Les nains sont assez nombreux au Sénégal et tentent de mener une vie normale. Si pour certains, leur différence physique avec les autres ne pose pas de problèmes, pour d’autres, le quotidien est un véritable calvaire. Leur différence avec les « personnes normales » fait d’eux des « parias ». Reportage.
Un élève de trop à l’école
Cela fait déjà huit longues années qu’Agnès vit son calvaire. Elève en classe de 5ème dans un établissement privé de Thiès (70 km de Dakar). Elle ne vit pas un jour sans que sa « tare » ne soit mise à nue. Soit ce sont des regards portés sur elle, soit ce sont des moqueries toutes crues qu’elle récolte. Avant qu’elle ne fréquente l’école, Agnès avait moins de peine. Mais depuis qu’elle est avec ses camarades élèves, c’est le calvaire nous dit-elle. « Je passe la majeure partie de mon temps à me bagarrer. Les gens ne me prennent pas pour un être humain. Ils me regardent avec mépris. J’ai l’impression d’être tout le temps ridicule. Si certains attendent que je leur tourne le dos pour se moquer de moi, d’autres par contre n’ont même pas cette politesse. Ils se moquent de moi sans gêne. Ils se tordent de rire. Et quand je n’en peux plus de supporter leur agression verbale, je les charge et la bagarre est déclenchée. Il m’arrive d’être tellement violente, car parfois j’avoue que certains exagèrent. Et dans certains cas, je les considère comme des gens à abattre. Si j’avais une arme à feu, j’en aurai tué certains, ça c’est sûr», confie l’élève debout sur environ 1m.
Le seul respect qu’Agnès pense percevoir, provient de sa famille, notamment sa sœur qui se joint à elle, quand la bagarre est déclenchée. Ou encore ses professeurs et sa directrice qui comprennent parfaitement sa situation. C’est d’ailleurs sa sœur qui la calme souvent nous dit-elle. «Quand je pense à ma sœur, je n’ai pas envie de suivre ces gens qui se moquent de moi. C’est d’ailleurs elle qui calme souvent. Elle fait tout pour éviter que je déclenche une bagarre. Mais j’avoue que j’ai toujours du mal à me retenir. Si au moins quelqu’un pouvais imaginer ce que je ressens lorsque les gens se moquent de ma petite taille. J’ai mal au cœur, rien que de voir certains regards portés sur moi. Parfois je regrette même d’être venue au monde (elle fond en larmes)», lance-t-elle. Elle est pourtant issue d’une famille normale nous dit-elle. «Mon père et ma mère sont des êtres normaux. Mon père est presque aussi grand que vous (pour parler de notre reporter qui fait 1m88). C’est le destin qui a voulu que je sois comme ça (elle baisse la tête, visiblement peinée). Ce n’est pas de ma faute. C’est la volonté divine (encore en larmes). J’avoue que j’aurai voulu être comme les autres. Mais Dieu en a décidé ainsi», se désole-t-elle.
Mendiant depuis son enfance
Amadou, trouvé à Sandaga (grand marché au cœur de Dakar), n’a pas cherché à se casser la tête. Sa petite taille ne lui permet pas de faire grand’chose. C’est du moins ce qu’il s’est dit depuis le bas âge. Et il a préféré arpenter les rues de la Guinée (son pays d’origine) avant de venir au Sénégal où les gens sont réputés plus généreux en aumône. Depuis la tendre enfance, plus précisément vers 8 ans, il s’est senti tel un paria. «Je n’avais pas d’amis. Mes camarades de village refusaient de jouer avec moi. Ce n’était pas évident pour eux aussi. Moi-même je me trouvais bizarre. Tous les enfants de ma génération m’avaient dépassé de taille. Et dans tout le coin, j’étais le seul qui ne grandissait pas. J’avais donc commencé à éviter les places publiques. En fait, je ne supportais plus tous ces regards posés sur moi, parce que j’étais différent de tout le monde». Une vie difficile en Guinée et qui se prolonge à Dakar.
