Cheikh Tidiane Sy, un dur du régime, a remis sa démission jeudi au chef de l’Etat à la sortie du Conseil des ministres. En attendant un prochain remaniement, c’est le Premier ministre, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui assure l’intérim.
De notre correspondant
« La chute du faucon de Wade », titre vendredi matin en une le quotidien Kotch. Le ministre de la Justice, Cheikh Tidiane Sy, un vieux compagnon de route du président, a présenté jeudi sa démission du gouvernement après avoir participé dans la matinée au Conseil des ministres. En attendant un prochain remaniement ministériel, annoncé déjà depuis plusieurs mois, c’est le Premier ministre en personne, Souleymane Ndéné Ndiaye, qui assure l’intérim.
La presse sénégalaise s’interroge sur les raisons qui ont poussé ce dur du régime à la démission. Le Garde des Sceaux a-t-il démissionné ou a-t-il été poussé vers la sortie ? Une chose est sûre, sa démission intervient en pleine crise du secteur de la Justice. Depuis lundi, une grève des magistrats paralyse le fonctionnement du système judiciaire, empêchant la tenue des audiences et la délivrance de documents administratifs. Outre une hausse de leur indemnité de logement et de meilleures conditions de travail, les magistrats réclament surtout le respect de l’indépendance de la Justice et la fin de l’ingérence de l’Exécutif. Dans son bras de fer avec l’Union des magistrats du Sénégal, Cheikh Tidiane Sy demandait la tête des grévistes. Confronté à un climat social de plus en plus délétère, le premier magistrat du pays, Abdoulaye Wade, a semble-t-il préféré jouer la carte de l’apaisement.
Une justice aux ordres ?
C’est que la Justice sénégalaise apparaît aux yeux de nombreux citoyens aux ordres. Et, le procès de l’entrepreneur Bara Tall, accusé de détournement dans la « deuxième affaire des chantiers de Thiès » plane également sur la démission de Cheikh Tidiane Sy. Dans sa dernière livraison, l’hebdomadaire sénégalais La Gazette, qui sous la direction du célèbre journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly s’est fait une spécialité dans la révélation des méfaits du pouvoir, a jeté un pavé dans la mare en publiant le fac-similé d’un réquisitoire du parquet qui demandait le non-lieu pour Bara Tall. Réquisitoire auquel a finalement été préféré, deux mois plus tard, un autre totalement inverse. Lors des audiences, en avril, cinq ans de prison ferme ont été requis contre Bara Tall.
Le malaise créé par ces révélations est tel que le procureur de la République du tribunal de Dakar, Ousmane Diagne, est venu s’expliquer devant la presse mercredi et à nier être un « procureur du gouvernement ». « Je ne pense pas que la question soit de savoir s’il y a eu des pressions ou pas, a ainsi déclaré le procureur. Parce que ces pressions sont, à la limite, naturelles. La question c’est justement notre aptitude à résister à ces pressions. Dans cette affaire, il s’agissait d’apprécier la qualité des charges qui étaient à notre disposition et qui pouvaient justifier éventuellement le renvoi de l’affaire. C’est ce que nous avons fait en toute objectivité et en toute indépendance et que nous assumons. » Très attendu, le jugement de ce procès doit être rendu le 17 mai prochain.
L’homme du « coup d’Etat »
Ministre au rang de ministre d’Etat sans discontinuer depuis 2003, fidèle parmi les fidèles, Cheikh Tidiane Sy est décrit comme un homme d’autorité, sans état d’âme et peu soucieux de son impopularité. Un bon soldat en somme, utile pour les sales besognes. Le 18 mars, à la veille de grands rassemblements organisés par l’opposition, le mouvement Y en a marre et la chaîne Walfadjri, c’est lui qui monte au front pour annoncer sur le plateau de la télévision publique qu’une « tentative de coup d’Etat » fomenté par de jeunes opposants a été déjouée. Une thèse récupérée à son compte par Abdoulaye Wade le lendemain dans son discours. Mais, le « coup d’Etat de minuit » fait pschitt. Et si, Cheikh Tidiane Sy avait bien pris soin de lire son communiqué « au nom du gouvernement », le mal est déjà fait. Face au tollé suscité par cette mise en scène, le porte-parole du gouvernement et son confrère à la Présidence s’empressent de le désavouer en expliquant deux jours plus tard qu’ « aucun élément de l’enquête ne permet de dire avec certitude qu’il s’est agi d’un complot ou d’une quelconque tentative de coup d’Etat ». De son côté, l’opposition demande son départ. Dès lors, le « vieux ministre d’Etat » dixit Wade se trouvait sur un siège éjectable.
Pour ses détracteurs, Cheikh Tidiane Sy aura toutefois « réussi » une chose pendant ses onze mois passés au ministère de la Justice. Le journaliste sénégalais Abdou Latif Coulibaly, a en effet été condamné à un mois de prison avec sursis par un tribunal de Dakar pour « diffamation » envers Thierno Ousmane Sy, le fils du ministre par ailleurs conseiller du président Abdoulaye Wade chargé des nouvelles technologies de l’information. D’après La Gazette, des « experts américains », des « lobbyistes arabes » et des « Sénégalais très haut placés dans les structures de l’Etat » se seraient partagé 40 millions de dollars, au moment de l’attribution d’une licence de téléphonie au groupe soudanais Sudatel en 2007. Thierno Ousmane Sy avait été identifié par le journal comme « étant au centre du scandale ».
Débarqué du gouvernement, Cheikh Tidiane Sy va désormais se consacrer à la Société africaine de raffinage (SAR) dont il préside le conseil d’administration depuis novembre 2009. Reste à savoir maintenant s’il s’engagera aux côtés de Wade dans la bataille des présidentielles. Il pourrait également choisir d’offrir ses services à un autre chef d’Etat. De 1988 à 1990, il avait été le conseiller personnel du maréchal Mobutu.