Franck Bourrel a quitté la Casamance jeudi après midi, un jour après son ami David Perez. Les Français mis en garde à vue dimanche dernier avec trois casamançais du village de Marsoussa, avaient été interpellés pour « incitation à la violence et atteinte à la sûreté de l’Etat sénégalais ». Pour avoir tourné un film qui simulait un braquage perpétré par la rébellion, ils risquaient 3 à 5 ans de prison. Le parquet de Kolda a finalement décidé de les relâcher mardi soir.
Bien qu’il soit visiblement tès fatigué, Franck rejoint le port de Ziguinchor à grands pas. Il n’est pas question pour lui de rater le départ du bateau qui relie la capitale de la Casamance à Dakar d’où il pourra enfin rejoindre la France.
Après avoir tourné un film qui prône la paix en Casamance, dont une séquence simulait un braquage perpétré par les rebelles du Mouvement des Forces Démocratique de la Casamance (MFDC), il a été accusé, avec David Perez qui l’accompagnait, d’incitation à la violence et d’atteinte à la sûreté de l’état.
Les deux vidéastes viennent de passer trois jours éprouvants en garde à vue à la gendarmerie de Sédhiou.« Les conditions de détention, pour nous Occidentaux, étaient très difficiles, raconte Franck. Lors de notre arrestation dimanche, à l’embarquement sur le bateau à Ziguinchor, nous n’avons pas eu le droit de récupérer nos bagages, ni les médicaments nécessaires au traitement de mon diabète et de l’asthme de David. Nous avons su pourquoi nous étions arrêtés en arrivant à la gendarmerie de Sédhiou en fin de journée. On dormait par terre. Ce sont les gens de Sédhiou qui nous ont fourni à manger et à boire car les gendarmes refusaient de nous servir quoi que ce soit. On pourrait dire que les droits de l’homme ont été bafoués. Mais tout est relatif, notre ami sénégalais arrêté pour les mêmes raisons que nous, a trouvé ces conditions plutôt bonnes…»
Mamadou Daffé, de l’association «Pour la renaissance du Soungrougrou», a en effet lui aussi été retenu par les gendarmes. Les trois hommes s’étaient rencontrés quelques jours auparavant au forum social international de Dakar. « Nous sommes tous des acteurs du développement, explique Franck. David et moi assistions au forum dans le but de tourner des reportages pour un collectif d’associations toulousaines qui agissent pour le développement. Mamadou mène des actions interculturelles avec l’une d’elles. Il nous a proposé de filmer une pièce de théâtre sur la paix en Casamance avec les jeunes qu’il encadre à Marsassoum. Il s’agit d’une sorte de court métrage qui devait permettre de faire connaître leur travail. Nous nous sommes donc rendus au village pour réaliser ce film. Le synopsis prévoyait notamment une séquence dans laquelle des rebelles braquent un bus, une autre où, la paix négociée, les armes sont brûlées… »
Parce que l’une de ces séquences doit être tournée dans la ville, près du fleuve, Mamadou Daffé prévient les militaires « pour qu’ils ne s’inquiètent pas ». Et le tournage se déroule en partie sous leurs yeux. « La population a assisté au spectacle, il y avait beaucoup de femmes et de jeunes, et même l’instituteur qui s’est arrêté avec ses deux enfants », affirme-t-il.
Vent de panique sur Marsassoum
Mais voilà, aucune demande d’autorisation de tournage n’a été déposée auprès de la mairie. Une omission qui, dans un contexte politique tendu a fait basculer la situation. « Les populations sont venues me voir, paniquées. Elles pensaient que les rebelles étaient entrés dans la ville », témoigne Alassane Ndiaye, maire de Marsassoum.
S’il est vrai que les braquages se multiplient en Casamance (les altercations entre les militaires et les combattants du MFDC ont provoqué la mort de quatre soldats la semaine dernière, quinze depuis le 27 décembre 2010,) le secteur de Marsassoum n’est pas concerné par les exactions.
« Personnellement je n’ai pas cru à une attaque, poursuit le maire, mais j’ai voulu répondre à la requête des habitants. C’est pour cette raison que j’ai demandé à la gendarmerie d’enquêter. De plus, c’est irresponsable de tourner ce genre de scènes chez nous, sans cadre précis. La Casamance a assez souffert de ces exactions ».
Mamadou Daffé conteste vigoureusement la version du maire. « C’est impossible que les gens aient paniqué, ici ils ont l’habitude des spectacles, on ne demande d’ailleurs jamais d’autorisation ! Marsassoum est le creuset culturel du Sénégal. Pendant les vacances on joue des pièces de théâtre tous les jours dans tous les quartiers. L’explication du maire, pour lequel j’ai par ailleurs beaucoup de respect, n’est que du vent. Pour moi, cette polémique est un montage politique. Deux éléments du groupe de théâtre font de la politique, il est probable que l’enquête ait voulu les viser ».
Franck et David auraient-ils subi les conséquences d’une crise politique interne ? Pour Bakary Konte, journaliste de RFM à Sédhiou et correspondant local du journal L’observateur « Les autorités, qui ne connaissaient pas le sujet du film, ont eu peur qu’il ternisse l’image de la Région et fasse encore reculer le tourisme ».
Plus de peur que de mal
Quoi qu’il en soit et fort heureusement, le malentendu n’a pas eu de conséquences graves.
Aliou Diop, le procureur de Kolda en charge de l’affaire, qui ne souhaite pas s’expirmer auprès d’Afrik.com sur ce qu’il qualifie de « dossier très sensible », a libéré Franck et David, Mamadou ainsi que deux jeunes comédiens de la troupe qui ont aussi été entendus.
« Quand on a été reçu par le Procureur mardi soir, et après qu’il a visionné les cassettes, il s’est vite rendu compte qu’il n’avait rien contre nous et il nous a libérés », raconte Franck en précisant : « Lorsque j’ai pris conscience de la gravité des accusations qui étaient portées contre nous, j’ai envoyé un SMS en France pour faire bouger les réseaux, le ministère des Affaires étrangères, les ambassades et les consulats ont été prévenus, et ici, les amis Sénégalais ont aussi fait bouger beaucoup de monde. Cela a dû faire pression sur l’Etat. »
Les comédiens sont rentrés à Marsassadoum qui a retrouvé la tranquillité. Le maire, satisfait du dénouement de l’affaire ne donnera pas suite. « Je pense qu’ils n’ont pas mesuré les conséquences de leurs actes, je ne porterai pas plainte, pour moi, le dossier est clos », a-t-il indiqué.
David Perez, très éprouvé par l’expérience et qui, selon Franck, « ne souhaite pas remettre les pieds au Sénégal » a rejoint Dakar dès mercredi. Franck continuera à travailler pour le développement et les échanges interculturels avec son association Via Brachy. «L’expérience a été très éprouvante, je ne m’attendais pas à vivre ça en tournant un film pour la paix, mais je suis content d’avoir participé.»
Quant aux cassettes du tournage, elles seraient toujours entre les mains du procureur de Kolda qui devra décider de l’avenir du film.