Le Président sénégalais Abdou Diouf aurait fait appel, en 1988, à un de ses contrôleurs d’Etat, doté de pouvoirs mystiques, pour stopper l’invasion de criquets qui menaçait le pays. Afrik.com a retrouvé le haut fonctionnaire qui a accepté de se confier pour la première fois à la presse. Cheikh Ismaila Diouf aurait eu une prédiction révélée par les insectes. Prédiction qu’il n’a pas eue pour la présente invasion acridienne.
Invasion de criquets pèlerins, 1988, Sénégal. Il y a 15 ans, face à une artillerie lourde d’insecticides inefficaces, le chef d’Etat Abdou Diouf aurait fini par recourir à un remède plus traditionnel : le mysticisme. Il aurait fait appel à un de ses contrôleurs d’Etat, doté de pouvoirs occultes, pour se débarrasser du fléau acridien. Une information révélée par le journaliste Ndiogou Wack Seck, dans un article publié mi-août dans le quotidien sénégalais Le Messager. Le « contrôleur d’Etat », dont le nom n’avait alors pas été cité et qui n’avait pas témoigné, a bien voulu se confier à Afrik.com. Son nom : Cheikh Ismaila Diouf. Il confie : « C’est le ministre des Finances de l’époque, Moustapha Diagne, qui m’avait recommandé à Abdou Diouf. Mustapha est un ami personnel. Il connaissait donc mes pouvoirs. Le Président m’a convoqué dans son bureau, nous avons parlé, et il m’a demandé de prier très fort pour faire fuir les criquets ». Il ne veut pas en dire plus long. Modestie ? Ou tout simplement la peur d’étaler au grand jour ses dons… « Je ne suis pas un marabout, ni un fétichiste. C’est le bon Dieu qui m’a doté de cela. Je suis profondément musulman pratiquant, et mystique. » Cheikh sert fort son chapelet entre ses doigts, et commence à raconter, par bribes, comment il a délivré le Sénégal de la plus grave invasion acridienne jamais connue, en 1988. Sans prétention aucune.
« Cette année-là, j’ai vécu une mutation mystique très importante en moi. J’ai failli devenir dingue. Six mois avant l’invasion, trois criquets rouges sont venus me voir. Nous avons parlé, comme vous et moi. Ils m’ont prévenu de l’invasion du Sénégal dans les mois qui suivaient. » Le contrôleur d’Etat en avertit par lettre le Président Abdou Diouf. Six mois après, des nuages de criquets fondent sur le pays. « Ils m’avaient également prévenu que si nous saupoudrions, il y aurait des morts. Nous avons entrepris l’éradication par pesticide. Deux camions chargés du travail se sont renversés, et il y a eu des morts. » Ce que confirme Saliou Lo, journaliste au quotidien Le Soleil, spécialisé en invasion acridienne : « C’était des camions allemands, très hauts sur pneus, mais pas très stables dans la brousse. Un ou deux se sont renversés. Je ne me souviens plus s’il y a eu des morts, mais je suis sûr qu’il y a eu des blessés ». Ismaila Diouf se souvient : « C’est à ce moment-là que le Président Diouf m’a convoqué, quand il s’est rendu compte que je lui avais prédit la vérité. »
Mysticisme contre criquets
« J’ai récité certains versets du Coran à un criquet, puis il s’est envolé pour rejoindre son essaim, et quelques minutes après, tous les criquets ont quitté le Sénégal », raconte l’homme mystique. Une pratique que ne renie pas Saliou Lo : « Je sais qu’il y en a certains qui exercent ce genre de technique. Ce matin encore, quelqu’un a lancé un appel à la radio (Diop Ndiaga, chef religieux, s’est exprimé à Sud FM lors d’une émission de libre antenne, ndlr). Il a demandé aux auditeurs d’isoler un criquet, et de réciter des versets spécifiques du Coran, à l’endroit des parcelles à protéger ». De même, un habitant du village de Médio (sud du Sénégal), Pathé Sabaly, a confié à l’AFP : « Au cours d’une cérémonie de lutte contre les criquets, nous avons sacrifié un animal sur un champ. Nous avons ensuite enterré la tête et les pattes et dansé au rythme d’un tambour ». Rien de nouveau donc. Mais si cette méthode fonctionne aussi bien qu’on le dit, pourquoi le Président Wade ne fait pas appel à son tour à ces pratiques ?
Faux anonyme
Abdoulaye Wade croise Ismaila Diouf régulièrement dans les couloirs de la présidence, puisqu’il est contrôleur d’Etat, mais il ne connaît pas ses pouvoirs. Cheikh reste discret. « Il y a quelques personnes à la présidence qui savent que c’est moi le ‘mystique’ à qui a fait appel Diouf. Si Wade veut réellement savoir, c’est simple, il n’a qu’à demander, on le renseignera. Personnellement je ne suis pas allé le voir car je n’offre pas mes services. » Ismaila, soufi, prie pourtant sans cesse pour que le malheur quitte son pays. « Je prie jour et nuit, avec mon chapelet. Mais cette année je n’ai eu aucune prédiction. Les criquets sont des soldats de Dieu. Quand l’homme est pervers, mauvais, l’envoi de cet insecte est une punition. Il faut que l’homme se purifie, qu’il retourne dans le droit chemin. Il faut qu’il se remette à la prière. » En attendant une solution, plus ou moins matérielle, les premiers œufs de la ponte ont éclos. Les criquets sont désormais aux portes de Dakar.
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