Le « remède miracle » contre le sida du président de la Gambie, Yahya Jammeh, n’en finit pas de faire des vagues. La coordinatrice de l’Onu dans le pays a été déclarée persona non grata pour avoir critiqué cette méthode, qui inquiète les acteurs de la lutte contre le sida. Le chef de l’Etat a par ailleurs créé un fonds spécial contre le sida et les autres maladies, que les entreprises seraient obligées de financer.
Des plantes et une prière basée sur le coran. C’est la base du « remède miracle » contre le sida que le président gambien a présenté, mi-janvier, à Banjul, à des diplomates étrangers venus assister à une réunion extraordinaire. Depuis la démonstration de Yahya Jammeh, qui promet la guérison « dans trois à trente jours », les acteurs de la lutte contre le sida sont inquiets. Ils se demandent si l’efficacité de la formule du chef de l’Etat est prouvée, et si elle s’attaque au sida même ou aux maladies opportunistes. « Je guéris le sida et je n’ai aucune explication à donner à ceux qui ne croient pas à ce que je fais, et encore moins à l’Occident », avait en substance déclaré Yahya Jammeh. Moins catégorique, le ministre de la Santé, Tamsir Mbowe, avait expliqué fin janvier que des précisions suivraient « plus tard ».
Fiabilité des résultats remise en cause
Alors que l’Organisation mondiale de la santé réitère qu’il n’« existe pas de traitement contre le sida pour le moment », sur le site du président on répète à l’envi que le remède est réellement miraculeux. Des publicités radio et télédiffusées du ministère de la Santé clament les « vertus » du traitement. Et deux séropositifs, interrogés par l’agence Associated Press, affirment se sentir mieux. L’un a confié que « c’est comme si le président avait fait sortir la douleur de [son] corps et l’autre qu’il a « retrouvé l’appétit et (…) pris du poids ». Effet psychologique ou réel ? Selon le site officiel de Yahya Jammeh, les tests sanguins effectués par un laboratoire sénégalais indiquent que les neuf patients qui ont pris le traitement « montraient des taux viraux indétectables, en contraste avec les six autres échantillons » de porteurs du virus non « traités ».
La directrice de l’unité de microbiologie moléculaire de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar a appelé à la prudence. « Vous ne pouvez pas prouver que quelqu’un a été soigné du Sida juste sur un résultat. C’est malhonnête de la part du gouvernement gambien d’utiliser nos résultats de cette manière », a indiqué le Dr Coumba Touré Kane à l’Associated Press. Des commentaires sévèrement critiqués par le pouvoir, qui jugent les commentaires de la spécialiste « faux et malhonnêtes ». Certains homologues de Yahya Jammeh, dont le président sud-africain Thabo Mbeki, devraient avoir le même sentiment, si l’on en croit les félicitations qu’ils lui ont adressées.
Un responsable onusien critique expulsé
Les autorités gambiennes n’y vont pas avec le dos de la cuillère concernant les détracteurs de la mixture présidentielle. Le docteur Fadzai Gwaradzimba, en a fait les frais. La coordinatrice résidente du système des Nations Unies en Gambie a été déclarée, vendredi, persona non grata par Banjul, qui lui a laissé 48 heures pour plier bagages. Au cœur de la crise, une déclaration publiée le 9 février où elle s’inquiète des conséquences de la « découverte » du président Jammeh. La responsable onusienne d’origine zimbabwéenne est partie dimanche pour les Etats-Unis, où elle devrait discuter de la situation. Difficile de savoir si elle pourra retourner ensuite retourner en Gambie.
Les inquiétudes de Fadzai Gwaradzimba reposent sur l’efficacité non vérifiée du traitement mais aussi sur le risque d’augmentation des comportements sexuels dangereux. Elle regrette par ailleurs que les candidats potentiels soient obligés de suspendre la prise des antirétroviraux, seuls médicaments reconnus scientifiquement comme améliorant le quotidien des malades. L’interruption est néfaste en ce que les séropositifs peuvent développer des résistances et être plus sujets aux maladies opportunistes. Problématique car des malades se rueraient à la clinique privée du Dr Yahya Jammeh, où le traitement est gratuit.
Entreprises rackettées ?
Au sein du pays, certains s’enorgueillissent du « remède miracle » de leur président qui, selon certains, poussera les malades du monde entier à venir se soigner en Gambie… D’autres, en revanche, sont beaucoup moins enthousiastes. Le président vient de créer un fonds pour le traitement du sida et des autres maladies, dont le compte est ouvert à la banque Arab Gambia Islamic Bank (AGIB). « Toutes les personnes, groupes, compagnies et organisations qui souhaiter faire un don pour le fonds peuvent le faire à la banque AGIB », peut-on lire sur le site officiel présidentiel.
Selon l’enquête du journal gambien Freedom Newspaper, « certains membres de la communauté des affaires ici ont dit qu’ils n’ont pas d’autre choix que de contribuer au fonds de traitement du sida du président au risque d’être ciblés par des représailles ». Les autorités relèveraient en effet le nom des compagnies qui ne se sont pas acquittées du paiement d’une contribution. Une contribution précieuse pour poursuivre la lutte contre le sida, alors que touche à sa fin un projet de la Banque Mondiale luttant contre la maladie.