En Côte d’Ivoire, les femmes sont particulièrement vulnérables au VIH. Et, bien souvent, les femmes enceintes infectées ne savent pas qu’un traitement approprié peut empêcher que leur bébé ne soit lui aussi séropositif. L’Unicef se bat pour la généralisation de la prévention de la transmission mère-enfant (PTME). Exemple à Abidjan.
« Selon une enquête récente, il y a plus de deux femmes contaminées pour un homme en Côte d’Ivoire. » Le docteur Konan, membre de la représentation de l’Unicef à Abidjan explique ce chiffre par la vulnérabilité économique des femmes, incapables de négocier le préservatif, souvent à cause de la pauvreté, par leur manque de scolarisation et d’accès aux informations, et par le fait que de nombreux hommes multiplient leurs partenaires. Résultat, parmi la population des femmes enceintes ivoiriennes, 8 à 10% sont séropositives. « En temps normal, le taux de transmission du sida de la mère et à l’enfant est de 25% en Côte d’Ivoire, en dehors de toute intervention. Avec une intervention, on réduit de moitié le taux de transmission », insiste le dr Konan. C’est au centre de Protection Maternelle et Infantile (PMI) de Yopougon, à Abidjan, que la PTME (Prévention de la Transmission du VIH de la Mère à l’Enfant) a été expérimentée pour la première fois. De 1995 à 1998, la recherche a prouvé l’efficacité de l’AZT sur la grossesse et, après un premier projet-pilote de 1999 à 2001, une phase d’extension a eu lieu. Aujourd’hui, il existe 80 à 90 centres PTME en Côte d’Ivoire, répartis pour l’essentiel en zone gouvernementale. L’Unicef étend cette activité dans le Nord et le Centre, notamment Bouaké et Khorogo.
La PTME englobe le dépistage, le suivi pendant la grossesse et l’accouchement, ainsi que la prise en charge thérapeutique pour la femme et l’enfant après l’accouchement. Le dépistage et le bilan sont gratuits et les femmes ne déboursent rien pour leur prise en charge, sauf si elles sont sous antirétroviraux (ARV), qui coûtent 3 000 F Cfa par trimestre, un prix qui a baissé ces dernières années. « Le traitement ARV pour les enfants est totalement gratuit. Cette gratuité et le faible coût des médicaments pour adultes peut renforcer l’annonce dans les familles, les rassurer. Mais pour maintenir cette gratuité, nous avons besoin de partenaires », précise Biba Koffi, sage-femme qui a participé au premier projet-pilote. Le traitement à l’AZT se fait à partir de 36 semaines de grossesse jusqu’à l’accouchement. Un comprimé de Nevirapine est donné à la femme au moment de l’accouchement.
Apprivoiser les femmes enceintes
« Le problème majeur, c’est l’annonce au conjoint », indique la sage-femme. « Normalement, dans la procédure, on doit amener le conjoint à la consultation. Mais, après l’annonce, certaines femmes ne reviennent pas. On leur fait alors une lettre d’invitation pour des soins sans préciser que c’est dans le cadre de la PTME. Il y a beaucoup de cas de rejet mais ce sont surtout les femmes infectées qui ont peur d’être abandonnées si elles le révèlent à leur mari. Dans l’esprit de beaucoup, le VIH ne concerne que la femme qui a révélé sa séropositivité. Heureusement, il existe des couples séro-discordants au sein desquels ça se passe bien et, côté dépistage des conjoints, on a réussi à passer de 2 à 7%. »
Pour « apprivoiser » les femmes enceintes, des « causeries de groupes » sont organisées pour donner des informations générales sur le VIH. « Avec les femmes, le problème n’est pas le dépistage mais la gestion de l’après. C’est compliqué au niveau de la communauté. Il y a une stigmatisation au sein de la famille qui pousse certaines femmes à abandonner le suivi. Le regard des autres joue un grand rôle. Pour mettre en oeuvre la PTME, il faut l’adhésion de la communauté. L’essentiel des ressources pour le VIH est affecté dans la prise en charge médicale, la communication est laissée de côté alors que c’est très important. Il faut que la population participe à l’élaboration des programmes. Avant l’ouverture du centre, on a sensibilisé la communauté. On a une approche individuelle car les gens viennent avec des préjugés et des informations parcellaires. Ils ne connaissent pas les traitements et leurs résultats. » Et le travail effectué au sein de la PMI paie : de plus en plus de femmes séropositives soignées offrent leurs services pour communiquer et pousser les autres à se faire dépister.
Faire des enfants malgré le sida
Une aide précieuse car, selon Biba, « l’espoir viendra du dépistage précoce et de la prise en charge précoce des enfants ». Dans le cadre de la PTME, une attention particulière est accordée, après l’accouchement, à l’alimentation des bébés. Deux choix s’offrent aux mères séropositives : l’allaitement exclusif maternel ou l’alimentation de remplacement avec du lait artificiel. L’Unicef a adopté une politique stricte en la matière, en faveur de l’allaitement exclusif, pour éviter les mauvaises utilisation du lait de substitution (son mélange à une eau mauvaise peut en effet augmenter la mortalité infantile). Pour autant, les sages-femmes proposent les deux options aux mamans. « Chacune a ses avantages et ses inconvénients », indique Biba. « Pour mieux protéger l’enfant, on met en avant l’allaitement exclusif, sans eau ni farines. On insiste pour le sevrage à 6 mois mais les femmes refusent le plus souvent. Elles préfèrent allaiter plus longtemps et, du coup, ne reviennent plus aux consultations…Celles qui ont les moyens choisissent l’alimentation de remplacement (5 000 F Cfa par semaine, ndlr) car elles ont peur de contaminer leur enfant par leur lait. Quand elles choisissent le lait de substitution, nous vérifions que toutes les conditions sont réunies : argent, temps… »
Malgré la diffusion de l’information sur les risques de transmission du VIH de la mère à l’enfant, les femmes dépistées et sous PTME font encore des enfants par la suite. « La femme africaine aime faire beaucoup d’enfants », résume Mme Kouamé, une autre sage-femme du centre. « La séropositivité n’empêche pas le désir d’enfant. Beaucoup se disent que si le premier est séropositif, le second ne le sera pas. » Autre frein : « On a progressé dans la prise en charge mais pas dans les mentalités », regrette Biba. « La première forme de transmission reste sexuelle à 90%. Les modes de transmission les plus connues des Ivoiriens sont la voie sanguine et la voie sexuelle, même si de plus en plus sont conscients de la transmission mère-enfant. Le point positif c’est le fait même de savoir qu’on arrive à sauver des enfants. On avance, mais difficilement. Les gens sont prêts à dire qu’ils ont un cancer ou telle maladie incurable mais pas le sida. »
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