Dans les rues de la capitale sénégalaise, Dakar, croiser un handicapé est chose courante. Certaines personnes atteintes de déficience mentale sillonnent à longueur de journée les rues, squattent les restaurants à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent, dans l’indifférence totale des populations qui ne voient en eux que des « intrus ».
(De notre correspondant)
La semaine dernière, la circulation a été perturbée, à hauteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. A l’origine de cette cacophonie, un handicapé mental qui s’était couché au milieu de la route, contraignant les conducteurs à s’arrêter et les motocyclettes à l’esquiver. Des agents de police, incapables de s’approcher, se contentent de mettre de l’ordre dans le capharnaüm que venait de créer cette scène. Ce désordre a duré près d’un quart d’heure. Des scènes pareilles sont récurrentes dans la capitale.
Les agressions verbales et physiques sont fréquentes
Souvent, des personnes handicapés mentalement agressent les passants physiquement, en jetant des pierres, ou bien verbalement, en proférant des insultes. Et le plus souvent ce sont des élèves qui subissent ces agressions. Selon Sékou Badji, enseignant d’un collège du quartier Médina, les « élèves sont très souvent pourchassés par ces marginaux qui habitent désormais à coté de notre établissement et la sécurité des enfants est menacée si rien n’est fait immédiatement ».
Séka Diouf, restauratrice près de la Mairie de la commune d’arrondissement de Dieupeul, s’inquiète de la présence massive des handicapés mentaux autour de son restaurant. « Au début, c’était un garçon, du nom de Laye qui fréquentait mon restaurant. On s’entend bien avec ce jeune car ses parents sont venus un jour pour me remercier de mon geste envers leur fils. Mais depuis quelques temps nous accueillons beaucoup de malades mentaux qui viennent chercher à manger, confie-t-elle, mais parfois si je ne ne leur donne pas à manger, je suis harcelée par ces malades mentaux », ajoute-t-elle.
Manque criard de structures d’accueil
Au Sénégal, il y a deux structures d’accueil pour malades mentaux : une dans la capitale et une dans le Sud du pays, c’est l’hôpital psychiatrique du quartier Kénia, en périphérie de la ville de Ziguinchor, à plus de 450 km de Dakar. L’hôpital a une capacité d’accueil de 36 lits dont 18 sont occupés par les handicapés mentaux car chaque malade doit être accompagné d’un membre de sa famille. Le docteur Adama Goundoul, le seul médecin du centre, déplore les conditions de travail auxquelles il est confronté : « Primo le centre est considéré sur parole comme un hôpital, mais sur papier c’est une case de santé. Donc nous avons un problème de statut. Secundo, 23 personnes travaillent dans cette structure, mais l’Etat n’a pris en charge que cinq personnes qui sont des infirmiers et le reste de la structure qui se débrouille avec des recettes journalières pour les payer à la fin du mois. A cela, ajoutons le manque de personnel qualifié. Absence logistique : pas de laboratoire et de matériels informatiques » a-t-il indiqué. Pour faire des analyses de sang, ils sont obligés d’envoyer à Dakar.
Le silence des autorités
La population a toujours dénoncé l’inefficacité des autorités à lutter contre ce phénomène, qui est devenu tellement récurrent et inquiétant que les autorités ne lèvent même plus le petit doigt pour statuer sur le sort de ces malades mentaux. Astou Sané, responsable politique de l’ancien parti au pouvoir (PDS) rencontré dans les couloirs de l’hôpital psychiatrique de Ziguinchor, est très critique vis-à-vis du nouveau régime : « Comment un hôpital aussi important ne peut-il pas être doté de matériel haut de gamme ? Où sont passés les centaines de milliards engloutis dans le secteur de la santé ? Ma sœur a eu plusieurs rendez-vous à l’hôpital. À chaque fois, elle reçoit des injections pour la calmer. Et quelque temps après, ses crises reviennent. Cela prouve nettement le manque criard de matériel et de professionnalisme du personnel », déplore l’ancienne dirigeante politique.
Côté autorités, elles ont énuméré l’ensemble des urgences à prendre en compte, sauf celle des handicapés mentaux. La ministre en charge de la Santé, Eva Marie Colle Seck, a promis des changements dans les services de santé sans donner plus de détails.