Au Sénégal, le Premier ministre Ousmane Sonko a récemment appelé ses partisans à répondre à la violence par la violence. Avant de revenir sur ses propos après la levée de boucliers de l’opposition. Une posture qui fait penser à la position d’opposant que le leader du Pastef a occupé pendant des années.
Après la victoire du PASTEF à la Présidentielle de mars 2024 au Sénégal, Ousmane Sonko est devenu Premier ministre du pays, aux côtés de son alter ego, le Président Bassirou Diomaye Faye. Ceci après plusieurs années passées dans l’opposition dure au régime de Macky Sall.
Des déclarations polémiques
Des années d’opposition qui continuent d’influencer l’action politique du désormais Premier ministre ? Le dicton selon lequel l’habitude est une seconde nature est-il en train de se traduire dans les faits et gestes d’Ousmane Sonko ? Sinon, comment comprendre que de sa position actuelle d’homme d’État, chef du gouvernement, le leader du PASTEF appelle ses militants à se venger de ceux de l’opposition ?
Dans la nuit de lundi à mardi, Ousmane Sonko a tenu des propos d’une extrême gravité pour un responsable politique de sa trempe. « Que chacune des agressions subies par PASTEF de leur part (l’opposition, ndlr) depuis le début de la campagne, que chaque patriote qu’ils ont agressé et blessé soit proportionnellement vengé. Nous exercerons notre droit légitime à la riposte », a-t-il déclaré. Ces déclarations font suite à des attaques subies par les militants de la coalition au pouvoir lors de la campagne à Koungueul (centre), Dakar et Saint-Louis (nord). Des propos qui sont aux antipodes de ceux tenus par Bassirou Diomaye Faye qui appelait à des élections apaisées, à la veille de l’ouverture de la campagne électorale.
Une volonté affichée de soumettre la Justice
Non content d’appeler ses militants à la vengeance, Ousmane Sonko s’en prend également à l’appareil judiciaire de son pays. Au début de la campagne, « j’ai appelé les ministres de l’Intérieur et de la Justice en tant que candidat. Trois agressions, zéro arrestation. C’est la faillite de l’État », s’est-il indigné, mettant totalement de côté son manteau de Premier ministre. Avant d’enfoncer le clou : « J’interpelle une fois de plus l’État du Sénégal. Un État ne doit pas être faible. J’ai plusieurs fois interpellé monsieur le président de la République. Si l’État ne règle pas ce problème, nous allons le faire nous-même et nous avons les moyens de le faire ».
On a l’impression d’entendre toujours l’opposant au régime de Macky Sall s’exprimer. « Barthélemy Dias et sa coalition ne doivent plus battre campagne dans ce pays », a-t-il ajouté. Ce mardi, l’opposant a été barricadé dans son domicile alors qu’il devait tenir une conférence de presse au siège de sa coalition. La presse a dû faire le déplacement vers lui pour recueillir sa déclaration.
Une vive réaction de l’opposition
Très vite, l’opposition a réagi aux propos belliqueux d’Ousmane Sonko, des propos de nature à enflammer un pays déjà sur les braises avec une campagne électorale particulièrement violente. La coalition Samm Sa Kaddu du maire de Dakar, Barthélemy Dias, a tôt fait de dénoncer un « appel au meurtre assumé par l’actuel Premier ministre sénégalais », insistant sur le fait qu’elle a également subi des attaques. « Ousmane Sonko, dévoré par la peur de la défaite, tente désespérément de museler la démocratie en tentant d’instaurer un climat de terreur », a insisté l’opposition dans sa déclaration.
Il n’y a pas que l’opposition qui a dénoncé les propos d’Ousmane Sonko. Même dans son propre camp, l’appel à la vengeance lancé par le Premier ministre n’est pas accepté par tout le monde. Guy Marius Sagna, candidat du PASTEF aux Législatives a clairement exprimé son opposition à toute forme de violence même s’il reconnaît la gravité des agressions subies par son camp. « Ma vengeance, ce sera le jour des élections législatives dans les urnes », a-t-il écrit sur sa page Facebook.
Le rétropédalage
Ce mardi, alors que des militants, chauffés à blanc, étaient prêts à répondre à l’appel de leur leader, Ousmane Sonko a désamorcé la bombe. « Je vous demande de retourner en campagne électorale, tout ce que j’avais déclaré, je vous demande de le désactiver. Ne provoquez personne, n’insultez et ne frappez personne. L’État fera le travail sur les personnes arrêtées, mais je vous demande de rester vigilant », a déclaré le Premier ministre. Un rétropédalage salutaire puisque le leader du PASTEF, désormais aux affaires, n’aurait jamais dû se laisser aller à de tels excès.
Désormais investi de responsabilités étatiques, Ousmane Sonko devrait incarner le poste qu’il occupe. Il devrait éviter autant que faire se peut de tomber dans les travers qu’il reprochait au régime défunt, à savoir la volonté de contrôler la justice, entre autres. Le PASTEF porte l’espoir de la jeunesse sénégalaise qui, tenue par une forte soif de changement, l’a plébiscité, en mars 2024, face au candidat du pouvoir. Et ce changement passe également par le respect du principe démocratique de la séparation des pouvoirs. Dans une démocratie véritable, la séparation des pouvoirs doit être une réalité et l’Exécutif a le devoir de respecter l’indépendance du Judiciaire. Ça, Ousmane Sonko devrait le savoir mieux que quiconque.