Le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou est, pour les habitants de la capitale, l’endroit où il faut être. Quitte à casser sa tirelire. Mais le prix pratiqué à l’entrée fait dire à certains que le salon se détourne de plus en plus de la clientèle nationale, au profit de visiteurs riches ou étrangers, plus dépensiers.
De notre envoyé spécial Saïd Aït-Hatrit
Le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (Siao), c’est une équipe de journalistes de la Radio Télévision burkinabé (RTB) mobilisée – elle dispose d’un pavillon entier au Siao – pour des dizaines de minutes quotidiennes dans le journal télévisé. Ce sont des suppléments quasi-quotidiens dans le plus grand journal du pays, Sidwaya. C’est la première dame du pays, Chantal Compaoré, réquisitionnée deux samedi soirs de suite pour des soirées de gala retransmises en direct. Une médiatisation monstre qui fait du plus grand salon africain de l’artisanat, tous les deux ans et pendant dix jours, l’endroit où il faut être. Pour draguer, défiler en couple ou en famille… et éventuellement faire des achats.
Mais les Ouagalais ne savent plus que penser de l’attitude des responsables du salon. Ceux-ci multiplient les déclarations visant à faire du Siao, avant tout, un rendez-vous pour professionnels, et non une foire. Ils ont augmenté le prix à l’entrée de 40%, à 500 FCFA, en interdisant de fait l’entrée à un nombreux public. Dans le même temps, ils continuent d’organiser chaque fins d’après-midi des animations populaires destinées au jeune public ouagalais.
Jour de fête
Léon, 25 ans, 1m80, le pantalon en toile parfaitement repassé et la chemisette blanche en lin ouverte jusqu’au troisième bouton, raconte son calvaire depuis l’ouverture du Siao : « Chaque jour, ma petite amie me demandait de l’y emmener », raconte le jeune homme, enfoncé dans son siège face à une Brakina, la bière nationale, à la table d’un maquis à la mode de la capitale. « Mais je n’en avais pas très envie. D’autant que je travaille tard. Finalement, nous y sommes allés hier soir. Une fois arrivés, je me suis assis à une table et je lui ai dit que je l’attendais jusqu’à ce qu’elle ait fini son tour des pavillons. »
Toutes les fins d’après-midi, pendant que les acheteurs prennent la direction de la sortie, des sacs en plastique noir ou des emballages en carton à la main, ils sont des centaines à faire la queue pour profiter des animations, concours de coupé-décalé et concerts, qui débutent à 16 heures et se terminent dans la nuit. La dernière journée du Siao a été un sommet. Notamment pour les personnes qui ne pouvaient s’y rendre qu’à une seule reprise et qui ont pour cela attendu le dernier jour. Deux cent mètres avant l’entrée du « village », sur le tronçon de la quatre voies bloquée depuis dix jours pour la circonstance, les effluves de déodorants, féminins et masculins, sautent au nez. Françoise a choisi une robe moulante avec de grosses fleurs rouges et blanches, sur un fond noir, qui lui arrive aux genoux. Plus traditionnelle, son amie Yasmina a opté pour un boubou vert aux motifs rouges.
La foule n’a jamais été aussi nombreuse. Ce qui fait la joie des vendeurs ambulants de « Lotus », casquettes et autres souvenirs. Devant l’entrée, la queue à deux files atteint le trottoir de l’autre côté du boulevard à quatre voies. Les mains dans les poches, face au podium central, Etienne et Alassane n’ont pas l’air décidés à entamer un tour des pavillons. Même si le dernier jour est traditionnellement considéré comme le plus propice aux affaires. Pour la tranche 14-18 ans, le débardeur de basket américain, noir, rouge, blanc, aux couleurs des Philadelphia 74ers d’Allen Iverson, ou bleu-ciel blanc, à celles de North Carolina, l’équipe universitaire de Michael Jordan, est de rigueur. Le pantalon en toile et la chemisette, ou encore le débardeur près du corps, est plus de circonstance pour les jeunes adultes. Les lunettes de soleil remontées sur le front, si cela est possible. Pour tous, la coupe courte est irréprochable. Certains enfants, accompagnés de leurs parents, se sont même vu imposer le costume.
« Un événement pour les étrangers »
Désiré, 24 ans, tee-shirt et jean, assis sur sa mobylette, non loin du Siao, semble en souci. Cela fait deux jours qu’il prévoit d’y faire un tour avec sa petite amie. Mais il n’a pas réuni la somme nécessaire. Les Ouagalais sont nombreux à égrener l’accumulation de frais qui leur interdit toute entrée au Siao. Au billet d’entrée, s’ajoute le prix du parking, 200 FCFA, pour les mobylettes et les voitures. A l’intérieur même du site, les pavillons « de la créativité » et « du design » sont payants, 500 FCFA chacun. Jean-Claude Bouda, le directeur général du Siao, avait expliqué lors d’une conférence de presse qu’avec tous les frais engagés pour améliorer l’événement, le prix réel d’entrée devrait atteindre les 1500 FCFA. Un coût largement atteint pour les visiteurs qui souhaiteraient tout découvrir, si l’on compte les 100 ou 200 FCFA de rigueur pour accéder à l’un des sept habitats traditionnels reconstitués dans le village.
Autant d’éléments qui font dire à Monique, assise dans un taxi, que « le Siao est devenu un événement pour les étrangers. Les Ouagalais n’y sont plus les bienvenus », assène-t-elle. « Même si je parvenais à payer les 700 FCFA (entrée plus parking), il ne me resterait plus d’argent pour manger et boire » à l’intérieur, explique Boubacar, debout dans un café, face au Siao, où Brafaso a déployé ses banderoles publicitaires ainsi qu’une équipe d’animateurs. Le distributeur de boisson du Burkina a habilement installé un podium où les jeunes désargentés du quartier participent aux mêmes types d’animations qu’à l’intérieur du salon. Certains visiteurs du Siao traversent même la rue pour trouver des repas meilleur marché. La direction du salon annonce un délai d’une semaine avant de pouvoir estimer le nombre de visiteurs cette année. Les propriétaires des maquis ont rendu déjà rendu leur verdict. Ils se plaignent depuis une semaine de la baisse des visites.