Sénégal : Pouvoir et opposition dans la rue


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Manifestation de l'opposition au Sénégal

Des milliers de Sénégalais, partisans et opposants du président Abdoulaye Wade, ont manifesté samedi à Dakar à l’occasion du onzième anniversaire de son accession au pouvoir. La veille, le gouvernement avait annoncé avoir déjoué un « complot » visant à renverser le régime.

Coup de théâtre ! À quelques heures du coup d’envoi de nombreux rassemblements contestataires, le gouvernement sénégalais annonce avoir déjoué une tentative de coup d’Etat. Peu après minuit, le visage grave de Cheikh Tidiane Sy, ministre de la Justice, apparaît à la télévision nationale. Le garde des sceaux accuse des membres de l’opposition d’avoir voulu renverser le régime ce 19 mars, jour anniversaire de l’Alternance. « Le procureur d’Etat a décidé de tuer dans l’œuf le complot de coup d’Etat en arrêtant ces individus identifiés comme étant les membres du complot », affirme le ministre citant nommément plusieurs personnes. Celles-ci seraient sous les verrous, « des jeunes de Bennoo Siggil Senegaal (la coalition d’opposition), des mouvements d’artistes, des étudiants et des leaders politiques » précise-t-il. Des « commandos » auraient planifié de mener des actions violentes dans plusieurs endroits de la capitale, annonce Cheikh Tidiane Sy, sans fournir davantage de détails. « Au moment où va s’ouvrir la pré-campagne pour l’élection présidentielle de février 2012, déclare le ministre, des politiciens, sachant qu’ils ne peuvent rien attendre d’un scrutin libre, démocratique et sincère, veulent tout simplement utiliser la voie du complot. » Le ton est donné.

« C’est impensable, excessif, s’exclame Ousmane Tanor Dieng, secrétaire général du Parti socialiste. L’objectif visé, c’est d’intimider, de faire en sorte que les gens ne sortent pas. Nous avons constitué un pool d’avocats qui vont démonter les arguments avancés par le ministre. » Pour Moustapha Niasse, autre leader de l’opposition « cela traduit tout simplement une peur panique de la part des autorités de l’Etat qui considèrent toute manifestation de la jeunesse de notre pays comme une tentative de déstabilisation du régime ».

5.000 opposants place de l’Indépendance

Pour marquer ce 19 mars, onzième anniversaire de l’élection d’Abdoulaye Wade à la présidence du Sénégal, la coalition d’opposition Bennoo Siggil Senegaal voulait montrer que « la majorité a changé de camp ». Partie de Rufisque, une caravane d’une cinquantaine de véhicules sillonne ainsi Dakar et sa banlieue à la rencontre des populations vêtues de rouge en signe de mécontentement. Des manifestations avaient lieu un peu partout dans le pays. À Saint-Louis, c’est sur la place Abdoulaye Wade qu’ils ont nargué le pouvoir…

Le matin, environ 5.000 personnes s’étaient rassemblées sur la place de l’Indépendance à l’appel du président du groupe de presse Walfadjri, Sidy Lamine Niasse, en bisbille avec l’Agence nationale de régulation des postes et télécommunications (Artp) qui lui réclame 241 millions de francs CFA (environ 368.000€). À la tribune, le patron de presse a demandé « la libération des otages ».

« Le vieux (Abdoulaye Wade) est un menteur. Karim Wade est un voleur, lance Mansour Fall, un jeune chômeur. Les gens qui disent la vérité comme Sidy sont bannis. Wade va-t-en ! » Si certains sont venus pour soutenir le PDG de Walfadjri, la majorité des manifestants crie juste son raz-le-bol. « Nous ne sommes pas là pour Sidy, on en a marre c’est tout, soutient Ngagne Diaw. Les coupures de courant, les problèmes d’eau, on en a marre ! » Plus loin, Alioune Baïdara, la quarantaine, brandit sa carte d’identité française. « Je pourrais être en France, mais j’ai choisi de vivre dans mon pays, explique ce père de famille. En 2000, je me suis battu pour Wade, mais il nous a trahi. » Les étudiants sont venus en nombre, les agriculteurs aussi. « Les paysans sont fatigués. On nous a pris notre arachide il y a sept mois mais nous n’avons toujours pas été payé, soupire Birame Touré, venu de la région de Fatick. Le plan REVA (« Retour vers l’agriculture »), la Goana (« Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance »), tout ça c’est des promesses mais il n’y a rien. Le pays a faim ! » Vers midi, à la fin du rassemblement, quelques manifestants surchauffés sont allés jusqu’à déchirer et brûler les portraits d’Abdoulaye présents sur la place avant d’être rapidement dispersés par les forces de l’ordre.

« Seule la jeunesse peut changer les choses dans ce pays »

Le mouvement Y en a marre, emmené par une dizaine de rappeurs, tenait lui un rassemblement en milieu d’après-midi à la place de l’Obélisque dans le quartier populaire de Colobane. Près de 2.000 personnes ont suivi le mouvement, en grande majorité des jeunes mais pas seulement. « Ces jeunes-là ce sont nos fils, observe Bouby Ba, 52 ans. Il faut les aider, les soutenir. Quand on veut changer les choses, on ne peut pas rester les bras croisés à la maison. De temps en temps, il est important de manifester, de dire ça suffit. »

L’affluence entonne l’hymne national puis les discours se succèdent. Premier à prendre la parole, Malal Talla alias « Fou Malade » se veut le clair : le mouvement est apolitique. « C’est la jeunesse qui a décidé de prendre son destin en main, note le rappeur. Nous sommes là parce que nous pensons que seule la jeunesse peut changer les choses dans ce pays. » Y en a marre veut « conscientiser ». « Aujourd’hui, c’est la naissance d’un nouveau type de Sénégalais, espère Fadel Barro, l’un des organisateurs. Chaque personne présente ici devient ambassadeur du mouvement chez lui. Il accomplit son devoir et réclame son droit. Il doit aussi rompre avec l’attentisme et le fatalisme ». Prochaine étape du mouvement : pousser la jeunesse à s’inscrire massivement sur les listes électorales.

« Une marée humaine » derrière Wade

Au même moment dans le quartier de la Médina, des cars en provenance de Joal, située à une centaine de kilomètres de la capitale, déversent des dizaines de femmes drapées dans des boubous blancs. La riposte du parti au pouvoir se prépare. Le Parti démocratique sénégalais (PDS) est déjà en ordre de bataille en vue des élections présidentielles de 2012. Quelques heures plus tard, c’est environ 10.000 personnes qui convergent vers le palais présidentiel où les y attend Abdoulaye Wade. Les barons du parti se joignent tous à la marche, y compris Karim Wade, entouré de quatre gardes du corps… Doudou Wade, président du groupe libéral à l’Assemblée et par ailleurs neveu du président, évoque « une marée humaine » venue « accompagner et rendre hommage » au pape du Sopi.

« Ce 19 mars est un grand jour. C’est le jour du grand test de la démocratie sénégalaise », s’est félicité dans la soirée le président Wade, installé sous une tente devant les grilles du palais, soulignant « la maturité » de la démocratie sénégalaise. Il s’en est ensuite longuement pris aux différents leaders de l’opposition et a lui aussi dénoncé leur « complot ». « L’opposition est en retard, juge-t-il, très en retard. »

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