Immigration, racisme, intégration, esclavage, colonisation, mémoire… Le livre de Serg Mokanda, Un Noir en Colère (ed. afromundi), sorti en mars dernier, aborde nombre de questions sensibles. Dans un style simple, concis et clair, l’auteur cherche à expliquer pourquoi la République française rencontre tant de difficultés à intégrer les Noirs. Entre explications historiques, analyse de mécanismes et de défenses identitaires, il tente dans son livre de cerner les obstacles qui freinent l’élan de la société française vers un mieux vivre-ensemble.
Un Noir en Colère est une lettre ouverte à la République française. Il y est surtout question d’identité et de politique d’intégration. L’auteur, Serg Mokanda, français d’origine camerounaise, est diplômé en gestion des entreprises et dirige l’association Afro’Events qui participe à la promotion de la diversité culturelle africaine. C’est le « militant culturel » qui a pris la plume pour exprimer les raisons de la colère des Noirs en France. Il a répondu à nos questions.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous écrit Un Noir en colère ?
Serg Mokanda : Le livre répond à une urgence de dire face à une banalisation des propos à caractère raciste. Il s’agit de tirer la sonnette d’alarme face à un racisme décomplexé qui sévit dans la sphère politico-médiatique. Ce racisme librement assumé n’est, à mon avis, pas la bonne voie pour un vivre-ensemble. En fait, le livre est un plaidoyer pour le vivre-ensemble.
Afrik.com : Que vous inspirent les propos de ces dernières semaines du ministre français de l’Intérieur Claude Guéant sur l’immigration ?
Serg Mokanda : Le premier chapitre du livre est justement consacré à l’immigration. J’essaie de déconstruire certains fantasmes autour de l’invasion migratoire. L’idée de ce chapitre est de sortir de la logique idéologique et de la peur de l’autre. Après, la manière dont le thème de l’immigration est traité par les dirigeants nationaux reste de la politique politicienne. Les discours stigmatisants connaissent des pics durant les périodes pré-électorales. C’est au citoyen d’être vigilant.
Afrik.com : Pensez-vous que dans le cas de l’arrivée des immigrés clandestins tunisiens sur l’île de Lampedusa, par exemple, il s’agisse d’un pur fantasme ?
Serg Mokanda : Il faut distinguer l’immigration naturelle, qui est à l’origine d’une population métissée, de l’immigration humanitaire que rencontre actuellement l’Italie. L’immigration n’a jamais été un problème en soi. Le déplacement d’un individu d’un point A vers un point B est naturel. C’est la confusion entre ces deux formes d’immigration qui est instrumentalisée. D’autre part, l’intégration des Noirs et des Arabes n’est pas plus compliquée que celle des autres immigrés. Les immigrés italiens du début du siècle dernier ont rencontré les mêmes difficultés. L’intégration n’a rien à voir avec la couleur de peau ou la religion.
Afrik.com : Que faire face à l’immigration clandestine ?
Serg Mokanda : L’Italie, la France et l’Europe font face à une situation de crise humanitaire. Mais les dirigeants politiques parlent de l’immigration de tous les jours. Quelques travailleurs immigrés clandestins ont fait grève il y a deux ans. Ils ont été expulsés. Les établissements qui les employaient, les restaurants entre autres, ont fermé. Comme je l’ai expliqué dans mon livre, la République fabrique des immigrés pour respecter les quotas d’expulsion d’immigrés.
Afrik.com : À la lecture de votre livre, on pourrait penser que la France est un Etat communautaire…
Serg Mokanda : Ce que je défends dans mon livre, c’est que les communautés, les identités existent. La république française tient un discours schizophrénique qui consiste à dire que ces communautés n’existent pas. Il vaudrait mieux reconnaître que la France est constituée d’identités multiples. Le modèle assimilationniste français est à bout de souffle. Les émeutes de 2005 étaient des révoltes de reconnaissance. Le nier consisterait à rentrer dans une logique conflictuelle. Mon discours est pragmatique. Vivre-ensemble, c’est connaître et reconnaitre les identités.
Afrik.com : Quelle est votre position sur le racisme anti-blanc ?
Serg Mokanda : On ne peut pas renvoyer dans le même coin racisme anti-blanc et négrophobie. Il existe par exemple une différence numérique, en termes de chiffre. Les deux formes de racisme existent mais la négrophobie est dominante. Il ne s’agit pas de faire une hiérarchisation. Les discriminations liées au logement, à l’emploi, touchent davantage la population noire. Après, toutes les formes de discrimination sont condamnables et condamnées par la loi.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous donné à votre livre le titre : Un Noir en colère ?
Serg Mokanda : C’est un appel à la colère citoyenne. Il s’agit d’une réponse au Indignez-vous de Stephane Hessel. Les actions de Mahatma Ghandi, Rosa Park ou Martin Luther King avaient pour point de départ la colère face à l’injustice. La colère est un moteur. La colère saine, celle qui fait réagir, est basée sur la non-violence.