L’activité des commerçants chinois au Sénégal est décriée par l’Union nationale des commerçants et industriels du pays, qui juge notamment qu’ils travaillent illégalement sur le territoire. Mais l’Association des consommateurs du Sénégal croit déceler derrière ce discours de la xénophobie et du racisme. Alors que l’organisation incriminée se défend de telles intentions, les consommateurs soutiennent les vendeurs asiatiques, bien moins chers que les nationaux.
Les commerçants chinois créent la polémique au Sénégal. Les vendeurs asiatiques sont accusés par l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois) d’exercer illégalement leur activité sur le territoire ouest-africain. Une illégalité, selon elle, cautionnée par le gouvernement. L’Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) estime pour sa part que cette accusation cache un discours en réalité xénophobe et raciste. Ce dont se défend avec ferveur l’Unacois. Les consommateurs sénégalais sont quant à eux prêts à plaider la cause des vendeurs asiatiques – ils compteraient en tout quelque 300 commerces – dont les prix sont bien plus accessibles que ceux des nationaux.
La polémique concernant les Chinois ne date pas d’hier. Le 29 novembre 2002, Ousmane Sy Ndiaye, secrétaire permanent de l’Unacois, expliquait à Afrik : « Les Chinois se positionnent sur les mêmes créneaux que les Sénégalais, en proposant des produits de moins bonne qualité, à des prix inférieurs à ceux pratiqués normalement. Ils ne respectent pas la législation douanière et fiscale du Sénégal. Pour payer des taxes réduites, ils déclarent des importations de containeurs de pièces détachées. Or, les pièces en question sont prêtes à être emboîtées en une demie-heure pour donner des produits finis. C’est une économie de temps et d’argent qui leur permet d’être redoutablement compétitifs… »
« Les fraudeurs sont sénégalais, pas chinois »
Ce vendredi, le responsable de l’Unacois ajoute : « Nous voulons que le cordon douanier soit respecté pour que des produits dangereux pour la santé du consommateurs n’entrent pas sur le territoire. Nous avons déjà reçu des plaintes de consommateurs qui expliquaient que le cuir qu’ils avait acheté leur provoquait des allergies. D’autres ont signalé que les pots de fleurs faisaient mourir leurs plantes ».
L’Ascosen estime que les produits vendus par les Chinois ne sont pas plus dangereux que ceux qui le sont par les Sénégalais, car c’est en Chine que la plupart des commerçants des deux pays se rendent pour s’approvisionner. « Environ 80% des Chinois sont tout à fait en règle. Le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs expliqué qu’ils ne seraient pas là si ce n’était pas le cas. Les fraudeurs seraient plutôt les nationaux parce qu’ils vendent des médicaments sur ou sous-dosés ou périmés en changeant la date de péremption, ce que les Chinois ne font pas. Pour ce qui est de la douane, si des trafics sont en cours, c’est le fait des Sénégalais qui parlent mieux français et peuvent avoir des connections haut placées », commente Momar Ndao, président national de l’Ascosen.
Le chef de l’Etat soutien l’Unacois
Pour enrayer le problème, Ousmane Sy Ndiaye préconise notamment « un assainissement et une réorganisation du secteur économique pour les nationaux et les étrangers. Et de surcroît pour les Chinois, dont le pays n’entretient plus de relations diplomatiques avec le Sénégal depuis plusieurs années. Cette rupture entraîne une série de démarches à remplir pour vivre et travailler sur notre territoire que les Chinois ne font pas. Alors rien ne justifie leur présence dans le pays. Sur ce dossier, les gouvernements qui se sont succédés depuis l’alternance en 2000, ont fait preuve de légèreté ».