«C’est par la suite que je suis venu ici à Dakar. C’était en 1993 et j’avais à peine 14 ans. Mon père m’avait confié à un cousin qui devait se rendre à Dakar pour faire du commerce de fruits au marché Tilène (centre de Dakar). Il était question que je l’aide à vendre des fruits. Pensant que les choses allaient changer, c’était tout à fait le contraire. Les gens portaient un regard très bizarre sur moi. Surtout que je me devais remplacer mon oncle lorsqu’il s’absentait. J’ai compris que je ne devais pas trop bouger, surtout que certains ne cachaient pas leur étonnement de voir que c’était un nain qui devait les servir. C’est ainsi que j’ai décidé d’aller tendre la main. Chaque matin, de très bonne heure, je me lève et choisis un coin dans Dakar où je dispose ma petite natte sur laquelle je m’assois et les passants déposent des pièces de monnaie. Je m’étais rendu compte que c’était plus facile. Mieux, les gens, au lieu de se moquer, avaient pitié. Cela fait près de 20 ans que je suis dans le boulot», nous dit Amadou qui confie avoir amassé beaucoup d’argent dans les rue de la capitale sénégalaise.
Un enfant qui a des seins
Rama qui habite la banlieue dakaroise, plus précisément à Yeumbeul, s’est fait une philosophie : « vivre avec cette différence. Son mètre zéro trois ne la dérange plus depuis qu’elle s’est rendu compte qu’elle n’y était pour rien et qu’elle ne pouvait pas changer la donne. Elle se rappelle seulement qu’un jour, par sa «faute», un petit garçon a été corrigé par sa mère. Rama les avait croisés à hauteur de la Patte d’Oie. Flash-back : « Puisque c’était sorti de la bouche d’un enfant, je comprenais parfaitement. J’étais un tout petit peu vexée certes, mais j’ai eu plus pitié du gamin qui, non seulement a du être complètement confondu après ce qu’il venait de voir, mais aussi a été sérieusement bastonné par sa mère. Dès qu’il m’a vu, il a dit à sa mère : «regarde maman, une petite fille qui a des seins». Rama était certes choquée, mais ce jour, elle a plutôt eu un pincement au cœur.
«J’avais plus de 17 ans et avec ma petite taille, j’avais des seins et des hanches. Lorsque sa mère s’est retournée et a vu qu’il s’agissait de moi, une naine, elle a grondé son enfant avant de lui flanquer une bonne gifle. J’ai été obligée d’intervenir, car l’enfant ne savait pas ce qu’il disait. Mais j’avais compris que la mère avait voulu prendre les devants, pensant sans doute que j’allais me révolter et les attaquer en entendant de tels propos. Loin de là. Malgré tout ce que les gens pensent ou disent de nous, on sait identifier nos ennemis. Oui on en a. c’est le cas de certains enfants mal polis qui n’hésitent pas à se moquer de nous. Certains vont jusqu’à nous jeter des pierres. Si l’un d’entre eux a le malheur de tomber entre nos mains, assurez-vous qu’il passera un sale quart d’heure», lance-t-elle.
Complexe d’infériorité, volonté de puissance
De l’avis du Docteur Djiby Diakhaté, sociologue, cette agressivité des nains trouve une explication simple. « Il y a un certain nombre de représentations sociales négatives qui entourent la condition des nains. Dans notre société on a toujours estimé qu’il y a une relation très profonde entre le monde des vivants et le monde des dieux. A chaque fois que quelque chose de négatif arrive à l’individu, on considère qu’il a été coupable quelque part, en ayant une conduite déviante dans ses rapports avec les dieux. Soit il ne s’est pas acquitté des sacrifices qu’il devait faire, soit il n’a pas fait ses offrandes, soit il n’a respecté les principes cultuels. Et en conséquences, les dieux, fâchés contre lui, le montrent clairement à travers une récolte qui n’est pas bonne, des épidémies, des maladies ou alors à travers des déformations physionomiques. Une société qui entretient des relations de ce genre indexe elle-même ces personnes, les marginalise et les apprécie de façon plus ou moins négative», analyse Djiby Diakhaté qui explique l’origine de la nature agressive des personnes de petite taille.
« Donc, on peut considérer l’agressivité de ces individus comme une stratégie de défense. C’est leur seule stratégie de se défendre, de montrer qu’après tout, ils sont capables de dire ou de faire du mal, donc de se défendre. De prouver qu’ils ne sont pas aussi désarmés que le pense la société. Cela traduit ce que l’on appelle le complexe d’infériorité et la volonté de puissance. L’idée que quelque part je traîne une certaine infériorité par rapport aux autres, les pousse à faire preuve d’une volonté de puissance. Jean-Claude Fillou dit que «Tout homme connaît ses points faibles de façon affective intime. Et de là dépend son style de vie dont l’objet est de masquer son infériorité ». Ce qu’il faut comprendre chez les nains, c’est que ce sont des personnes qui sentent dans une certaine mesure l’accusation de la société, la stigmatisation de la société et qui développent des réactions de défense, mettant l’accent sur la volonté de puissance», conclut le sociologue.