L’aventure de la commune de Sidi Boumehdi, au Maroc, commence officiellement en 1992 grâce à la conviction d’un homme : Mostafa Maataoui. En proposant la mise en place d’une collectivité locale, il en profite pour améliorer les rendements d’une agriculture menée dans un climat semi-aride.
Maroc, début des années 90. Mostafa Maataoui est loin de penser qu’il deviendra maire d’une commune rurale dont il est à l’origine de la création, Sidi Boumehdi. Pourtant son parcours l’y portait naturellement. Son mémoire de DEA en économie territoriale, présenté en 1978 à l’université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne), portait déjà sur « les mérites d’un développement par le bas » en prenant l’exemple marocain. La pratique va bientôt succéder à la théorie. Mostafa Maataoui doit retourner dans son pays à la demande de ses parents. « J’étais obligé de rentrer au Maroc parce que mon père était agonisant, se souvient-il. Il m’a dit : « Tu as assez étudié, maintenant je vais partir et les terres, je les ai valorisées. On ne va pas les laisser tomber ». » Mostafa Maataoui ne fait pas tout de suite à l’idée de prendre la relève de son père, mais l’envie de relever le défi est beaucoup plus forte. L’économiste se met très vite dans la peau d’un agriculteur et gagne bientôt la confiance de ses aînés et de ses pairs. En 1983, « en cohérence avec ce que j’ai appris, je me suis présenté aux élections communales et j’ai été élu comme conseiller à la commune mère de Sidi Boumehdi, Beni Khloug ». Un tremplin pour mettre en œuvre ses ambitions agricoles, et surtout son projet territorial. Car « l’action de développement est locale, même si elle est peut être conçue globalement », plaide Mostafa Maataoui. Aussi, dans le cadre d’une réforme communale qui visait à doubler le nombre de communes dans le Royaume chérifien, il soumet son projet : la naissance d’une nouvelle collectivité locale, celle de Sidi Boumehdi. « Je suis tombé sur un gouverneur qui était à l’écoute », souligne-t-il.
Nouvelle commune et révolution des pratiques agricoles
La commune, qui s’étend sur 120 km², est située au Nord-Est de la province de Settat, à 50 km de la ville du même nom et à 125 km de Marrakech, à près de 600 mètres d’altitude. « J’ai présenté un projet de découpage de Beni Khloug pour créer une commune dans sa partie nord en 1989 », explique Mostafa Maataoui qui devient le président de la commune de Sidi Boumehdi en 1992, date officielle de sa création. Sidi Boumehdi est composée de deux grands villages, que l’on appelle au Maroc, « des douars » – l’un compte 1 800 habitants et l’autre 1000 -, et d’un autre regroupement de petits douars, soit environ 500 personnes. La mise en place de la commune, où domine un climat semi-aride, sera aussi l’occasion de redynamiser la coopérative qui constituait un lien entre ces communautés villageoises. « Au centre de ces villages, il y avait une coopérative de réforme agraire qui gérait 3 000 hectares, mais elle n’avait rien d’une coopérative à cause des conflits internes qui la minaient », précise Mostafa Maataoui. La création de la commune sera ainsi l’occasion « de faire l’agriculture autrement, sur une base plus scientifique », d’où un partenariat avec un centre de recherche agronomique. « Il s’agissait de faire du territoire communal un laboratoire de recherche scientifique pour trouver une alternative à des territoires céréaliers en crise, à cause de la non maîtrise des aléas climatiques, proposer des cultures adaptées à l’aridité grimpante et assurer un revenu durable aux habitants. Un programme a été défini avec les représentants des habitants de la commune rurale sous l’autorité scientifique du centre régional de recherche agronomique de la province de Settat, en collaboration avec les services provinciaux. Le projet a été géré par le principal partenaire financier, l’ONG italienne Cefa (Le Comité européen pour la formation et l’agriculture)». En 1996, le centre régional de recherche agronomique de Settat identifie ainsi « 90 actions de développement », selon un document officiel.
Motivation supplémentaire pour mener cette révolution : les agriculteurs sont « nostalgiques » des rendements enregistrés pendant l’époque coloniale . Les temps ont bien changé depuis : « On semait et on attendait. Et si ça ne marchait pas, c’était de la faute de la pluie, etc… », raconte Mostafa Maataoui. Le cahier de charges mis en place avec le centre de recherche agronomique permet un transfert technologique. Les agriculteurs qui l’appliquent amélioreront par conséquent leurs rendements. Mais les résistances au changement persistent. « Par exemple, avec la sècheresse, on leur proposera de s’orienter vers l’arboriculture. Mais ils s’y opposent parce que, selon eux, l’arbre favorise le rassemblement des moineaux, considérés comme nocifs aux cultures céréalières. Les agriculteurs voulaient rester céréaliers alors que ce n’était plus rentable. Ce sont des blocages sociologiques qui nécessitent beaucoup de travail pour les surmonter. » La sècheresse oblige également les agriculteurs de Sidi Boumehdi à s’orienter vers l’élevage. « Sidi Bouhmedi a allumé une bougie, estime Mostafa Maatoui. Mais les autres communes doivent allumer la leur aussi parce que Sidi Bouhemdi ne peut pas être à l’origine, à elle seule, d’un développement global ». L’expérience vécue par cette autorité locale marocaine, créée de toutes pièces, a été distinguée en 2009 par Harubuntu, le concours des porteurs d’espoirs et des créateurs de richesses africains dans la catégorie Autorité locale.