Une gargote à ciel ouvert. Un restaurant non fermé, établi à quelques mètres de l’entrée de l’hôpital régional de Thiès. On y vend tout : deukhine (riz cuit avec de la pâte d’arachide), soupe, couscous, nambé (sauce aux haricots)… Afrik.com est allé regarder de plus près, cet établissement placé non loin de l’hôpital Amadou Sakhir Ndieguene.
Reportage
Nous sommes sur l’avenue El Hadji Malick Sy, sis au quartier Randoulène Sud, dans la Capitale du Rail, Thiès. Il est 20h30, une foule immense s’affaire autour de bols disposés sur des tables. Chacun veut être servi le plus rapidement possible. De ces grands bols échappent diverses odeurs de mets certainement délicieux. Autrement, la bonne dame, aidée de quelques filles, n’allait pas attirer autant de monde, chaque soir, à pareille heure.
La plupart d’entre ces clients sont munis de petits récipients pour contenir leurs achats. Qui un bol, qui d’autres un pot usager de beurre, de lait caillé ou de chocolat, d’une capacité d’environ un litre. Certains viennent munis de sachet en plastique, souvent de couleur sombre, à même de dissimuler leurs emplettes. Histoire de tenir leur dîner hors des regards indiscrets du voisin trop curieux. D’autres, pour les mêmes raisons, se déplacent avec un seau muni de couvercle. Dans tous les cas, la discrétion est de mise.
Reprendre des forces après une journée de dur labeur
Dans ce restaurant particulier, pour être servi, il faut faire la queue. Pas n’importe comment. Il faut au préalable préciser le plat objet de sa commande avant de recevoir un ticket de position doté d’un numéro. Il suffit ensuite de suivre la queue et repérer le client qui a le numéro précédent. Chacun est impatient d’être servi. Les clients se regroupent devant les grands bols, obstruant le passage qui mène vers les quincailleries. « Cédez un peu le passage », crie un homme, teint noir, debout sur environ 1,75 mètre.
Les clients s’exécutent. Mais juste pour un moment. Car ils reviendront obstruer le passage. Sauf que l’homme veille toujours et ne se décourage pas. Il revient à la charge, chaque fois que le besoin se fait sentir. « Quel plat avez-vous commandé ? », demande la dame à un client. « Deukhine », répond le jeune homme, la trentaine, verres correcteurs. Sans doute hâte de prendre sa commande et retourner chez lui reprendre des forces après une journée de dur labeur.
Tenir bien chaud son riz à base de pâte d’arachide
De son sachet plastique, le jeune homme extirpe, avec dextérité, un bol en inox d’environ 30 centimètres de diamètre. Un récipient qui, certainement, pourra tenir bien chaud son riz à base de pâte d’arachide. Un mets salé bien tendre car cuit avec beaucoup d’eau telle une bouillie, et qui se consomme bien chaud. Pour sûr, le jeune homme va se régaler ce soir. Comme bien d’autres, visiblement réguliers chez la bonne dame dont les affaires marchent comme de petits pains.
« J’étais là avant toi et tu veux passer ta commande avant la mienne. Je ne sais pas pourquoi vous êtes aussi impatient »
En effet, il arrive que la vendeuse appelle certains clients par leur nom. « Binetou, tu prends quoi ce soir ? », demande-t-elle à une cliente avec qui elle semble familière. « Aujourd’hui, je prends de la soupe. Je suis trop fatiguée et j’ai envie de boire du chaud », répond la cliente. Lui présentant son récipient, un bol isotherme, la dame, la quarantaine révolue, prend le soin de refaire son foulard, dont une partie commençait à se dénouer.
Les tickets remis aux clients pour les départager
A la gauche de la dame, deux clients s’arrachent la priorité. « J’étais là avant toi et tu veux passer ta commande avant la mienne. Je ne sais pas pourquoi vous êtes aussi impatient », tonne un monsieur, environ 50 ans, barbu à souhait, avec un bonnet bien en place sur son crâne visiblement dégarni à l’avant. Comprenez qu’il avait une calvitie assez avancée. Heureusement que les tickets remis aux clients étaient là pour les départager.
« Vous avez quel numéro de ticket », lui demande son antagoniste, sur un ton très posé. Normal, il était de loin son cadet, d’où le respect de l’ancien, à l’africaine. Le ton de la réponse du jeune avait suffi pour calmer l’ardeur du quinquagénaire, visiblement vaincu par la faim. « J’ai le numéro 9 », rétorque l’homme, sur un ton plus clément. « Moi le numéro 7 », réplique le jeune homme, qui a eu la politesse de céder sa place à son aîné.
« Il y a toujours des gens corrects sur cette terre »
Leur conversation a attiré l’attention de plus d’un. Certains ayant suivi les échanges n’avaient pas manqué de magnifier le geste posé par le jeune homme. Ce dernier, en plus d’avoir pris le soin d’ôter la casquette qu’il avait bien vissée sur sa tête, avait mis le ton pour répondre poliment au quinquagénaire. « Il y a toujours des gens corrects sur cette terre. Restez sur cette lancée, jeune homme, vous ne le regretterez jamais », lance une autre dame, elle aussi d’un âge avancé.
« Il y a toujours des gens corrects sur cette terre. Restez sur cette lancée, jeune homme, vous ne le regretterez jamais »
Un sujet pour détendre l’atmosphère venait de surgir. Sur la base du comportement du jeune homme, les commentaires fusaient de partout. Certains racontaient des anecdotes en lien avec la scène qu’ils venaient de vivre en direct. Tandis que d’autres en profitaient pour rappeler des comportements peu orthodoxes vus par le passé. Une occasion de conforter le trentenaire dans sa position. L’ambiance est devenue subitement moins tendue.
Une gargote certainement prisée par les gourmets
Visiblement, la plupart d’entre les clients avaient oublié la tension imposée par leurs vers intestinaux qui leur réclamaient à manger. Malgré ces quelques minutes de distraction, les clients gardaient un œil et des oreilles attentifs sur leur position. Les numéros défilaient et les clients passaient et à la caisse et au buffet. Un endroit certainement prisé par les gourmets avec une rude compétition des odeurs, chaque fois qu’un plat est remué pour être servi bien chaud. En atteste la vapeur qui se dégage du grand bol.
La vendeuse, de même que certaines de ses serveuses, jetaient des regards furtifs sur les clients. Si la conversation entre le jeune homme et le quinquagénaire ne les a pas échappées, elles n’ont pas pipé le plus petit mot. Elles se sont plutôt concentrées sur leur travail : servir les clients qui, plus le temps passait, plus ils s’impatientaient. L’urgence du moment, était se servir les repas. Certains plats destinés aux malades de l’hôpital Amadou Sakhir Ndiegueune, qui avaient plus besoin de bonne nourriture que de médicaments. Le temps d’un copieux dîner.