Sénégal : « Pourquoi Déby a financé le procès de Habré »


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Après la sortie de Me François Serres, un des avocats d’Hissène Habré, la parole est donnée à Me Assane Dioma Ndiaye, Coordonnateur du pool d’avocats des victimes supposées de l’ancien Président tchadien. Si Me Serres s’en est pris au ministre de la Justice, au Président Macky, et à la partie civile qu’il accuse de tirer les ficelles de la procédure concernant son client, Me Assane Dioma Ndiaye a démonté pièce par pièce les allégations de la défense dans cet entretien exclusif accordé à Afrik.com.

(De notre correspondant à Dakar)

Me Assane Dioma Ndiaye, Coordonnateur du pool d’avocats des victimes supposées de l’ancien Président tchadien, Hissène Habré, a démonté pièce par pièce les allégations de la défense dans cet entretien. Il précise, dans cet entretien, que «les avocats doivent comprendre aussi que nous sommes dans un processus de charge et de décharge».

Afrik.com : Pourquoi vous êtes-vous engagés du côté des victimes supposées d’Hissène Habré ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
Il s’est trouvé qu’en 1990, Hissène Habré, après avoir perdu le pouvoir, a trouvé refuge au Sénégal. Et à partir de 2000, certains citoyens tchadiens, qui affirment avoir été victimes de la gouvernance de monsieur Habré, ont commencé à se démarquer du Sénégal pour exiger que l’ancien Président puisse rendre compte des atrocités qu’il aurait commises entre 1982 et 1990. Nous, en tant qu’organisations de Droits de l’Homme sénégalaises, on s’est dit que, compte tenu des allégations de ces victimes et du fait que le Président Habré est au Sénégal et que par ailleurs, le Sénégal a ratifié la convention 1984, qui lui fait obligation de juger et d’extrader la personne accusée, au moins, il fallait mener ce combat. Pour que le Sénégal, en rapport avec ses obligations internationales, puisse juger Habré par rapport à ces allégations. C’est dans ce sens que nous sommes engagés dans ce combat. Nous avons fait plutôt un accompagnement pour que les droits des victimes à un procès soient garantis.

Afrik.com : Avez-vous espoir que le procès se tiendra ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
Les victimes et les Ong sont satisfaites de son inculpation. Dès lors, elles sont assurées qu’aujourd’hui, au moins, ce droit inaliénable et intangible à un procès, sera garanti.

Afrik.com : Les avocats de la défense estiment que la Cour africaine est incompétente pour juger Habré. Que répondez-vous ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
En réalité, nous avons toujours dit que le Président Habré doit être jugé au Sénégal et en vertu de la convention de 1984. Dès lors qu’il est refugié au Sénégal, la compétence première revenait au Sénégal. Ce qui justifie qu’on ait porté plainte devant le doyen des juges, Demba Kandji, en 2000. Entre-temps, il y a eu des péripéties, parce que le Sénégal ne voulait pas de ce procès. Et nous nous sommes inscrits dans une position de l’extrader, en nous basant sur la convention 1984. A ce moment-là, il n’y avait que la Belgique qui avait lancé un mandat d’arrêt international contre Habré. Puisque le Sénégal ne voulait pas de ce procès, nous nous sommes dit, autant extrader Hissène Habré vers la Belgique. Nous avions mené ce combat au niveau des juridictions internationales, notamment, la Cour internationale de Justice, qui avait même donné ultimatum au Sénégal : il fallait le juger ou l’extrader. A défaut du Sénégal, notre objectif, c’était la Belgique. Mais, dès que le Président Macky Sall est arrivé au pouvoir, nous avons senti un revirement du point de vue politique des autorités sénégalaises face à ce dossier. C’est à ce moment-là que nous avions senti qu’on pourrait juger Habré au Sénégal. Il s’y ajoute entre-temps qu’Habré est allé devant cour de justice de la Cedeao pour se plaindre. Parce que selon lui, si on le juge d’après le droit et les juridictions sénégalais, on violerait l’autorité de la chose jugée. Parce qu’aussi Habré avait estimé que la Cour suprême ne pouvait pas être dirigée par le Sénégal. Ensuite, il avait dit que si on le jugeait à partir des réformes intervenues au Sénégal en 2007, on violerait le principe de la non-rétroactivité de la loi.

