Le bras de fer entre la presse et le pouvoir sénégalais continue. C’est au tour du directeur de publication du quotidien 24 heures Chrono d’en faire les frais. Ce journaliste qui a publié un article intitulé : « Plusieurs milliards volés en côte d’Ivoire : Wade et son fils mouillés dans une affaire de blanchiment d’argent » encourt six mois d’emprisonnement minimum. Son procès débute ce vendredi. Dans un pays où la liberté de la presse est de plus en plus bafouée, cette affaire risque fort de déclencher les foudres des autres quotidiens sénégalais.
Ce n’est plus un secret pour personne et surtout pas pour les journalistes sénégalais: depuis plusieurs années, la liberté de la presse, dans le pays, va de mal en pis. Et pour cause, les agressions, les actes de vandalisme s’enchaînent dans les rédactions des quotidiens sénégalais. « Depuis 2003, les rapports entre la presse et le pouvoir se sont nettement dégradés. Par exemple, le 21 juin dernier, deux journalistes sportifs ont été violemment battus par des policiers à la sortie d’un match de foot», explique Malick Ba, journaliste au bureau régional de l’AFP à Dakar, à Afrik.com. « Il n’est pas étonnant dans de telles conditions qu’El Malick Seck du journal 24 heures chrono se retrouve à la barre des accusés », poursuit-il.
La presse prise pour cible
Le directeur de publication du journal, qui sera jugé vendredi à Dakar, encourt six mois de prison minimum et risque de devoir payer de lourdes amendes. Il a été inculpé, mercredi, pour cinq chefs d’accusation : « diffusion de fausses nouvelles, injures publiques, actes et manœuvres de nature à troubler l’ordre public et créer des troubles politiques graves, recel de documents administratifs et offense au chef de l’Etat. Sa faute, avoir rédigé jeudi 28 août un article intitulé : « Plusieurs milliards volés en Côte d’Ivoire : Wade et son fils mouillés dans une affaire de blanchiment d’argent », mettant en cause directement le chef d’Etat sénégalais. Pourtant, cette affaire n’est pas un scoop. En 2006, deux hommes politiques du parti de l’opposition Amadh Dansoko et Ibrahima Sene avaient déjà évoqué les pratiques douteuses du dirigeant africain. Cités à comparaître, les deux confrères s’en étaient tirés à moindre frais. Interviewé à ce sujet, le journaliste de l’AFP a exprimé son inquiétude face aux sanctions prises à l’encontre du directeur de publication, El Malick Seck. « Les deux autres hommes politiques qui ont parlé de cette affaire n’ont rien eu alors que ce journaliste encourt de lourdes peines. El Malick Seck faisait son métier, il ne doit pas être emprisonné. Cette histoire est vraiment regrettable ».
Ministère de l’Artisanat et des Transports aériens vs « 24 heures Chrono »
Du côté de la rédaction de 24 heures Chrono, on accuse le pouvoir d’essayer de museler la presse sénégalaise. « A l’heure actuelle, on assiste à un véritable acharnement de la part des autorités qui essayent de faire pression sur les quotidiens du pays », nous a déclaré le rédacteur en chef de 24 heures chrono, Sambou Biagui, interrogé quelques heures plus tôt par la police au sujet de l’affaire. Suite à l’agitation médiatique, le ministre de l’Artisanat et des Transports aériens Farba Senghor a été relevé de ses fonctions jeudi dernier. Il est accusé d’être le commanditaire du saccage de deux quotidiens privés 24 heures Chrono et l’As et devra répondre de sa responsabilité lundi prochain devant les juges. Deux jours avant le saccage des locaux, M. Senghor avait publié un communiqué où il se déclarait « être victime d’une série d’agressions excessive d’une certaine presse » et s’autorisait à « riposter à hauteur de ces agressions » précisant qu’il n’y avait pour lui « aucune différence entre la violence verbale, la violence écrite et la violence physique ».
A la veille du procès d’El Malick Seck, la tension est palpable. « On est un peu paniqué mais mon client est conscient de la situation, il ne s’attend pas à des choses terribles ni à la clémence. Il revendiquera encore et toujours ce qu’il a écrit », indique Jacques Godin, l’avocat chargé de la défense du directeur de la publication. « Si nous perdons ce procès, c’est toute la presse sénégalaise qui va réagir. Cette affaire apportera du crédit aux journaux. Vous savez, les quotidiens n’ont pas peur des intimidations des autorités ».
Sur la photo : El Malick Seck, le directeur de la publication de « 24 heures Chrono »
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