Pionnier des pays en développement en matière d’accès aux soins pour les personnes atteintes du sida, le Brésil est aujourd’hui à la tête d’un réseau mondial d’experts, soutenu par la France et l’Onusida. Un espace d’échanges et de coopération grâce auquel l’Afrique pourra tirer bénéfice de l’exemple brésilien.
La prévention n’est pas la panacée en matière de lutte contre le sida. Comme l’a compris depuis longtemps le Brésil, le traitement de la maladie s’avère tout aussi capital. Premier pays à avoir fait plier les toutes puissantes entreprises pharmaceutiques quant à la production de médicaments génériques, il est aujourd’hui à la tête d’un réseau mondial d’experts sur l’accès aux soins. Officialisé mardi à Paris avec les deux partenaires de l’initiative, la France et l’Onusida (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida), cet espace d’échanges entend faire bénéficier les pays du Sud, et en premier lieu l’Afrique, des expériences accumulées à travers le monde.
« Ce réseau réunit au départ des chercheurs et des institutions des trois signataires. Mais 20% des 400 chercheurs branchés sur ce réseau sont des Africains. Notre but est de renforcer l’expertise africaine. L’une des particularités de cette convention est que nous considérons que nous ne seront pas efficaces dans la lutte contre le sida si nous ne nous occupons pas d’apporter des traitements et des soins gratuits », explique Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, signataire de la convention.
L’expérience brésilienne
Défiant les industries pharmaceutiques, le Brésil produit aujourd’hui ses propres médicaments génériques. Une production d’Etat, destinée uniquement au marché national, qui a fait baisser les prix des entreprises privées. « Le Brésil a exercé des pressions face aux producteurs pour faire baisser le prix des médicaments. Mais rien n’empêche des pays de s’associer pour créer une dynamique et réussir à négocier les prix. C’est d’ailleurs ce qui se passe en Amérique latine avec les pays andins. Le Brésil a réussi à faire diminuer le prix des traitements de 50% ce qui est bien la preuve qu’il y a une marge de bénéfice sur laquelle on peut agir », explique Jorge A. Z. Bermudez, directeur de l’Ecole nationale de santé publique du Brésil.
Ce dernier estime pour autant que le modèle brésilien n’est pas transposable tel quel. « Le modèle brésilien est un modèle de pays en voie de développement qui a investi dans le domaine de l’accès universel. Chaque pays peut s’inspirer de notre expérience mais doit trouver sa propre voie. » Ce qui ne veut pas dire que le Brésil se lave les mains des problèmes des autres pays ravagés par la pandémie. Le réseau mis en place avec Paris et l’Onu a notamment été créé en ce sens. Et si, toutes choses égales par ailleurs, de nombreux pays ne sont pas capables de produire leur propre médicament, « le Brésil est tout à fait prêt à discuter avec d’autres pays qui seraient intéressés par le même processus pour effectuer par exemple un transfert de technologie », explique-t-il.
L’Afrique : s’unir pour négocier
Les esprits ont beaucoup évolué. Y compris d’ailleurs parmi les responsables des industries pharmaceutiques. « Ils ont admis que les prix devaient être modulés en fonction des capacités des régions et des pays. Ils admettent aussi aujourd’hui la notion de médicaments génériques bon marché », se félicite Pierre-André Wiltzer. Pour autant, les négociations africaines en la matière restent toujours extrêmement difficiles. Epaulées par certaines grandes puissances et organisations internationales, elles portent aujourd’hui leurs fruits. « L’Onusida a aidé des pays africains à négocier des réductions de prix de médicaments, et cela a bien marché. Il y a quand même aujourd’hui des réductions de 90% dans certains pays », commente Dr Peter Piot, directeur exécutif d’Onusida.
Si une partie de l’Afrique peut importer des médicaments génériques, elle n’en produit pas encore elle-même. Pour le Dr Peter Piot, le combat engagé pour le traitement de la maladie en Afrique ne passe que par l’union. « L’Afrique peut gagner si l’Afrique est unie. Nous avons beaucoup parlé du sida au dernier sommet de l’Union africaine à Maputo (Mozambique, ndlr). Il est question de mettre ensemble des ressources pour acheter des médicaments et même de produire des médicaments localement.»
Un péril social et économique
Personne, surtout pas en Afrique, ne remet en question l’importance du fléau VIH. Une véritable prise de conscience s’est installée sur le continent, même si de l’avis du Dr Peter Piot, « les efforts des pays africains restent insuffisants ». Il reconnaît tout de même que la nécessité de traitement est reconnue dans de plus en plus de pays. « Au Cameroun, il y a par exemple beaucoup d’entreprises privées qui proposent le traitement à leurs employés. Et ça commence également dans le service public. »
Carton rouge à l’Afrique du Sud où les autorités nient toujours l’efficacité du traitement. Donc traînent des pieds pour favoriser l’accès aux soins. « Il y a des doutes sur l’efficacité des médicaments, là où nous savons très bien qu’ils sauvent des vies et à mon avis des économies entières. Mais on est près de la fin de ce débat. Quand un citoyen sur quatre est infecté, il ne s’agit pas de la survie d’un individu ou d’une famille mais de toute une nation. »