Les jeunes filles n’attendraient plus le mariage pour goûter au fruit défendu comme le veut la tradition. Elles seraient de plus en nombreuses à avoir des rapports sexuels précoces. Un phénomène inquiétant pour nombre de Sénégalais qui estiment que l’occidentalisation de la société et la perte des valeurs traditionnelles y sont pour beaucoup.
« Les enfants font l’amour de plus en plus tôt et ne pensent qu’au sexe ». Nombre de Sénégalais, réprobateurs, partagent l’avis de Sokhna, étudiante à Dakar. Un fait divers a relancé le débat le mois dernier. Fanta, 13 ans, en classe de 6ème, violée à l’âge de 8 ans par les colocataires de sa mère, aurait été initiée par sa tante aux attouchements sexuels et a déjà eu plusieurs rapports avec des hommes plus âgés qu’elle. La petite fille, qui a pris goût à ces pratiques, est désormais nymphomane. Pour assouvir son désir, elle effectue régulièrement des fugues, à la recherche d’hommes pour la soulager. Sa mère a décidé de porter plainte en avril dernier contre tous ceux qui ont perverti sa fille.
Ce fait divers serait, pour certains, révélateur d’une dérive. Bien des jeunes filles seraient victimes d’abus sexuels. Modou, 26 ans, technicien au sein d’une station de radio, pense que cette situation est « due à une inconscience des adultes qui n’hésitent pas à profiter de l’ignorance des petites filles». « Les chauffeurs de taxi, les enseignants, les maîtres coraniques, tous ceux-là, n’hésitent pas à abuser d’elles sans scrupule », dénonce-t-il.
« C’est le monde à l’envers ! »
Il existe une autre raison qui, selon les Sénégalais, pousserait les mineures à avoir des relations sexuelles précoces. L’occidentalisation de la société. La diffusion de séries télévisées et l’avènement d’internet éloigneraient certaines d’entre elles de la coutume qui veut que les relations sexuelles ne se pratiquent que dans le cadre du mariage. « Avoir des relations sexuelles tôt est devenu un phénomène de mode au Sénégal », constate Dianke, 17 ans, élève en classe de 4ème. Celles, comme elle, qui refusent de s’adonner à ces pratiques seraient considérées comme ringardes. Selon elle, « les jeunes imitent les Européens et les Américains à travers internet et les séries télévisées. Maintenant, ils téléchargent des films pornographiques sur leurs téléphones portables et les visionnent en cours.»
Diaby, 28 ans, étudiant en informatique à Dakar, pense que « le meilleur moyen de faire face à cette situation est d’informer les plus jeunes sur les dangers d’une sexualité précoce.» En traversant les rues de la capitale, il affirme qu’il lui est maintes fois arrivé de «voir des petits garçons et petites filles âgés à peine de 6 ans faire l’amour au pied des manguiers. C’est le monde à l’envers !», s’offusque-t-il.
« Des parents irresponsables »
Awa, 25 ans, étudiante en économie-gestion à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, pointe du doigt « les parents qui sont irresponsables et la cause de la mauvaise éducation de leurs progénitures. Dès l’âge de 10 ans, certains d’entre eux procurent des téléphones portables à leurs enfants. Il ne faut pas s’étonner après qu’ils aillent voir des films pornographiques qui circulent de nos jours partout. » « Nous avons vraiment mal copié les Occidentaux ! On ne sait plus dans quel monde on vit ! On voit aujourd’hui n’importe quoi au Sénégal ! », déplore-t-elle. Assane, 15 ans, en classe de 5ème, blâme plutôt « les mères qui, selon lui, sont fautives puisqu’elles n’éduquent pas leurs filles ».
Des propos que ne partage pas entièrement Abby Cissé, 45 ans, mère de quatre enfants. Elle admet que certains parents ne jouent pas leur rôle, mais estime que les jeunes se détournent trop souvent des valeurs qui leur ont été transmises. « Les jeunes filles ont souvent de mauvaises fréquentations et sont de plus en plus matérialistes. A mon époque, se remémore-t-elle, il était impossible de se comporter comme elles le font. Nous restions près de nos mères pour les aider dans les tâches ménagères ».
Pour le Dr. Jeanne Diaw, sexologue à l’Hôpital Général de Grand- Yoff, les familles sont pour partie responsable de la situation. «L’éducation sexuelle est de la responsabilité des parents et du système scolaire», souligne-t-elle. Mais, selon elle, «il y a toujours eu une sexualité précoce chez les jeunes. La différence entre avant et maintenant c’est les média. Les faits sont plus exposés qu’auparavant».
