Une manifestation samedi, une mobilisation inédite dimanche dans les bureaux de vote: la communauté sénégalaise d’Ile de France a retenu son souffle ce week-end dans l’attente des premiers résultats d’une élection présidentielle qui a pris les contours d’un référendum pour ou contre Abdoulaye Wade. Les premières estimations sont tombées dimanche soir : Macky Sall arrive largement en tête en France, loin devant le président sortant. Reportage.
D’un pas pressé mais déterminé, ils sont arrivés au compte-goutte, très tôt, au 50 avenue du Président Wilson. Le consulat sénégalais de Paris n’étant pas assez grand pour accueillir tous les votants, c’est dans les studios de La Plaine Saint-Denis, qui compte plus de 30 000 inscrits, que la communauté sénégalaise d’Ile-de-France était appelée aux urnes dimanche. Et ils ont été nombreux à répondre ainsi à leur devoir civique.
Des mamas en boubou, d’élégants messieurs en costume-cravate ou en tenue traditionnelle, des jeunes en street wear… la diaspora sénégalaise, dans toute sa diversité, s’est donnée rendez-vous à Saint Denis. En masse. Dans les files d’attente, déjà longue malgré l’heure matinale, l’ambiance est bon enfant. « Cela fait trois-quart d’heure que l’on attend, indique Adama, 28 ans, salariée. En plus, on s’est planté en arrivant, on a eu du mal à trouver. » Les nombreux travaux qui entourent la station de métro ont rendu difficile l’accès aux studios. Des bus ont toutefois été affrétés pour réceptionner les électeurs et les conduire au lieu-dit. Aucun détail n’a été négligé dans l’organisation de ce jour d’élection cruciale pour les Sénégalais de la diaspora. Du moins pour ceux qui ont pu retirer leur carte électorale dans les temps. « Je l’ai récupéré il y a un mois alors que je l’avais demandée en juillet !, poursuit Adama. Mais, aujourd’hui, ça se passe très bien. De toute façon, on était déterminés à venir. J’ai fait mon choix depuis un moment déjà. Ce matin, je n’ai aucun doute. C’est Macky Sall. » Un choix partagé par son époux. « Tout ce que je souhaite, c’est que les élections se passent bien, surtout au Sénégal. » Le pays où elle est née, où elle a gardé ses racines, sa famille. Comme tant d’autres présents ce jour.
« Tout ce que je souhaite c’est que les élections se passent bien, surtout au Sénégal »
A quelques pas de là, de jeunes gens prennent le chemin du retour. Eux ont déjà voté. « Pour le meilleur ! », lance Zakaria, 36 ans, vendeur, sans vouloir révéler le nom de son candidat. C’est son ami, Sekou, 31 ans, vendeur également, qui vendra la mèche. « Il a voté pour Gorgui ». « Le Vieux ». Abdoulaye Wade, le président sortant. Et Zakaria de se défendre. « Je pense que c’est un bosseur, c’est tout ! Il a tout à fait le droit de se présenter à un troisième mandat. Les tensions actuelles vont se calmer d’elles-mêmes. » Un avis que ne partage pas Sékou. « On ne vole pas une Constitution. Il veut faire une révolution monarchique ! Placer son fils au pouvoir ! » Lui a choisi Moustapaha Niasse, le candidat de la coalition de gauche « Benno Siggi l Senegaal ». Et les deux compères de reprendre la route en se « chamaillant ». C’est le ton général de la journée. Quel que soit leur camp, les Sénégalais resteront courtois, y compris les représentants des différents partis en compétition, heureux avant tout de participer à la vie démocratique sénégalaise.
« On ne vole pas une Constitution ! »
La veille, pourtant, la tension était réelle place de la Bastille, à Paris. Quelques centaines de manifestants s’étaient réunis, répondant à l’appel de la coalition des partis et des mouvements de la société civile sénégalaise unie contre la candidature de Wade. « Cette élection n’est pas légale. Ceux qui y participent ne sont plus crédibles », condamne un homme à la tribune. Toute l’après-midi, les représentants des formations politiques en lice pour la présidentielle se succèderont au micro, dernière chance pour eux de gagner des électeurs après des mois de campagne au sein de la diaspora de France qui comptait encore, à la veille du scrutin, de nombreux indécis. « Dans les foyers de travailleurs africains, les universités, le métro, on a été partout », assure Nballo Djidere, 55 ans, secrétaire chargé de la structure de l’Alliance pour la République (APR), le parti de Macky Sall. Sall est le jeune leader de l’APR, un parti qu’il a créé en 2008, après avoir été écarté par son ancien mentor, Wade, celui qu’il avait participé à faire élire en 2002 mais qui ne lui pardonnera pas d’avoir demandé des comptes à son fils Karim. « Quand Macky Sall a démissionné du PDS (parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade, NDLR), nous l’avons suivi. Et depuis trois ans, nous travaillons dur pour convaincre les Sénégalais de la diaspora de nous rejoindre. » Un travail qui semble avoir porté ses fruits. A l’image du foyer Charonne, situé dans le XIe arrondissement à Paris. Un ancien bastion wadiste tombé aux mains des « Mackistes », comme se font appeler les supporters de Macky Sall, ancien Premier ministre et ex-président de l’Assemblée nationale sénégalaise. Ce que confirme Samba Koïta, habitant du foyer et coordinateur de l’APR France.