Afrik.com : Il a eu raison au niveau de cette juridiction. Qu’est-ce qui a changé entre-temps pour que vous croyiez qu’un procès aura lieu ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
A l’époque, la Cour de la Cedeao lui a donné raison, en précisant que le Sénégal ne va pas le juger par ses juridictions, mais devra mettre en œuvre une procédure spéciale ad hoc à caractère international et c’est qui a abouti à l’accord entre l’Union Africaine et le Sénégal. Pour dire aussi que ce ne sont pas des juridictions sénégalaises qui jugent, mais plutôt une procédure spéciale ad hoc à caractère international. Ce qui va permettre l’application du droit international, notamment, les crimes retenus contre monsieur Habré. C’est ce qui explique ce format des Chambres africaines au sein des juridictions sénégalaises. Pour dire que, ce sont des péripéties de droit. Mais en réalité, c’est Habré qui a suscité la justice Africaine par sa saisine de la Cour de justice de la Cedeao. Cette décision a indiqué le format des juridictions mises en place actuellement. C’est pourquoi, on s’étonne quand on dit que la Cedeao a dit qu’on ne peut pas juger Habré. L’arrêt a dit qu’il n’y aura point d’impunité, mais Hissène Habré devra être jugé selon le format des tribunaux ad hoc internationaux.

Afrik.com : Les avocats d’Hissène Habré récusent la composition des Chambres africaines ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
D’après les statuts, le 1/3 des magistrats qui vont siéger aux Chambres africaines seront des non-Sénégalais. Il faut savoir aussi que les statuts disent qu’en cas de vide juridique, c’est le Code de procédure sénégalais qui s’applique. Et les juges d’instruction et le parquet ne jugent pas certes, mais en fin de compte ce ne sont pas eux qui décident. Ceux qui sont appelés à juger, ce sont des magistrats des Chambres de jugement et des Chambres d’appel.

Afrik.com : La défense reproche aussi aux organisations de défense de l’Homme de ne s’intéresser qu’à la période 1982-1990, au cours de laquelle Habré était au pouvoir, alors qu’il y a eu, selon elle, d’autres crimes commis durant le règne de Déby. N’est-ce pas une attitude curieuse de votre part ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
Je n’exclus pas ces reproches, mais il faut savoir qu’il appartient aux juridictions nationales de juger des faits dans les territoires respectifs. Par rapport à monsieur Habré, il ne faut pas perdre de vue deux choses : c’est lui qui a suscité l’intérêt de la Communauté internationale en sortant du Tchad. Et ça, c’est un mécanisme international que la Communauté internationale a mis en œuvre. C’est ce qu’on appelle la compétence. C’est-à-dire, si vous commettez des actes ignobles dans votre pays, la dissimulation de l’espace ne vous exonère pas de l’application de la justice. Pour les autres qui ont commis des actes au Tchad, rien n’empêche aux autorités tchadiennes d’ouvrir des procédures internes, si ces actes de tortures et de meurtres sont avérés. Ce qui est encore important pour Habré, il faut savoir que de 1982 à 1990, c’est lui qui était le chef de l’Etat et la responsabilité pénale vise la plus haute autorité en matière de crime contre l’humanité et crime de guerre. C’est-à-dire c’est lui qui a le pouvoir de donner les ordres.

Afrik.com : Habré a refusé d’endosser la responsabilité d’actes commis, selon lui, par les troupes de Déby, qui était son chef de sécurité ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
Oui, mais c’est Habré qui a le devoir d’empêcher que de tels actes ne puissent pas être commis. Parce que lui, il était le chef de l’Etat puis chef suprême des forces armées, donc il était en contact avec tous les chefs, militaires, de la gendarmerie et de la police. Il avait le pouvoir d’empêcher que ces actes soient commis. Ce qui est important, c’est qu’on aille vers un procès pour que toutes les responsabilités soient situées. Et il faut que les avocats comprennent aussi que nous sommes dans un processus de charge et de décharge. Rien ne dit aujourd’hui que monsieur Habré est coupable, mais il y a des accusations qui fusent de partout et qui fusent de façon récurrente.

Afrik.com : La contribution au procès d’Idriss Déby, pour 4 milliards FCFA, ne fausse-t-elle pas le jeu ?

Me Assane Dioma Ndiaye :
Il faut savoir que tous les procès internationaux sont financés par des Etats ou par les Nations-unies, sous forme de contribution. C’est le cas des tribunaux sur le Rwanda et sur l’ex-Yougoslavie. Par rapport au procès d’Hissène Habré, c’est le Président Abdoulaye Wade qui avait estimé que la Communauté internationale devait aider le Sénégal à juger Habré. Et tous les amis du Sénégal, à travers une table ronde, ont manifesté leur volonté de contribuer pour la tenue de ce procès. Evidemment, il y a eu des manifestations d’intérêts, il y avait la France, les Etats-Unis, la Belgique et d’autres pays d’Afrique. Et une chose nous semblait importante à ce niveau : il fallait que deux pays manifestent un intérêt particulier pour ce procès, c’est le Sénégal et le Tchad. Pour la contribution du Tchad, il faut savoir faire la distinction entre l’Etat du Tchad et Idriss Déby. Donc nous refusons de faire ce lien entre monsieur Déby et son intérêt ou ses contradictions avec Habré.

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