des frontières guinéenne ou libérienne, situées à proximité, selon Abdu Diallo, qui supervise la mine de Kumdoma.
Au gisement de Kumdoma, les travailleurs reçoivent un bol de riz et un peu de sauce, en échange d’heures entières de dur labeur. S’ils trouvent des diamants, ils sont rémunérés à la fin de la saison. Soixante-dix pour cent des bénéfices reviennent au financier, le reste, au titulaire du permis d’exploitation (souvent le chef de la communauté locale), qui répartira ses gains entre ses travailleurs. Les mêmes conditions sont appliquées dans l’ensemble de la région.
La plupart des travailleurs continuent d’exploiter les mines de manière artisanale « parce qu’ils croient à un rêve », d’après Patrick Tongu, directeur du Network Movement for Justice and Development, un organisme à but non-lucratif de Kono.
A Kono, le secteur de l’exploitation minière englobe l’exploitation à grande échelle des gisements profonds, l’exploitation industrielle des gisements superficiels ou alluvionnaires, et l’exploitation artisanale des mines par des travailleurs seuls ou en petits groupes ; cette pratique non-automatisée, à faible rendement, emploie traditionnellement la grande majorité de la population locale.
Koidu Holdings, la plus grande société de la région, comptait 600 employés en mai 2008 ; aujourd’hui, elle n’en a plus que 60. Cette réduction massive des effectifs est due à la fois à la révision des contrats d’exploitation par le gouvernement et à la situation actuelle dans l’industrie du diamant, selon Ibrahim Kamara, porte-parole de Koidu.
« Nous espérons qu’un jour nous aurons de nouveau 600 employés, mais c’est la folie, à l’échelle internationale, et tout le monde est touché. Tout le monde se comporte de manière sensée : les gens ne veulent plus acheter des produits de luxe, aujourd’hui », a expliqué M. Kamara à IRIN.
L’agriculture, un secteur qui rapporte
L’agriculture assure un salaire plus important et plus stable que l’exploitation artisanale des mines, à en croire Marco Serena, directeur national de l’organisation non-gouvernementale (ONG) internationale COOPI, qui dirige un programme d’aide aux jeunes qui souhaitent se lancer dans l’agriculture, dans 32 communautés de Kono.
Encadré : « …Les gens disent que plus on fait couler le sang, plus on a de diamants. Maintenant, on fait moins couler le sang, alors on a moins de diamants… »
Selon une étude, menée en 2008 auprès de 70 jeunes participant au programme de COOPI, 60 pour cent d’entre eux vivaient en deçà du seuil de pauvreté national (1,25 dollar par jour) au lancement du projet, mais 90 pour cent gagnaient entre deux et 3,50 dollars par jour une fois le programme mis en œuvre.
« Avec le déclin de l’exploitation minière et le taux de chômage énorme constaté dans l’ensemble de la région, nous observons un intérêt bien plus marqué pour nos programmes agricoles », a déclaré Marco Serena.
COOPI travaille avec des groupes de jeunes (âgés, pour la plupart, de 15 à 25 ans) qui cultivent des légumes, des fruits et du riz. Ils pilent du manioc pour produire du « gari », qui sera mélangé à de l’eau pour être mangé en sauce ; d’après Marco Serena, ils pourront aussi bientôt produire du jus de mangue et de banane.
« Ces produits se conservent plusieurs mois de plus [que les matières premières], et ont plus de valeur à la vente », a noté M. Serena, ajoutant que les fermiers pouvaient obtenir un retour sur investissement de 30 pour cent.
Le gouvernement encourage aussi vivement les jeunes à se remettre à l’agriculture, selon M. Serena.
« Ces garçons sont habitués à travailler dur et s’ils sont encouragés par les bonnes mesures incitatives, s’ils ont de l’engrais, l’équipement qu’il faut, et sont un peu formés à la gestion financière, je pense que 80 pour cent des jeunes d’ici choisiront [l’agriculture] », a estimé M. Kakarnbanja, conseiller jeunesse.
Le taux de chômage s’élève à 75 pour cent chez les jeunes de la région de Kono, dans l’est du pays, selon les statistiques du gouvernement.
Pour sa part, M. Diallo du village de Kumdoma ne sait pas comment récolter des fonds pour créer une exploitation agricole ; il ne fait pas non plus partie d’une coopérative, une condition à remplir pour pouvoir bénéficier du programme de subventions de COOPI.
« Je ne sais pas encore comment y arriver, mais je suis déterminé à essayer », a-t-il déclaré.