« Dans les foyers de travailleurs africains, les universités, le métro… On a fait campagne partout ! »
Retour à Saint-Denis. Les bureaux de vote devaient fermer à 18h. Ils fermeront plus tard que prévu, en raison de l’afflux qui ne faiblira pas tout au long de la journée. « C’est une mobilisation inédite, se réjouit Doro Sy, porte-parole du parti socialiste sénégalais en France. J’assiste aux élections depuis 1993, c’est du jamais vu ! » Une effervescence que l’on doit, selon ce dernier, au mécontentement suscité par Abdoulaye Wade. « C’est un signe manifeste du rejet de Wade ! » 19h30, les dépouillements commencent. Les représentants des partis, présents dans chacun des bureaux de vote, sont aux aguets. Un jeune contrôleur qui plaisante est rappelé à l’ordre. Le sérieux est de mise. Les allers et venues sont interdites. « Il ne doit pas y avoir de triche ! » Bureau 40. On retrouve Doro Sy et Samba Koïta. On compte et en recompte. « Nous devons être surs. » Mais, déjà, la tendance se dessine. Macky Sall est largement en tête. Ses partisans ne pipent pas mot. Ils poursuivent. Ce n’est qu’après avoir signé le procès-verbal qu’ils lâcheront leur joie. « Je suis content, très content ! » exprime Samba Koïta. « Je suis très heureuse, partage Adama Sy, présidente du bureau. Le candidat que je représente est en tête. Tout le travail que nous avons fait depuis des mois est récompensé. Nous, les Mackystes de la diaspora, nous nous sommes investis, avec nos propres moyens, parce qu’on était convaincu par notre candidat et ses idées. Et les électeurs nous ont entendus. Ils sont venus massivement. Nous sommes ici depuis 6h45. Tout s’est très bien passé. Ici même, au sein de ce bureau, il y avait une très bonne ambiance toute la journée avec les représentants des différents partis. »
« A Paris, à Strabourg. Au Gabon. On a gagné ! »
Ailleurs, dans les autres bureaux, même scénario. Macky Sall est partout en tête. Loin devant Wade. Nballo Djidere est euphorique. « In the Pocket ! », lui crie un camarade en dansant. « A Paris, à Strabourg, au Gabon, on a gagné ! » Les premières estimations arrivent d’un peu partout. Par téléphone, SMS, sur les réseaux sociaux, les militants de tout bord partagent leurs données. Doro Sy prend acte de la défaite de son parti. « Nos résultats sont mauvais. On ne s’attendait pas à la victoire mais au moins à arriver quatrième. Là, nous sommes cinquièmes. C’est le résultat d’une mauvaise stratégie. » L’absence d’un accord sur une candidature unique avec la coalition de gauche Benno Siggi Senegal sans doute. Une femme pleure. « C’est une militante du PDS, mon parti, confie Oumar, qui va chercher à la consoler. Mais c’est la loi des urnes. Moi-même je suis déçu… mais pas surpris. Ces dernières semaines, j’ai ressenti une certaine frustration dans les foyers. Même si l’on reconnaît que Wade a fait des réalisations au Sénégal, sur le plan social, sur la vie chère surtout, ce n’était pas assez. Et je crois que l’on paie également l’arrogance de certains de nos ministres. »
Beau joueur, il va jusqu’à saluer les militants mackystes. « Alors qu’ils avaient beaucoup moins de moyen que nous, ils ont fait une très bonne campagne, je leur tire mon chapeau ! » Reste que la partie n’est pas gagnée temporise Doro Sy. Il y aura un second tour. Sans doute entre Wade et Macky. « C’est au Sénégal que tout se joue. Les voix de la diaspora ne comptent que pour moins de 10% à peine. Cela compte un peu. Mais il faut attendra les résultats au pays. »
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