Trois femmes traversent la forêt luxuriante, portant sur leur tête des bols de pousses de riz. C’est un beau spectacle dans cette région verdoyante qu’est la Casamance, dans le sud du Sénégal, mais la magie de la scène est gâchée par les rubans de signalisation rouges et blancs qui démarquent les zones où une équipe de déminage est actuellement en opération
Pourtant, les rubans de sécurité et les panneaux indiquant « Danger, mines ! » en français et en wolof signifient que des équipes travaillent pour débarrasser la terre des mines et la restituer aux habitants, qui vivent pour la plupart des cultures.
Un agriculteur a déclaré à IRIN : « Les mines terrestres compromettent notre existence ».
Chaque jour de la semaine, à l’aube, 10 hommes et femmes sénégalais, formés par l’organisation non gouvernementale (ONG) Handicap International, se rendent dans des villages de la Casamance – toujours accompagnés de deux auxiliaires sanitaires – pour inspecter méticuleusement la terre, à la recherche de mines.
Patrick Hirard, directeur des opérations du programme de déminage de Handicap, a indiqué que la suppression des mines avait un impact considérable sur les populations. « Se débarrasser ne serait-ce que d’une mine permet de rendre des milliers de mètre carrés disponibles pour des communautés entières. »
Depuis février 2008, Handicap International, qui est aujourd’hui la seule organisation menant des opérations de déminage humanitaire dans la région, a nettoyé plus de 72 000 mètres carrés de terrain et neutralisé 99 mines sur site, d’après Camille Aubourg, directrice de mission. Le déminage humanitaire – par opposition au déminage militaire – est effectué par des civils et se concentre sur des zones où la présence de mines a un impact très lourd sur la population locale.
La menace des mines terrestres est une des conséquences du conflit qui sévit depuis 27 ans en Casamance, une région située entre la Gambie et la Guinée-Bissau, où l’instabilité perdure malgré un accord de paix signé en 2004 entre le gouvernement et les rebelles séparatistes. Depuis le milieu des années 1990, période où les combats ont été les plus violents, au moins 748 personnes ont été blessées ou tuées par des mines antipersonnel, d’après le Centre national d’action antimines (CNAMS). Mais il est possible que les données disponibles ne reflètent pas le nombre réel de victimes, d’après un rapport des Nations Unies sur les projets d’action antimines dans le monde.
Une étude de 2005-2006, menée en partie par le Programme des Nations Unies pour le développement – l’évaluation la plus récente en la matière – a montré que sur les 251 localités étudiées, 93 étaient contaminées par des mines ou des munitions non-explosées. Les experts affirment que des études supplémentaires sont nécessaires, étant donné que certaines zones étaient inaccessibles au moment où la dernière a été réalisée.
Le 9 septembre dernier, la Campagne internationale pour interdire les mines a appelé les membres de l’Union africaine à redoubler d’efforts pour débarrasser le continent des mines et aider les victimes. Le Sénégal, pays signataire du Traité d’interdiction des mines, a récemment obtenu un délai supplémentaire de sept ans – jusqu’à mars 2016 – pour achever la destruction de toutes les mines antipersonnel présentes sur son territoire.
Manque de financements
Handicap International, d’autres organisations humanitaires et le CNAMS cherchent des fonds pour poursuivre les opérations de déminage, mener des campagnes de sensibilisation et d’éducation, et aider les personnes blessées par les mines.
A ce jour, le CNAMS n’a reçu aucune aide pour financer le budget de 5,1 millions de dollars établi pour ses projets de 2009, d’après Seyni Diop, directeur de l’éducation et de l’aide aux victimes du CNAMS.
Handicap International pourrait avoir à suspendre ses opérations de déminage à compter du 1er octobre si de nouveaux fonds ne sont pas débloqués, a dit Mme Aubourg à IRIN. En dehors d’une contribution de la Grande-Bretagne pour les mois de juillet et août, depuis mai, Handicap International a dû puiser dans ses propres fonds pour financer ses opérations. « Cela devient de plus en plus difficile », a-t-elle déclaré.
Les donateurs qui ont participé au financement des opérations de Handicap International jusqu’à présent sont l’Allemagne, la Belgique, le Canada, la France, la Grande-Bretagne, les Rotary Clubs du Sénégal et des Etats-Unis, ainsi que le gouvernement sénégalais.
D’après Mme Aubourg, un manque de financement remettrait en cause les avancées importantes réalisées jusqu’à maintenant. « Nous disposons aujourd’hui d’une véritable expertise, au plan national, en déminage humanitaire », a-t-elle déclaré.
En attendant les financements, le CNAMS espère recruter davantage d’opérateurs afin d’accélérer le déminage, a dit M. Diop à IRIN.
Si les mines pouvaient être supprimées plus rapidement, cela représenterait un grand soulagement pour les habitants de la Casamance.
L’équipe d’Handicap International travaille actuellement à Kaguit, un village situé à 30 kilomètres au sud-ouest de Ziguinchor, la ville principale de la région. Kaguit a été très touché par les combats, par les mines – 43 habitants ont été tués ou blessés par les munitions – et, ces dernières années, par les pillages et les raids menés par des groupes armés pour voler du bétail. La présence des démineurs redonne confiance à la population, a déclaré à IRIN Moustapha Signaté, un habitant.
« Grâce à la présence, dans la région, de l’armée sénégalaise et des équipes de déminage, nous retrouvons un peu le courage de revenir », a dit M. Signaté, qui a fui Kaguit avec sa famille en 1997, et qui, depuis trois ans, retourne travailler la terre pendant la saison des plantations. Il espère pouvoir se réinstaller à Kaguit pour de bon.
« Sans ces deux facteurs, ce serait difficile pour nous de rentrer, de s’installer ici et de travailler en paix », a-t-il dit à IRIN. « Avant le déminage, les gens avaient peur dès qu’ils se déplaçaient. A Kaguit, nous avons perdu tellement d’habitants à cause des mines ».
Source Irinnews