Le Réseau des associations congolaises des jeunes contre le VIH/sida (Racoj-Sida) s’est fixé un véritable défi : sensibiliser les enfants et jeunes de la rue aux risques des relations sexuelles non protégées. Trésor Kasia Kitom est le coordonateur national de ce réseau. Il revient sur les stratégies mises en place pour convaincre ces jeunes en situation précaire de faire du préservatif un réflexe.
Notre envoyée spéciale à Dakar
Parler du VIH/sida dans une salle de classe, ce n’est pas simple. En parler à des enfants dits « vulnérables », c’est encore plus compliqué. Parce que ces jeunes, pour beaucoup livrés à eux-mêmes dans la rue, sont difficilement saisissables tant ils sont mobiles. Les sensibiliser n’est pourtant pas une option : de part leur situation, ils sont particulièrement exposés au virus. C’est fort de ce constat que le Réseau des associations congolaises des jeunes contre le VIH/sida (Racoj-Sida) s’active depuis 2005 dans dix des onze provinces de la République Démocratique du Congo. Trésor Kasia Kitom est le coordonateur national du Racoj-Sida. Interviewé lors de la pré-Conférence internationale sur le VIH/sida de Dakar (Sénégal), il fait le point sur les activités du réseau.
Afrik.com : Comment est née l’association ?
Trésor Kasia Kitom : Le Réseau est né après le forum national jeunes et VIH, qui s’est tenu du 9 au 13 mai 2005. Ce forum, qui avait connu la participation des enfants et jeunes de la rue, avait pour principal objectif de mettre en place un cadre stratégique national de lutte contre le sida. On devait donc faire en sorte que toutes les couches, toutes les différentes catégories de jeunes puissent être représentées. Nous avons identifié des jeunes et enfants marginalisés que nous avons essayé de mettre avec nous. On a entamé la réflexion, on a abouti au résultat ensemble et le processus continue jusqu’à ce jour.
Afrik.com : Quelle mission vous êtes-vous fixée pour ces enfants des rues ?
Trésor Kasia Kitom : La séropositivité est une chose mais pour nous ce qui est important c’est le respect des droits de ces jeunes. Nous avons constaté que dans la plupart des programmes contre le sida mis en place pour les jeunes on ne retrouve pas les jeunes marginalisés. Notre mission est de trouver les voies et moyens pour faire en sorte que ces jeunes-là aient accès à l’information, aux services, ainsi qu’au renforcement des compétences nécessaire pour qu’ils soient moins vulnérables que les autres, ou au moins qu’ils le soient au même degré.
Afrik.com : Quelle stratégie adoptez-vous pour les sensibiliser ?
Trésor Kasia Kitom : Hormis le fait que nous contactions leur leader pour les trouver, on les attire avec de l’argent ou quelque chose à manger. Lorsque nous organisons une formation, par exemple, il faut garantir aux shégués qu’ils auront à manger – et qu’ils n’auront donc pas à voler ce jour-là pour manger – et qu’ils recevront un peu d’argent pour payer leur transport – même s’ils vont faire autre chose avec. Là, on peut être sûrs de les garder. Mais par contre, pour la suite, il faut aussi des stratégies de convivialité. Il faut les attirer par la musique, dont ils sont fous. Par le sport, parfois ça marche aussi. Mais ils sont vraiment accros à la musique parce qu’elle exerce une réelle influence sur eux.
Afrik.com : Approchez-vous des musiciens pour qu’ils chantent des textes sur le sida qui resteront dans la tête de ces jeunes ?
Trésor Kasia Kitom : Même si nous n’avons pas encore rendu officielle la nouvelle, le Réseau des associations congolaises des jeunes contre le VIH/sida et ses partenaires du système des Nations Unies vont décerner à une star congolaise de renommée internationale le titre d’ambassadeur pour la jeunesse dans la lutte contre le sida. Cette star, dont je tairai le nom, a accepté de jouer ce rôle-là pour l’intérêt de la jeunesse de son pays. Dans les jours qui viennent, nous allons organiser des événements de grande envergure avec cette star pour l’intérêt des jeunes, et en particulier des plus marginalisés.
Afrik.com : Quelle sera la mission de cet ambassadeur ?
Trésor Kasia Kitom : L’ambassadeur pour la jeunesse congolaise aura pour mission de porter notre voix, de renforcer notre plaidoyer auprès des décideurs, d’intégrer la lutte et de faire de la prévention contre le sida dans toutes ses activités. C’est-à-dire autoriser lors de ses concerts et de ses répétitions que nous diffusions des messages, distribuions des préservatifs ou même au besoin que nous implantions un point de distribution de préservatifs. En plus, il peut, autant de fois que c’est possible, organiser des concerts dont tous les revenus seront directement transférés aux activités de lutte contre le sida.
Afrik.com : Encouragez-vous les enfants des rues au dépistage ?
Trésor Kasia Kitom : Avec l’appui de l’Unicef, nous avons installé un stand à la foire internationale de Kinshasa (capitale de la République Démocratique du Congo, ndlr) où un grand nombre d’enfants et jeunes de la rue se sont fait dépister. Mais très peu sont revenus chercher les résultats… Il y a beaucoup de problèmes pour les enfants et jeunes marginalisés et je pense qu’il faut sortir des sentiers battus, repenser les stratégies, revisiter les meilleures pratiques et en inventer d’autres pour essayer de les intégrer davantage dans les activités de lutte. Car, après tout, ce sont des jeunes qui doivent bénéficier des mêmes droits que ceux qui sont « normaux ».
Afrik.com : Comment se passe l’accès au traitement si la séropositivité est avérée ?
Trésor Kasia Kitom : Un jeune qui est porteur du virus et qui n’a pas de garantie de traitement est infecté physiquement mais aussi psychologiquement. Il faudra que les autorités, les gouvernements, les bailleurs de fonds, les partenaires… puissent garantir que les gens qui vont au conseil-dépistage-volontaire (CDV) auront accès au traitement et qu’ils auront les soins voulus. Je pense que c’est le principal blocage. Une fois que ce blocage n’existera plus, je pense que le CDV va encore avancer.
Afrik.com : En trois ans d’existence, avez-vous le sentiment que vos actions de sensibilisation parviennent à toucher les enfants des rues ?
Trésor Kasia Kitom : Je pense qu’il faut des preuves scientifiques et qu’il faut mener des études spécifiques pour le dire. Mais je sais qu’une enquête menée par l’école de santé publique a révélé que, contrairement à ce qu’on peut penser, les enfants des rues ont parfois un degré d’information holistique, pas forcément moindre par rapport aux enfants « normaux ». Mais l’information est une chose et les compétences pour appliquer ces informations est toute autre chose. Ces jeunes ont des informations, ils connaissent le VIH, les moyens de se protéger… Le problème est qu’ils n’ont pas toutes les compétences pour faire de ces informations reçues un mode de vie.
Sur la photo: Trésor Kasia Kitom
Lire aussi:
Sida : des modules d’information pour améliorer la protection des jeunes
Jeune, séropositif et plein de vie
SIDA : faire d’ICASA 2008 « un forum extraordinaire »