Quand sexualité précoce rimait avec bonnes mœurs
La sexualité précoce des jeunes filles est aujourd’hui sujet de discorde. Pourtant, il fut un temps où elle ne heurtait pas les bonnes mœurs. Par le passé, les mariages de mineures étaient fréquents. Antoinette, 60 ans, qui vit en Casamance, estime que la situation des filles mariées très tôt et celle des jeunes filles qui ont des rapports sexuels hors mariage ne sont pas comparables. Selon elle, « les filles victimes du mariage précoce y ont été contraintes par leurs familles, contrairement aux autres qui ont la liberté de s’abstenir ou de passer à l’acte. » « Une chose est sure, on doit réfléchir sur les conséquences néfastes du mariage précoce qui existe toujours dans nos sociétés, même s’il est plus rare, assure-t-elle. C’est un véritable traumatisme pour les victimes qui parfois n’ont même pas leurs règles ».
D’autres comme Ndeye, 41 ans, ne condamnent pas complètement ce type d’union. Elle pense « qu’il vaut mieux que les filles se marient tôt plutôt qu’elles aillent faire n’importe quoi dehors ! » Elle donne l’exemple de ses voisins toucouleurs[[Une ethnie du Sénégal.]] qui ont marié leur fille de 13 ans. Celle-ci n’ayant pas encore ses menstruations n’a pas consommé le mariage et vit toujours chez ses parents. « Donc ce n’est pas une si mauvaise chose qu’elle se marie tôt puisqu’elle n’ira chez son mari que lorsqu’elle sera prête», estime-t-elle.
Khadiatou, 16 ans, voilée, n’a pas sa langue dans sa poche Elle dénonce ces pratiques qui, pour elle, n’ont aucun sens. « Les jeunes filles ici subissent des injustices, dénonce-t-elle. Parfois, certaines d’entre elles sont données en mariage dès l’âge de 13 ans. Dernièrement, j’ai une amie qui a été mariée à un vieux à 15 ans, ce n’est pas normal ! Moi je veux avant tout étudier ». Khadiatou fait partie de ces jeunes filles qui ont réussi à trouver leurs repères dans une société où traditions et modernité se combinent pour le meilleur et pour le pire. Mais combien d’autres n’y parviennent pas?
Trois questions au Dr Djiby Diakhate, sociologue et enseignant chercheur à l’université Cheihk Anta Diop Afrik.com : L’histoire de Fanta est-elle révélatrice d’un phénomène de société ? Djiby Diakhate : Ce n’en est pas encore un. Mais on peut estimer qu’au rythme où ce genre de situation se développe il y a un risque pour qu’il en devienne un. Et cela peut être dangereux. Afrik.com : La Justice sénégalaise est-elle compétente pour traiter ce genre d’affaire ? Djiby Diakhate : L’exploitation des mineurs est sévèrement punie par la Justice. Les peines peuvent aller jusqu’à 10 ans de prison ferme. Mais dans cette affaire, il sera difficile pour la maman de pouvoir mobiliser des preuves suffisantes pour que les responsables soient inculpés. Afrik.com : Comment expliquez-vous que les jeunes filles aient une sexualité de plus en plus tôt ? Djiby Diakhate : Nous avions des sociétés traditionnelles où la sexualité était entourée de tabous et ne pouvait se pratiquer que dans le cadre du mariage. Il y avait même des rites pour maintenir la chasteté tels que l’excision ou la circoncision. Mais l’occidentalisation et la mondialisation ont fait leur entrée dans la société et l’ont profondément modifiée. Désormais, la société sénégalaise devient de plus en plus matérialiste et les considérations charnelles ont pris une place prépondérante dans la vie des individus. Notamment chez les jeunes, qui sont en contact permanent avec les supports de communications tels qu’internet, la téléphonie mobile, la télévision. La famille, qui était une cellule sociale de base importante, s’effrite. Il y a aussi un nouveau phénomène. Dans les zones urbaines, il y a ce que l’on appelle les familles atomiques, qui s’inspirent du modèle occidental. Avec un père et une mère qui travaillent et trois enfants. Les parents qui travaillent n’ont parfois pas le temps d’élever leurs enfants correctement, ce qui peut déboucher sur des drames. |