Au Sénégal il ne se passe plus un jour sans que la presse ne se fasse l’écho d’enlèvements d’enfants suivis de meurtres. Les derniers en date : les découvertes macabres d’enfants atrocement tués à Touba, la ville sainte des mourides, et à Rufisque.
À cela s’ajoutent les 5 tentatives d’enlèvements à Matam, Ouakam et Grand Yoff. Ces faits divers ont pris une telle ampleur qu’une psychose s’est emparée des populations du pays de la Teranga. Nos confrères d’Afriquemidi.com ont consacré à cette recrudescence de pratiques mystiques un dossier très intéressant, d’où se dégagent plusieurs observations inquiétantes.
Le plus inquiétant est qu’une rumeur persistante rattache ces meurtres à des sacrifices humains et des rituels sombres pour de la sorcellerie. « Certains politiciens s’adonneraient à ces sacrifices pour accéder ou garder le pouvoir ».
Ainsi à la veille de chaque élection présidentielle, on note une recrudescence de ces meurtres rituels. L’affaire Fama Niane (du nom de cette jeune femme tuée, mutilée et jetée sur la corniche le 12 mars 2007 à la veille des élections) est encore vivace dans les mémoires. Des albinos ont été enlevés et tués.
Le nom d’un responsable qui a assumé de hautes responsabilités nationales a été cité. Depuis lors, mystère et boule de gomme. Un sociologue bien connu à Dakar rappelle que ces faits macabres surviennent chaque fois à quelque mois de l’élection présidentielle au Sénégal. La coïncidence est troublante.
De là à accuser les responsables politiques, il n’y a qu’un pas que certains dakarois ont franchi allègrement. ‘C’est évident que certains politiciens aveuglés par l’ambition et l’adversité sont la main invisible qui commandite ces meurtres.
Eux seuls ont les moyens de le faire ». Accusation portée par des Sénégalais qui manifestaient leur colère dans la rue après la découverte du corps de Serigne Fallou Diop, âgé de deux ans, enlevé et tué à Rufisque. Du coup une psychose obsessionnelle de l’enlèvement et une hystérie collective se sont emparées des parents et des populations au point que dans certaines localités la vindicte populaire a pris pour cible d’innocentes personnes parfois lapidées, soupçonnées à tort de rapt d’enfants.
Une justice populaire expéditive, avec ses dérives, qui a fait monter crescendo l’insécurité. On parle d’une fantomatique voiture 4×4 qui sillonne les rues des villes du pays pour enlever les enfants.
L’affaire a pris une telle ampleur que les autorités policières sont montées au créneau pour calmer les populations au bord de la crise de paranoïa. K.Faye un célèbre Saltigué (devin guérisseur) explique la situation par la présence au Sénégal de nouveaux djinns venus d’ailleurs et avides de sang.
Des esprits malfaisants que les génies tutélaires de Dakar (Leuk Daour) et Rufisque (Coumba Lamba) ont du mal à conjurer. Pour les exorciser, il recommande des sacrifices et des offrandes. Une explication ésotérique qui ne convainc pas tout le monde. « Le mal est parmi nous. Il a les traits humains de l’homo senegalensis. C’est trop facile d’accuser le diable ou les étrangers » rétorque-t-on.
Des lutteurs et des hommes d’affaires aussi au banc des accusés
Après les responsables politiques, certains Sénégalais pointent un doigt accusateur vers les célébrités de la lutte. Au Sénégal, plus qu’un sport national, la lutte est érigée au rang de religion nationale par certains.
Les cachets des lutteurs titillent les centaines de millions par combat. Ce sport traditionnel est un moyen de promotion sociale pour les lutteurs et attire des milliers de jeunes sénégalais qui parfois délaissent l’école pour ce sport. Il faut suivre un combat de lutte pour voir l’univers magico-religieux dans lequel baigne ce sport et l’impressionnant arsenal mystique déployé montre à quel point la sorcellerie est ancrée dans le subconscient collectif des Sénégalais.
