De nombreux meurtres liés à la tradition et une activité plus sédentaire, les serial killers d’Afrique ont leurs particularités. Avec très peu de fichiers d’empreintes génétiques et de profileurs, l’Afrique est moins bien protégée que les Etats-Unis ou l’Europe contre les tueurs en série. Stéphane Bourgoin, spécialiste français des serial killers, dresse leur profil.
« Il m’en reste 83 à tuer » s’est désolé le Kenyan Philip Onyancha après son arrestation en juin. Un « pouvoir surnaturel » lui dictait de tuer 100 personnes mais la police l’a stoppé dans son funeste dessein, après 17 meurtres. Au lycée en1996, l’un de ses professeurs lui aurait fait promettre de tuer, lorsqu’il serait appelé à le faire. Pour sceller le pacte, son enseignante, Elizabeth Wambui Kimani, lui aurait entaillé la poitrine pour faire gicler son sang, avant d’y appliquer une poudre noire. Depuis cette initiation satanique, Onyancha est « habité » et boit le sang des victimes qu’une voix lui ordonne de tuer. S’il était parvenu à en tuer 100, il aurait « rencontré le chef de la secte »…
Les serial killers ont leurs raisons que la raison ignore. L’immense majorité des tueurs en série ne sont en effet pas fous, et en particulier en Afrique. « Environ 99% des serial killers africains ne sont pas des psychotiques, mais des tueurs organisés. Leurs meurtres répondent à des pulsions, mais aussi à des besoins », affirme Stéphane Bourgoin, qui en a rencontré près de 50. Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Nigéria, Kenya, Algérie, Tunisie, Maroc, Mozambique, Lesotho, Mali… Presque tous les pays africains ont connu des vagues de panique causées par des serial killers. Mais l’Afrique du Sud est de loin le pays le plus concerné. La palme y revient à Moses Sithole et ses « ABC murders ». Se faisant passer pour un homme d’affaires, il a violé et étranglé au moins 38 personnes entre 1994 et 1995 à Atteridgeville, Boksburg puis Cleveland. Parfois vu comme un phénomène occidental, des serial kilers sévissent donc sur le continent africain. Stéphane Bourgoin, qui chaque jour ou presque alimente son site avec des actes de tueurs en série dresse le profil des assassins du continent.
Afrik.com : Pourquoi ne connaît-on pas les serial killers africains ?
Stéphane Bourgoin : Il y a au moins autant de tueurs en série en Afrique qu’en Europe, mais très peu font l’objet d’un traitement international. Pour avoir connaissance des cas en Afrique, il faut consulter la presse quotidienne des pays concernés. C’est la barrière des langues qui nous empêche de savoir ce qui se passe ailleurs.
Afrik.com : Les serial killers du continent ont-ils des spécificités ?
Stéphane Bourgoin : Oui, beaucoup de meurtres y sont liés à la tradition. Les sangomas [ndlr : sages, guérisseurs et voyants d’Afrique du Sud] font appel à des sortes de tueurs à gages qui, par plaisir de tuer, deviennent des tueurs en série. Les sangomas préparent parfois des décoctions à base de parties du corps humain, un breuvage à base de sexe d’enfant pour guérir de l’impuissance, par exemple. Les « muti murders », ces meurtres dont le but est de ponctionner les organes d’une personne vivante, font des centaines de victimes par an.
En Afrique, il y a plus de crimes liés au cannibalisme et au vampirisme qu’ailleurs. Manger quelqu’un, c’est capturer son âme et son esprit. Et le sang, c’est la vie. En en buvant, les tueurs en série pensent devenir éternels, ou repartir pour une nouvelle vie. C’est ce genre de croyances qui expliquent le comportement des deux serial killers Kenyans récemment arrêtés : Philippe Onyancha, qui buvait le sang de ses victimes et George Otieno Okoth, qui en collectionnait les cheveux.
Afrik.com : L’Afrique est-elle bien protégée contre les tueurs en série ?
Stéphane Bourgoin : Les serial killer africains sont généralement peu mobiles, ce qui est lié à leur culture, mais aussi à leurs moyens d’existence. Si les Américains tuent souvent dans différents Etats, les Africains agissent plutôt sur une ville ou un quartier. Ils ont plus de chances de se faire attraper. Mais le continent est mal protégé contre les tueurs en série : seule l’Afrique du sud s’est constituée un fichier d’empreintes génétiques, et l’Algérie va s’en doter. Et à part en Afrique du sud, le continent n’a pas de profileurs et les policiers ne sont pas toujours très bien formés. Or sans ces outils, il est très difficile de recouper des crimes qui ne paraissent pas forcément liés : il y a très certainement plus de tueurs en série en Afrique que dans les pays européens.
Afrik.com : Pourquoi recueillez-vous les confessions des serial killers ?
Stéphane Bourgoin : Les tueurs en série ne connaissent généralement pas leurs victimes. Le meurtre peut alors sembler gratuit mais il ne l’est pas, il faut aller chercher le mobile dans la tête du tueur. Par exemple, quand j’ai interviewé « serial sniper »[le Sud-africain Velaphi « Soldier », condamné en 2000 pour 19 assassinats et 9 tentatives de meurtres], il a commencé par tourner autour du pot : il parlait de son amour des armes. Puis il m’a expliqué avoir été rendu impuissant suite à un viol en prison. Sa femme le lui reprochait. Quand ils se disputaient, il partait tuer quelqu’un pour se calmer, et éprouvait une jouissance sexuelle quand il abattait la victime.
Afrik.com : Que ressentez-vous à l’écoute de ces atrocités ?
Stéphane Bourgoin : Je ne ressens pas de sentiment particulier en les rencontrant. Je cherche à créer un lien avec un individu psychopathe, qui n’est capable d’aucun affect : je suis concentré, je ne porte jamais de jugement sur ce qu’il a fait, sinon c’est la fin de l’entretien. Même si les serial killers me racontent les pires horreurs, je suis trop occupé à étudier leur gestuelle, et à préparer mes prochaines questions pour réagir, mais ça remonte parfois à la surface, après. J’écoute leur témoignage, mais j’assiste aussi aux scènes de crimes, aux autopsies…
Afrik.com : Pourquoi acceptent-ils de vous rencontrer ?
Stéphane Bourgoin : Ils reçoivent peu de visites, je suis souvent une forme de distraction pour eux. D’autres sont manipulateurs, menteurs, ils veulent se confronter à quelqu’un. Et il ne faut pas se leurrer, pour certains, raconter leurs crimes leur procure une jouissance d’ordre sexuel.
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