
Le Sénégal s’apprête-t-il à écrire une page inédite de son histoire démocratique ? Une proposition de résolution déposée à l’Assemblée nationale, le 15 avril 2025, par le député Guy Marius Sagna, figure emblématique du parti au pouvoir, Pastef, appelle à la mise en accusation de l’ancien Président Macky Sall pour haute trahison. Une démarche aux résonances profondes, tant sur le plan juridique que politique, qui pourrait marquer un précédent dans la vie républicaine du pays.
Confortablement installé au Maroc après la fin de son mandat à la tête du Sénégal, l’ancien Président, Macky Sall, pourrait voir sa quiétude perturbée d’ici à là. En cause, sa possible mise en accusation pour haute trahison, à l’initiative du député Pastef Guy Marius Sagna.
Des accusations graves : 7 milliards de dollars de dette cachée
Tout part d’un rapport accablant de la Cour des comptes, corroboré par une récente estimation du FMI, révélant une dette publique « cachée » de 7 milliards de dollars contractée entre 2019 et 2024 sous l’administration de Macky Sall. Ce passif budgétaire, dissimulé aux institutions nationales et partenaires internationaux, aurait permis à l’ancien pouvoir de présenter un tableau économique bien plus favorable que la réalité.
Le député Guy Marius Sagna, dans sa proposition de résolution, dénonce une « gestion opaque », fondée sur des « manipulations comptables » qui auraient mis « en péril la souveraineté financière du Sénégal ». Selon lui, ces actes relèvent de la haute trahison au regard de leur ampleur et de leurs conséquences potentielles pour l’économie nationale.
Un flou constitutionnel : la haute trahison, une notion à géométrie variable
Au Sénégal, la haute trahison constitue le seul chef d’inculpation envisageable contre un ancien Président, selon l’article 101 de la Constitution. Celui-ci précise que « le président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Mais paradoxe juridique : nulle part la Constitution ne définit clairement ce qu’est la haute trahison. C’est donc au juge — et en l’occurrence à la Haute cour de justice — qu’il revient de qualifier les faits.
Créée officiellement le 28 décembre 2024, la Haute cour de justice est compétente pour juger les plus hauts responsables de l’État. Elle devra, si la procédure aboutit, trancher sur la recevabilité de l’accusation et, éventuellement, sur la culpabilité de l’ancien Président.
Un acte politique à haute portée symbolique
La prochaine étape clé est le vote de l’Assemblée nationale. Pour que la mise en accusation soit effective, il faut que les 3/5 des députés —soit au moins 99 sur 165— votent en faveur de la résolution. Or, le Pastef dispose à lui seul de 130 sièges. Autrement dit, sauf coup de théâtre, l’approbation de la procédure ne fait guère de doute. Le calendrier du vote n’est pas encore connu. La question reste suspendue à la convocation d’une plénière par le bureau de l’Assemblée nationale.
Au-delà des considérations judiciaires, cette initiative revêt une dimension éminemment politique. Elle s’inscrit dans le projet de rupture du Président Bassirou Diomaye Faye, élu en mars 2025 sous la bannière du Pastef, parti dont il était préalablement le secrétaire général. En visant Macky Sall, l’un des hommes les plus puissants de la dernière décennie, dans la sous-région ouest-africaine, le nouveau pouvoir cherche à démontrer que l’impunité ne fait plus loi au sommet de l’État.
Pour ses partisans, cette démarche est saluée comme un acte fort de transparence et de restauration de la confiance entre gouvernants et citoyens. Pour ses détracteurs, elle pourrait être perçue comme une manœuvre de revanche politique. Reste que cette procédure, si elle aboutit, fixerait un précédent lourd de conséquences pour tous les futurs chefs d’État du pays. Sans doute, un élément de pression pour une gouvernance plus saine des affaires de l’État.
La démocratie sénégalaise à l’épreuve
Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, entre dans une phase sensible. Le respect des procédures, la sérénité des débats parlementaires, et la neutralité de la justice seront scrutés avec attention.
Si cette affaire révèle une volonté de moralisation de la vie publique, elle met aussi à l’épreuve la solidité des institutions sénégalaises et leur capacité à arbitrer des conflits de haute intensité politique sans basculer dans l’instabilité. Une chose est sûre : le dossier Macky Sall est loin d’avoir livré tous ses secrets.