Il y a quelques mois une affaire de profanation de tombes a défrayé la chronique à Pikine, banlieue de Dakar connue pour être le siège des plus grandes écuries de lutte au Sénégal.
Le spectacle ahurissant de tombes éventrées, de linceuls emportés avait ému l’opinion. Toutefois, il faut dire que les pratiques mystiques ne sont pas l’apanage des lutteurs. Tous les sports s’y mettent.
L’image d’un joueur de l’équipe nationale des U20 jetant un objet mystique lors de la finale à Lusaka a fait le tour du monde. Il y’a quelques jours un confrère titrait : « Basket le mystique prend de l’ampleur. » Il écrit : ‘le basket local, c’est maintenant comme dans les navetanes (compétitions de football de vacances) et la lutte en termes de pratiques occultes. Chaque équipe vient au stadium Marius Ndiaye avec son ‘thioumoucaye’(arsenal mystique). Et l’on ne s’en cache pas. La croyance mystique est ancrée dans la tête des dirigeants, des joueurs et des supporters.
Les marabouts recrutés pour faire gagner sont même déplacés et prennent place dans les gradins. Cela est d’ailleurs à l’origine des échauffourées. Pourtant le règlement interdit les pratiques mystiques dans le sport, mais la fédération fait preuve de laxisme Pour ce footballeur, « la pratique des ‘xons’ est tellement ancrée dans le subconscient des joueurs qu’elle fait office de dopage psychologique« .
Last but not least : les hommes d’affaires et autres commerçants en quête de marchés, des individus ayant maille à partir avec la justice, s’adonnent aussi à ces pratiques qui en réalité n’épargnent aucune couche de la société sénégalaise. Dans les couples le recours à ces pratiques a brisé plusieurs ménages et disloqué les liens séculaires qui unissaient les familles.
La responsabilité des médias
Pour beaucoup de sénégalais, les médias ont failli à leur mission d’éduquer les masses. Suivant une logique commerciale, ils ne respectent plus l’équilibre du triptyque Éduquer, Informer, Divertir. En lieu et place, ils ont mis en place le système LMD (Lutte, Musique Danse).
Et comme support publicitaire à ce programme creux et pernicieux ils offrent de larges places à des charlatans, marabouts, guérisseurs, voyants de tout acabit qui utilisent les télés et les radios pour faire leur promotion.
Certaines télés et radios proposent ainsi à longueur de journée des séances de voyance en direct avec des ‘docteurs miracles ‘qui prétendent tout soigner. L’effet est dévastateur chez les auditeurs et téléspectateurs qui grisés par la crise économique se font gruger par des faiseurs de miracles sans scrupule.
Pourtant la loi sénégalaise interdit la publicité pour les docteurs, les pharmaciens, pour la médecine traditionnelle et les guérisseurs. Mais ces derniers n’en ont cure. Ils continuent de plus belle à vendre leur pharmacopée à des gens crédules et naïfs avec la complicité de certains médias qui contre espèces sonnantes et trébuchantes ferment les yeux.
Du coup les médias qui devaient être une lumière pour éveiller la conscience des Sénégalais deviennent un voile d’obscurantisme qui les emmitoufle dans les ténèbres de l’occultisme.
Pour un pays comme le Sénégal peuplé à 95 % de musulmans, le moins que l’on puisse dire est les survivances des traditions païennes et ceddo (religions traditionnelles antéislamiques) ont la peau dure.
Malgré des siècles d’islamisation et d’évangélisation, les pratiques païennes ont survécu et ont maintenant une telle prégnance dans notre vécu quotidien que les plus sceptiques craignent un retour vers l’obscurantisme et les ténèbres de l’Afrique noire des siècles reculés.
Cette enquête s’appuie sur le travail de nos confrères d’Afrique-midi, coordonné par Achille Niang. Pour aller plus loin, consultez le dossier sur afriquemidi.com !