Shooting Dogs est le quatrième film sur le génocide rwandais de 1994, responsable de la mort de plus de 800 000 Tutsis et Hutus modérés. Un long métrage choc, très bien accueilli au Rwanda. L’occasion pour Afrik.com de comprendre comment se construit le travail de mémoire des Rwandais à quelques jours de la commémoration du génocide qui débute le 7 avril.
Fabienne Pinel
Shooting Dogs. Rwanda, avril 1994 : les forces de l’ONU n’ont pas l’autorisation de défendre les populations civiles massacrées par des extrémistes Hutus, mais tirent sur les chiens qui dévorent les cadavres gisant sur les trottoirs… Le film du réalisateur anglais Michael Caton-Jones a été entièrement tourné à Kigali, sur les lieux mêmes des massacres. Avec la participation de nombreux survivants, le film est une pierre à l’édifice de la mémoire du peuple rwandais. Basé sur un fait réel – l’école technique de Kigali, campement de base de l’ONU, devient en 1994 un piège mortel pour plus de 2 000 Tutsis – le film cherche à faire toucher du doigt l’horreur. Histoire dans l’histoire, le point de vue est toujours celui de deux Anglais : un vieux missionnaire au Rwanda depuis 30 ans et un jeune professeur encore pétri d’idéalisme.
« Shooting Dogs permet de faire comprendre aux occidentaux l’ampleur du génocide qui a dévasté le Rwanda durant trois mois, se félicite Dafroza Gauthier, présidente de la communauté rwandaise de France. Le film, bouleversant, raconte parfaitement l’histoire de l’abandon des Tutsis par la communauté internationale, et décrit avec justesse la peur terrifiante dans laquelle ont vécu les Rwandais durant cette macabre période. »
Projection sur les lieux même des massacres
Shooting Dogs a été projeté, en janvier 2006, devant plus de 2 000 Rwandais dans le stade Amahoro, tristement célèbre pour avoir été un haut lieu des crimes génocidaires. La séance est introduite par le Président rwandais, Paul Kagame : « Il y a des gens qui préfèreraient qu’on oublie ce qui s’est passé, mais ce n’est pas ma façon de voir la chose. La partie la plus douloureuse de notre passé est quelque chose que nous avons besoin d’accepter et que nous devons affronter. Shooting Dogs fait parti de la mémoire rwandaise du génocide. »
« Il est vrai que ces films participent à la construction de notre mémoire, insiste Joseph Habineza, ministre de la Culture, au même titre que les témoignages des survivants et des bourreaux, et les sites mémoriaux de Gisozi, Murambi ou Bisesero. Mais ce qu’ont vécu les Rwandais en 1994 est tellement douloureux, intense et varié qu’il est très difficile de le traduire dans un, deux ou trois films. Mais chacun d’eux a le mérite de montrer un aspect parmi des milliers de situations vécues par les Rwandais ou même les quelques expatriés présents au moment du génocide. » Aux critiques qui avancent que ces films sont autant de plaies ravivées, le ministre répond sans ambages : « Ce ne sont pas les films qui attisent des sentiments pénibles mais ce sont les souvenirs du génocide qui traumatisent les gens. » « Les plaies sont encore ouvertes et n’ont jamais cessé de saigner… », estime Dafroza Gauthier.
Précipités dans leur passé, comment les Rwandais perçoivent-ils ces films[[<*>Shooting Dogs de Michael Caton-Jones, 2005 (USA, Rwanda), Sometimes in April de Raoul Peck, 2005 (USA, Rwanda), Hôtel Rwanda de Terry George, 2005 (Grande-Bretagne, Afrique du Sud, Italie), 100 days de Nick Hughes, 2001 (Grande-Bretagne)]] sur le génocide de 1994 ? « A l’image de la population rwandaise, les réactions sont très partagées : certains ont besoin de parler du génocide, quand d’autres continuent à nier son existence… », souligne Mugabe Aggée, doctorant en thèse de sociologie à l’Université Libre de Kigali. Son objet de recherche, « L’impact de la réparation sur les processus de réconciliation rwandais », l’a conduit à réfléchir sur le devoir de mémoire de ses compatriotes. « Il existe deux types de réparations : matérielles et symboliques, commence le chercheur. Les films sur le génocide appartiennent au domaine des réparations symboliques, comme la semaine de deuil national (qui débute le 7 avril, NDLR), les monuments aux morts ou les rassemblements à la mémoire des victimes. »
« Les Rwandais coexistent plus qu’ils ne se réconcilient »
Mais Mugabe Aggée a constaté, au fil de ses entretiens, qu’encore une partie des Rwandais est indifférente au devoir de mémoire, qui parfois même les embarrasse. « La majorité des Hutus ne se sentent pas concernés par ce travail de mémoire et n’y participent pas : ils fonctionnent par résilience. » Le sociologue note que si certains dirigeants adhèrent officiellement aux commémorations, ils continuent, en privée, de nier le génocide. Et pour ceux-là, les films n’auront que peu d’impact. « De plus, rappelle le sociologue, encore peu de Rwandais ont accès au cinéma… » Enfin, certains des détracteurs de ces films arguent qu’ils sont un instrument qui permet à des individus de se blanchir à bon compte. « Le film Hôtel Rwanda a été beaucoup critiqué, explique Mugabe Aggée, car il dépeint Paul Rusesabagina, le personnage principal du film, comme un héros, ce qui n’a jamais été démontré ! »
« Aujourd’hui, les Rwandais coexistent mais ne s’aiment pas nécessairement. », constate l’universitaire. Leur réconciliation est un travail en cours et les films sont indispensables à l’immortalisation du génocide. « Les films sont la mémoire de notre passé, son archivage, conclut Mugabe Aggée. A l’instar des ossements devenus des lieux de commémoration, ces films sont autant de traces afin que notre passé ne soit jamais enterré. »