Le gouvernement a longtemps gardé le silence sur cette affaire. Silence que l’Unacois a interprété comme un signe qu’elle ne se trompe pas dans son analyse. Mais il y une dizaine de jours, lors d’une entrevue avec le chef de l’Etat Abdoulaye Wade, les commerçants ont obtenu l’assurance que les choses allaient changer. « Le Président a pris l’engagement de tout mettre en œuvre pour aboutir à la conciliation des intérêts nationaux et à une bonne politique d’ouverture dans le cadre du libéralisme. Il a par ailleurs déclaré que la tenue du commerce informel (80% du commerce national, ndlr) devrait revenir aux nationaux, ce qui est aussi notre sentiment. Il faut savoir que les recettes des Chinois sont rapatriées dans leur pays, par des filières obscures, puisqu’aucune banque n’a de trace de leur compte. Au rythme où vont les choses, c’est le Sénégal qui va supporter le développement de la Chine », raconte Ousmane Sy Ndiaye.
« Pas xénophobes, mais soucieux des intérêts économiques »
Pour défendre les commerçants chinois face à ces critiques, l’Ascosen a organisé, mardi après-midi à Dakar, une marche de protestation contre « L’intolérance, le racisme ou la xénophobie de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal ». Des milliers de personnes ont défilé de 16h à 17h30 de la Place de l’Obélisque à la Radio-Télévision sénégalaise. Outre les membres de l’Ascosen, quelques commerçants nationaux, des associations de défense des droits de l’Homme, des syndicats de travailleurs et une vingtaine de chinois ont répondu à l’appel.
Les manifestants voyaient aussi dans ce mouvement la possibilité de sauvegarder les valeurs morales du Sénégal. « Nous avons pris cette initiative parce que l’Unacois veut que les commerçants chinois soient rapatriés, au motif qu’ils ne respectent pas les lois, que leurs produits ne sont pas bons, qu’ils faisaient de la concurrence déloyale et qu’il fallait protéger les vendeurs sénégalais. Mais nous pensons qu’en réalité ces explications cachent un discours raciste et xénophobe. Ce qui est dangereux pour le pays », explique Momar Ndao. « Nous n’avons jamais parlé de rapatriement ou d’expulsion, mais de régularisation, et nous n’avons pas non plus fait allusion à une protection des commerçants sénégalais », rétorque Ousmane Sy Ndiaye, qui réfute les accusations de xénophobie et de racisme.
Les marcheurs de mardi estimaient aussi qu’il en allait de la protection du consommateur et de ses droits. Car selon les principes directeurs des Nations Unies pour la protection des consommateurs, datant de 1986, ces derniers doivent pouvoir accéder aux biens de base et bénéficier du choix des produits. Et il se trouve que les Chinois vendent parfois leurs produits plus de cinq fois moins cher. « On peut acheter une antenne de télévision de très forte puissance entre 30 000 et 40 000 chez un Sénégalais. en revanche, chez un Chinois, elle sera à 6 000 FCFA pour une qualité équivalente. L’arrivée des Chinois facilite vraiment le quotidien. Les familles peuvent payer un ensemble pour un garçon de mois de cinq ans pour 1 000 FCFA, ce qui était impossible avant, sauf dans les friperies. Avec l’arrivée des Chinois, l’acquisition de nombreux produits s’est démocratisée », commente Momar Ndao.
« Pas les moyens d’accueillir d’autres étrangers »
L’Unacois et l’Ascosen semblent difficilement réconciliables. Le premier attend les suites de son entretien avec le Président Wade et espère que d’autres Chinois ne vont pas arriver, expliquant que les populations rurale et urbaine sont en augmentation et que le pays n’a pas les moyens de « favoriser l’immigration, encore moins clandestine ». Le second espère une prochaine facilitation de l’intégration des Chinois, pour éviter la naissance de petits Chinatowns. Mais, surtout, il espère que des micros industries sénégalaises et chinoises vont s’allier pour favoriser les exportations.
Tout cela demandera du temps. Du temps, c’est précisément le remède que préconise M. Zhang pour que les animosités s’estompent. « Chacun a son avis et a le droit d’exprimer son opinion. C’est normal. Avec le temps tous les problèmes seront réglés. Mais nous n’avons pas d’ennuis avec les commerçants sénégalais », précise avec sérénité le technicien chinois, qui vit au Sénégal depuis 1986 et dont la femme gère une boutique à Dakar. Les premiers menacés restent très discrets et semblent être au final les plus sereins dans cette affaire.
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